Hélène Flautre : « Jusqu’à présent, l’UE comptait sur Kadhafi pour maintenir en rétention les migrants »
Hélène Flautre. Je crois qu’il est indéniable que la politique euro-méditerranéenne, et les dirigeants européens ont été complaisants, voire ont légitimé des régimes extrêmement peu fréquentables. Y compris d’ailleurs jusqu’à leur demander de faire, pour le compte de l’Europe, des basses besognes dans le cadre de la répression des flux migratoires et de la lutte contre le terrorisme. Je crois que personne ne peut nier cela. Ce constat nous oblige à des refondations profondes de ces relations.
Moa. Est-ce que le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui devait être opérationnel avec le Traité de Lisbonne est maintenant bien en fonction pour parler d’une voix?
Je crois que madame Ahston, puisque c’est elle qui occupe ce poste, a manifestement des difficultés pour obtenir des prises de positions ambitieuses de la part de l’Union européenne. On voit que les réactions ont été extrêmement lentes. Il a fallu attendre le départ de Ben Ali pour que madame Asthon se fasse entendre sur ces enjeux et ces bouleversements démocratiques.
Du24. Que peut faire l’Europe pour accompagner les peuples arabes dans la démocratie? Est-ce qu’elle est encore crédible d’ailleurs?
Je pense qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire. L’Europe peut orienter l’ensemble de ses moyens pour accompagner les processus de transition démocratique qui sont extrêmement exigeants. Les populations qui se sont mises en mouvement pour revendiquer la dignité et des droits, sont elles-mêmes très exigentes. On le voit en Tunisie.
Les questions qui sont décisives sont celles de la lutte contre l’impunité, la lutte contre la corruption, la question de l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, le pluralisme politique. Sur tous ces enjeux, qui sont essentiels dans le cadre des transitions démocratiques, l’Union européenne doit apporter de la manière la plus pertinente possible son soutien.
Poupoul. Croyez-vous en l’Union pour la Méditerranée? A quoi cela peut-il servir?
Degage. Que pensent les autres pays de l’Union pour la Méditerranée, le «petit bébé» de Sarkozy?
Ce que l’on constate, c’est que l’Union pour la Méditerranée a été inaudible, inutile, voire néfaste. L’impulsion donnée par Nicolas Sarkozy a considérablement renforcé le caractère intergouvernementale de la politique euro-méditérranéenne. On se souvient du sommet très médiatisé de juillet 2008, et son défilé de chefs d’Etat, qui a mis en scène des personnes aussi peu fréquentables que monsieur Moubarak, Ben Ali…
Or, les manquements démocratiques du processus euro-méditerranéen appelaient une coopération entre les sociétés civiles des deux rives, et un agenda politique davantage tourné vers des questions d’état de droit, de démocratie, et de droits de l’homme. Cette initiative en 2008 était donc un contresens historique. Je pense qu’on peu, et qu’on doit, penser et construire une Union pour la Méditerranée, mais sur des bases radicalement différentes.
Votre pseudo. Les gens parlent de catastrophe humanitaire et l’Europe parle de «flux migratoire»…
Je crois effectivement que ça a été extrêmement choquant de voir le déploiement des énergies diplomatiques à l’occasion de l’arrivée des 5000 Tunisiens sur l’île de Lampedusa, alors même que 50 000 personnes avaient en une journée traversé la frontière tuniso-libyenne dans la quasi indifférence.
Le déploiement immédiat d’une opération frontex [Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne, ndlr] au large des côtes méditerranéennes a sonné comme un très mauvais signal, un signal répressif. Alors que les populations attendaient, et attendent toujours, la protection et le soutien aux frontières avec la Libye, et en Libye également.
Je souhaiterais que les Etats de l’Union européenne puissent coordonner leurs efforts pour évacuer les personnes qui le souhaitent dans leur pays d’origine, et pas seulement les Européens. Ainsi que l’évacuation des Subsahariens qui sont la proie de violences racistes en Libye et qui ont besoin absolument de protection. Il existe d’ailleurs une directive de 2001 qui date de la guerre dans les Balkans, qui le prévoit et qui n’a jamais été utilisée par l’Europe. Il faudrait la mettre en œuvre rapidement.
Gab35. Est-ce qu’il faut craindre des «flux migratoires incontrôlés», comme dit Sarko?
Lilane. Comment jugez-vous les déclarations alarmistes de la France et de l’Italie qui disent craindre l’afflux de centaines de milliers de migrants sur leurs côtes? Quelle doit être la réponse de l’Europe?
Je pense que les déclarations alarmistes de Sarkozy et Berlusconi sont mal venues, et même indécentes. C’est l’efficacité et la coordination qui vont être déployées pour répondre dans l’urgence à la situation qui est décisive. Ainsi que la perspective d’un nouveau pacte euro-méditerranéen pour la mobilité qu’il faut aujourd’hui construire.
Il faut penser l’avenir avec des régimes, des pays, des sociétés, au sud de la Méditerranée, démocratiques, développés, avec lesquels nous devons renforcer les échanges, y compris, bien sûr, les échanges humains. Il faut penser les échanges à l’échelle de la Méditerranée pour permettre aux personnes des deux rives d’aller et de venir entre ces deux rives, pour travailler, se former, visiter de la famille, et éventuellement s’installer. Il faut redonner à la Méditerrannée tout son sens.
Lilane. Dans quelle mesure la France et l’Italie ont-elles «sous-traité» à la Libye le contrôle des frontières pour limiter le flux migratoire? Et à quel prix?
Zaba. Comment ça se passait pour les migrants qui voulaient aller en Europe et qui passaient par la Libye? Est-ce que les dirigeants européens étaient au courant?
C’est l’Italie qui a négocié un accord de réadmission avec la Libye pour y renvoyer les migrants ayant transité par la Libye. Et l’Union européenne espérait bien, à travers les négociations d’un accord de coopération, aboutir au même résultat. Elle a d’ailleurs, il y a une semaine, suspendu les négociations sur cet accord. Ceci montre que la politique de migration par l’Union européenne et ses Etats comptait sur les poignes de fer au sud de la Méditerranée.
Aujourd’hui, tout le monde traite Kadhafi de criminel de guerre, mais il y a dix jours encore, les dirigeants européens comptaient sur Kadhafi pour maintenir en rétention les migrants sur son sol. Ce qui se passe en Méditerranée, c’est aussi bénéfique pour nos démocraties, ça oblige à lever des hypocrisies comme celle-là. Ou comme celles qui ont conduit des dirigeants ou des chefs d’entreprises à coopérer avec des systèmes de corruption ici ou là.
Lilia. Que peut faire concrètement l’Union européenne contre le régime de Kadhafi ?
Sébastien. Quelle est votre position sur la no fly zone ?
Je pense qu’il faut mobiliser autant que faire se peut le Conseil de sécurité des Nations unies qui, jusqu’à maintenant, a agi avec justesse. Pas d’intervention militaire sans décision des Nations unies, mais également pas d’intervention militaire sans demande des «comités des insurgés» comme ils se nomment en Libye. C’est la double condition politique pour imaginer qu’une intervention visant à protéger les populations contre la folie meurtrière de Kadhafi puisse être autorisée, y compris armée.
Sébastien. Seriez-vous en faveur d’une abolition progressive des visas entre Tunisie et l’Europe ? Est-il envisageable d’ouvrir une perspective d’adhésion à l’Union pour la Tunisie ?
J’y suis tout à fait favorable, et pas seulement avec la Tunisie, mais aussi par exemple avec la Turquie. On confond en Europe, absence de visas, et absence de contrôles. Je suis très favorable à l’organisation des mobilités dans la plus grande fluidité, entre les deux rives. Un égoïsme intelligent, et bien senti des européens, devrait aboutir à ce type de proposition. Pour des raison à la fois de développement économique, et de différentiel démographique. L’Europe a tout intérêt à ouvrir très largement les portes de la migration. Cette évidence rationnelle est obscurcie par les manipulations de la peur, que se livrent à la fois Sarkozy, le front national et les droites européennes.