La Catalogne battra l’Espagne !
Car toute la teneur de cet arrêt est hautement symbolique et politique. Il martèle « l’indissoluble unité de l’Espagne », il refuse la reconnaissance de la nation catalane alors que les mots, et la place -dans le préambule du texte- de cette reconnaissance avait été longuement négociés, et il invalide le « caractère préférentiel » reconnu à la langue catalane, notamment dans l’administration.
Bref, il fixe une « barrière » qui jusqu’à présent n’existait pas de façon explicite, car le précédent statut laissait une certaine part à « l’interprétation », sur la base de la constitution espagnole de 1978. L’arrêt du Tribunal dit donc expressément que « l’autonomie n’ira pas plus loin », ce qui entraîne de facto la Catalogne dans une étape « post-autonomique ». En regroupant près de 20% de la population catalane dans la rue, la manifestation de Barcelone vient d’ouvrir un nouveau cycle historique. Car, à l’évidence, la Catalogne ira plus loin !
Les trente années d’autonomie de la Catalogne depuis 1980 ont formé un cycle continu d’appropriation par les catalans de leur espace politique. Ils ont reconstruit leur pays dévasté par un demi-siècle de franquisme, ses forces politiques, et notamment un mouvement nationaliste qui depuis 1982 participe au pouvoir local, son économie, sa langue malgré la situation de minorisation héritée du franquisme, sa démocratie, son administration, son université, son mouvement sportif, etc…. Dans tous ces domaines, les succès ont été au rendez-vous, chaque étape a renforcé la nation catalane, et donc appelé de nouvelles avancées. Ainsi, la Catalogne est depuis 1980 dans un « processus continu d’autodétermination », de façon progressive, et le « nouveau statut », négocié dans sa version finale pour l’essentiel entre José Luis Zapatero et Artur Mas, le leader du principal parti nationaliste Convergència Democratica di Catalunya, était la continuation politique de cette évolution sans à coup, sans rupture avec l’État, mais aussi sans aucune possibilité d’un refus-diktat de sa part. Ce savant équilibre du compromis, le Tribunal constitutionnel espagnol vient de le rompre avec fracas.
Quel peut être la suite du bras de fer qui commence aujourd’hui ? Côté espagnol, le raidissement des gouvernants, à gauche comme à droite, est total. Jusqu’à présent, le Partido Popular (l’UMP espagnole) agitait seule le flambeau de l’Espagne éternelle. L’ancien premier ministre José Maria Aznar, le plus jacobin de tous, vient même d’agiter le spectre d’une restriction des libertés pour « sauver l’Espagne ». Franco n’est pas loin ! Ces gesticulations ont pour conséquence une quasi-disparition du bras catalan du PP, cantonné autour de 10% des suffrages.
Mais, désormais, le PSOE (le PS espagnol) emboîte le pas et cède aux penchants jacobins de toute une partie de son appareil, au point d’entrer en rupture avec sa composante locale, le PSC, qui, allié avec ERC, le mouvement nationaliste de gauche, a pris la tête, il y a huit ans, de l’autonomie catalane, succédant à l’autre mouvement catalaniste, Convergència, qui était à la tête du gouvernement autonome depuis les débuts du Statut. Dans quelques mois, de nouvelles élections devraient permettre le retour de Convergència au pouvoir catalan, et le poids du vote nationaliste est actuellement largement majoritaire dans les sondages.
La manifestation de samedi ne peut qu’avoir renforcé cette tendance, et le PS catalan, même en rupture avec Madrid, aura bien du mal à faire passer auprès de son électorat son bilan politique qui vient de s’écrouler face au diktat centraliste. En fait, la première conséquence prévisible de cette situation sera le retour au pouvoir à Barcelone d’un pouvoir nationaliste largement majoritaire, ce qui sera la marque explicite d’un processus d’autodétermination qui reprend force. Le PS catalan participait à la grande manifestation de Barcelone, mais la situation locale va échapper à son emprise. Rien ne pourra empêcher qu’une confrontation politique frontale intervienne entre le pouvoir légitime issu des urnes catalanes, et le pouvoir central madrilène.
En Catalogne, comme en Flandre, rien ne sera plus comme avant. Et l’Europe, qu’elle le veuille ou non, devra en tenir compte.
François ALFONSI