La Commission européenne menace le logement social
Depuis quelques semaines, un match se joue entre la Commission européenne et les Pays-Bas qui pourrait bien avoir un impact gravissime sur la politique du logement partout en Europe. La Commission a enjoint le gouvernement néerlandais de limiter l’accès à son parc de logements sociaux aux seuls ménages dont les revenus sont inférieurs à 33 000 euros par an.
En effet, aux Pays-Bas, contrairement à la France, il n’y avait pas jusqu’à présent de plafond de ressources fixé par ménage pour pouvoir accéder à un logement social. Chaque bailleur et municipalité appréciait librement les critères de priorité pour permettre aux locataires en faisant la demande de bénéficier du parc HLM. Cette solution, en ne limitant pas l’accès aux logements sociaux aux catégories les plus défavorisées, permettait de facto d’assurer une certaine mixité sociale et d’éviter la ghettoïsation et la stigmatisation de certains quartiers par une ségrégation en fonction des revenus. L’attribution des logements sociaux hollandais répond à un principe de justice: ceux-ci ne sont pas attribués qu’aux ménages les plus pauvres, mais les plus pauvres y ont un accès prioritaire. Et c’est justement la taille importante du parc qui permet de loger les pauvres et les classes moyennes.
Ainsi aux Pays-Bas, le logement social représente tout de même aujourd’hui 35% du parc total de logement (contre seulement 11 % de logements locatifs privés): un record d’Europe. A titre de comparaison, en France, pays qui souffre comme on sait d’une grave pénurie de logements sociaux, particulièrement en Île-de-France, ce chiffre est de 17%. Dans les pays du sud de l’Europe, comme l’Espagne et l’Italie, on tombe carrément sous la barre des 5%. L’exemple hollandais montre parfaitement qu’un important parc social est une réponse efficace à la crise du logement, dont les effets sont bien moins graves qu’en France ou qu’en Espagne, alors même que les Pays-Bas disposent de beaucoup moins de superficie par habitant.
Alors comment Bruxelles peut-il justifier ce choix ? On le sait, l’ensemble de l’Europe connaît une crise du logement de grande ampleur, du fait du renchérissement des loyers, de l’immobilier et du foncier, alimenté par la spéculation, qui a touché l’ensemble des Etats membres et ce jusque dans les zones rurales. Aujourd’hui en Europe, environ 70 millions de personnes souffrent du mal-logement (ce sont déjà près de 10 millions de personnes en France d’après la Fondation Abbé Pierre) et il y a trois millions de sans-abris.
Pour la Commission, le logement social réservé aux «groupes sociaux défavorisés»
Ce n’est visiblement pas le principal problème de la Commission européenne: dès 2005, sa direction générale de la concurrence dénonçait, je cite :«l’offre surabondante de logements sociaux» aux Pays-Bas, gérés par 500 associations et fondations néerlandaises, ces Woningcorporaties qui fonctionnent comme des sociétés commerciales mais avec des finalités sociales et qui détiennent 2,4 millions de logements, souvent de très bonne qualité. Pour la Commission, c’est une question de définition: il y a trop de logements sociaux aux Pays-Bas pour qu’ils puissent être reconnus comme assurant une «mission d’intérêt général».
La Commission conditionne en effet la conformité du régime d’aide au logement social (sous la forme de compensation de service public) à sa concentration sur le logement des seuls «groupes sociaux défavorisés». Elle définit de facto la mission du logement social en tant que SIEG (services d’intérêt économique général). Ces services sont définis comme des «activités de service marchand remplissant des missions d’intérêt général et soumises de ce fait par les États membres à des obligations spécifiques de service public». Or, sans commencer à entrer dans des débats juridiques abscons, le Traité de Lisbonne, tout comme la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), confortent la compétence exclusive des États-membres en matière de logement, politique relevant en principe de la compétence exclusive de chacun des États-membres, selon le principe de subsidiarité.
Pour faire simple, selon Laurent Ghekière, chargé des relations internationales à l’Union sociale pour l’habitat et cité dans Le Monde: «Chaque pays a sa conception du logement social, qui peut être universel et accessible à tous, résiduel et réservé aux ménages très pauvres, ou encore, comme en France, généraliste et ouvert aux classes moyennes.»
Et la Commission européenne viendrait remettre tout cela en cause, au nom de son sacro-saint principe de «concurrence libre et non faussée» dans le domaine des services, en restreignant les fameux SIEG telle une peau de chagrin? L’argument est non seulement injuste mais il est infondé, car le secteur social aux Pays-Bas ne touche plus, depuis 1995, aucune subvention de l’Etat. C’est justement sur la diversité sociale de ses occupants et la taille importante de son parc que le secteur base son équilibre financier.
Paradoxalement donc, limiter les logements sociaux aux ménages plus démunis renforcera le besoin de financements publics et donc… les distorsions de concurrence tant redoutées par les Commissaires de Bruxelles.
Recours devant la Cour de justice de l’Union européenne
Pour éviter cette régression, le 30 avril dernier, 133 organismes néerlandais de logement social, soutenus par des associations de locataires et par le Comité européen de coordination de l’habitat social (Cecodhas), ont déposé un recours devant la CJUE contre l’injonction de Bruxelles.
Parallèlement, à la dernière session plénière du Parlement européen à Strasbourg il y a deux semaines, une vingtaine de Députés européens de tous bords politiques ont questionné la Commission européenne sur le fondement de cette décision lors d’un débat de près d’une heure. Une proposition de déclaration écrite du Parlement européen devrait être déposée prochainement. Notre groupe des Verts pense que le fait de fixer un revenu comme le propose la Commission concernant un sujet aussi complexe que le logement social risque de ne faire qu’empirer la situation dans un certain nombre d’Etats membres souffrant déjà d’une pénurie de logements sociaux. De plus, le logement social ne saurait être connoté ainsi comme un logement réservé aux pauvres.
Lorsque la Commission réclame à la France de privatiser la Poste, puis récemment la SNCF (la Commission vient d’envoyer une lettre à la France à ce propos), et oblige les Pays-Bas à restreindre l’accès à leurs logements sociaux, il ne faut pas s’étonner ensuite qu’une bonne partie des Européens boudent les institutions européennes. Est-ce réellement l’Europe que nous voulons ? Au contraire, quitte à se préoccuper de logement, la Commission européenne ferait mieux, en cette année 2010 de lutte contre la pauvreté, de tout faire pour s’assurer que plus personne en Europe ne puisse se retrouver à la rue.
Photo © Benjamin Joyeux, logements sociaux à Aulnay-sous-Bois, avant une démolition de l’ANRU.
Un commentaire
L’Habitat avec un grand H souffre structurellement d’une stratification typologique, responsable de ce genre de conflit.
Je pense que la Hollande est un pays en avance,dans une réflexion plus humaniste que la France ou autres pays Européens. Certes qui pêche encore dans l’attribution sans différence de traitement, mais va dans le sens d’un Habitat pour chacun.
Ce qui doit être doit évoluer est le droit à l’Habitat, plus que le droit à du logement de tel ou tel type attribué en fonction de supposées capacités financières, qui oppose une catégorie de citoyen à une autre, provoquant des lieux de contingence.
Le modèle de l’Habitat doit être refondé,repensé comme besoin fondamentale et bien commun, essentiel à tout à chacun pour un parcours de vie réussi.
Le service public d’état garantissant ces deux paradigmes face à la loi du marché et de la marchandisation.