Le chant des sirènes et la sottise des hommes

26 décembre 2009
On sait que les sirènes n’existent pas, sinon dans l’imaginaire de marins devenus fous qui pour justifier de leur faiblesse et se suicider en se jetant à la mer ont inventé le mythe du chant des sirènes. On aura oublié la morale du conte d’Anderson «La petite sirène»: «avec du courage et de la volonté, on réussit toujours à obtenir ce que l’on désire vraiment». Mais on sait aujourd’hui que du courage et de la volonté politique, nos gouvernants n’en ont pas eu à Copenhague, pas plus que le désir d’assurer ensemble le monde de demain…

Avec peu de recul, la négociation de Copenhague me fait l’impression d’un conte moderne, d’une histoire dans laquelle on nous a emmenés en respectant les règles de la construction des contes qui peut-être présentée sous la forme d’un schéma narratif.

I/ « L’action»

L’action est généralement la partie la plus longue du récit, elle relate les épreuves que les principaux personnages rencontrent et doivent surmonter… elle correspond ici aux 72 dernières heures que nous avons vécues à Copenhague.

J – 72h : Copenhague : Le chaos

A 72h de la fin du sommet, Copenhague est synonyme de chaos pour entrer au centre de conférence. Des milliers de personnes attendent dans le froid pendant des heures (4 à 8 heures) pour rentrer (qu’elles soient membres de gouvernements négociateurs, parlementaires européens, représentants d’ONG).

Quant à l’état des négociations, la situation est tout aussi chaotique. Plusieurs projets de textes circulent et qui n’ont pour unique point commun que l’abondance de phrases entre crochet et de « à être élaboré – à définir». Un des éléments marquants, à ce 9ème jour de négociation est
la disparition dans les textes de l’aide aux pays du Sud sur le long terme. En revanche des chiffres circulent sur l’aide précoce pour 2010-2012 : le Japon vient d’ailleurs d’annoncer une enveloppe de 6,8 milliards d’euros sur 3 ans, rendant presque ridicule la position du Conseil européen de 7,2 milliards d’euros pour la même période. Il est encore temps pour l’Union Européenne de pousser pour une position ambitieuse. A 72h du terme des négociations, je suis marquée par l’absence flagrante sur l’échiquier politique international de l’Union Européenne des 27.

Il est perceptible que les négociateurs en présence n’ont pas de mandat politique clair pour faire aboutir les négociations et que les chefs d’Etats et de gouvernement sont attendus.

J – 48h : Copenhague : climat glacial

Personne ne croit à l’échec et ce sommet devient le sommet des rumeurs. Des informations circulent pour être aussitôt démenties. Tout le monde parle sur tout, analyse, décrypte une situation de blocage où il ne se passe rien autour de l’enjeu qui nous a réunis. Ainsi quand Connie Hedegaard, Ministre Danoise et Présidente de la COP démissionne, pendant les heures qui suivent, ce sont plusieurs dizaines de scénarios qui sont invoqués par les uns et les autres pour expliquer sa démission… On va à la chasse à l’information mais il est impossible d’y voir clair : le brouillard s’épaissit autant que l’ambiance se glace.

Les premières gelée ce matin, ce sont les « observateurs » des négociations qui vont en faire les frais. Malgré leurs accréditations accordées depuis des semaines, voire des mois, les ONGs se voient refuser l’accès au centre des négociations. Nombre d’ONG se retrouvent donc à la rue. La moindre expression de manifestation est interdite et la police procède à des arrestations «préventives». Nous en sommes à plus de 2000 arrestations depuis le début du sommet. Dans l’indifférence presque totale, on piétine le principe de transparence tel qu’énoncé par l’article 10 de la Convention de Rio en 1992 selon lequel «La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient.» Des citoyens du monde entier sont venus jusqu’ici pour faire entendre leur voix et on les musèle. Un très mauvais signal contre lequel nous, élus Europe Ecologie encore présents, nous sommes élevés en vain.

D’ailleurs, entre ces murs, la situation n’est guère aux échanges francs et chaleureux. L’ère glacière s’est installée dès la nuit dernière quand les négociations, menées par la délégation des USA, ont abouti à la suppression de références essentielles. Depuis, on attend la fonte des glaces : le contenu des crochets et parenthèses dans les drafts qui circulent reste vide!

Dans l’arène de la plénière, le courant ne s’est pas du tout réchauffé au cours de la journée : on frôle la guerre froide. La confiance entre les parties a l’air d’être sérieusement mise en péril. Le sentiment grandi d’une scénarisation de ces négociations visant à un dénouement peu ambitieux de quelques chefs d’Etat se présentant comme les sauveurs du monde. Je me surprends à chercher les positions de l’Union Européenne et le rôle qu’elle saura jouer dans l’acte final.

J-24h : Copenhague : des discours et des mots communs : Courage, responsabilité et solidarité

Les chefs d’Etat et de gouvernement sont arrivés et se succèdent à la tribune pendant près de 12h. Les uns après les autres, ils réaffirment la nécessité et l’urgence de répondre au dérèglement climatique. Les uns après les autre, ils réaffirment que les solutions demandent du courage politique. La partie de bridge qui se joue depuis 10 jours a fait place à une partie de poker de professionnels du bluff. Autour de la table, la conception traditionnelle de la souveraineté et les égoïsmes nationaux se heurtent à l’adaptation nécessaire pour faire face aux enjeux environnementaux. Inadaptation de la stratégie diplomatique du Président de la république Française, Nicolas Sarkozy qui, plus soucieux de s’afficher comme sauveur du monde, a renoncé à jouer « collectif», négligeant la capacité d’une position forte et coordonnées des 27 états de l’Union Européennes, apportant la confusion au sein de la coalition africaine et d’une coalition sud-américaine par un jeu de négociation bi-partiste avec l’Ethiopie et le Brésil, là où le multipartisme était nécessaire.

11 jours de négociation… Nous disposons du diagnostic, ce diagnostic est partagé, les solutions sont pour la plupart connues, elles sont à portée de main… Il s’agit de passer aux engagements qui dépassent les intérêts nationaux pour s’inscrire dans l’intérêt mondial – l’un et les autres n’étant pas contradictoires… Il reste quelques heures aux dirigeants du monde pour montrer s’ils savent encore ce qu’est l’implication politique, l’ambition, le respect du passage du discours qu’ils portent aux actes et engagements, ou s’ils préfèrent porter la responsabilité d’un échec pour l’humanité…. Et tout le monde attend le prix Nobel de la paix 2009 : Barack Obama.

II/ Le dénouement inachevé

Le jour J, le jour du dénouement du sommet de Copenhague aurait pu être un moment historique, il a été historiquement pathétique dans la démonstration de l’incapacité des dirigeants du monde à se montrer à la hauteur de leurs responsabilités. A Copenhague, nous l’avons attendu et espéré le Jour J. Il n’est pas venu. Le discours de Barack Obama a fait l’effet à tous d’une douche froide. Jusqu’au bout je garde le sentiment que nos gouvernants ne se sont pas donné les moyens de répondre aux enjeux qui leur étaient soumis. Gouvernants d’un vieux monde qui refusent de faire face au nouveau monde qu’il nous faudrait subir parce qu’ils refusent d’agir !

Parce qu’à n’en pas douter, le pire, aujourd’hui, à la sortie du sommet de Copenhague serait de faire croire en un succès alors que rien n’a été résolu. Il n’y a pas de traité de Copenhague, composé de chiffres et d’engagements précis, qui aurait permis d’apporter une réponse solide à
la crise climatique. De ce point de vue, si l’on attendait que Copenhague soit le terme réussi d’une négociation démarrée à Bali en 2007, Copenhague est un échec. Le texte qui vient d’être voté par la Conférence des Parties sur proposition d’une vingtaine de Chefs d’Etats est insuffisant : pas d’objectif de réduction pour 2050, la définition de l’objectif à 2020 est renvoyé à janvier 2010, la conclusion d’un accord juridiquement contraignant est renvoyé à plus tard… la somme des promesses sur la table est insuffisante pour limiter le réchauffement climatique à 2°. Nous sommes en route pour un réchauffement allant au delà de 3.5° sur la base d’un accord en ces termes. Le GIEC a décrit l’impact dévastateur que cela aurait sur le peuple, les pays et les écosystèmes autour du monde.

L’histoire n’est donc pas terminée. «Le chant des sirènes et la sottise des hommes» devient un conte du XXIème siècle en 3 épisodes. Une trilogie dont Copenhague serait le Tome 2, après Kyoto. Mexico, fin 2010, constituera le dénouement… En attendant, il est clair que les prochaines semaines et prochains mois seront très importants pour le mouvement écologiste français, européen et mondial… Maintenant j’espère et aspire à ce que Copenhague sonne et sonnera comme un glas pour tous ces politiciens qui nous condamnent et sont incapables de comprendre et d’imaginer l’opportunité du changement social et sociétal que nous impose le changement climatique!

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