Libye : Le bon choix
L’intervention militaire dans un pays est une décision lourde de conséquences. C’est l’option ultime. L’Histoire récente a été jalonnée de plusieurs démarches de ce type menées sous le couvert des résolutions de l’ONU. Pour les quinze dernières années, on recense ainsi les Balkans, à deux reprises durant les années 90, en Bosnie au lendemain du massacre de Srebreniça, puis au Kosovo menacé d’une « normalisation » sanguinaire par les dirigeants alors au pouvoir en Serbie.
Plus tard, dans la suite des attentats du 11 septembre 2001 par Al Qaïda, il y a eu l’Afghanistan, puis l’Irak, en deux temps, d’abord par la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au profit du Kurdistan et du sud chiite, puis par une intervention directe, et très controversée, des troupes américaines et anglaises, intervention décidée pour renverser Saddam Hussein. Ces interventions au cœur du monde musulman ont été décidées essentiellement par les Américains avec le relais des Britanniques. S’y ajoute désormais l’intervention en Libye, principalement à l’instigation de la France, des USA et du Royaume Uni.
Avec le recul, ces interventions militaires de la communauté internationale ont un bilan contrasté. En Bosnie, elle a été tardive, et plusieurs dizaines de milliers de civils bosniaques l’ont payé de leur vie sous les coups de « l’épuration ethnique » lancée par Slobodan Milosevic. Il faut dire que cette intervention, à l’époque, a brisé de nombreux tabous, notamment les tabous « pacifistes » de la gauche -François Mitterrand avait fini par consentir à cette intervention, ainsi que l’Allemagne dont le Ministre des Affaires Etrangères était à l’époque l’écologiste Joshka Fischer. Celle qui a suivi au Kosovo a été lancée bien plus rapidement, ce qui a permis d’éviter un bain de sang. Aujourd’hui la carte des Balkans se stabilise, sur la base de la libre détermination des peuples qui y vivent -indépendance du Montenegro, puis du Kosovo- ; la Serbie abandonne progressivement ses penchants hégémoniques ; Croatie et Slovénie reconstruisent un voisinage pacifié en réglant des conflits frontaliers datant d’un siècle et rejoignent l’Union Européenne, au sein de laquelle la Slovénie a même déjà rattrapé le peloton de tête des pays économiquement forts et démocratiquement avancés. Qui, à part Le Pen et Mélenchon, pourrait nier que ce bilan est largement positif, et regretter encore la défunte Yougoslavie ?
Dans les initiatives anti-Al Qaïda, les USA, victime ciblée par les attentats de New York et Washington, étaient directement concernés, avec de surcroît des intérêts économiques colossaux comme dans les champs pétroliers irakiens, et, qui plus est, avec un Exécutif alors emmené par George Bush Jr, un des plus grands va-t-en guerre ayant jamais présidé les Etats-Unis. L’enlisement en Afghanistan, et l’échec de l’invasion irakienne, alors que la zone d’exclusion aérienne précédemment mise en place au Kurdistan et dans le sud chiite avait été un succès, ont marqué les limites de cet interventionnisme international sous contrôle de la diplomatie américaine. Et notamment la principale d’entre elle : le respect impératif de la volonté démocratique des peuples concernés.
C’est au regard de cette donnée essentielle que l’on doit considérer que l’intervention libyenne est un choix justifié. Le dictateur Saddam Hussein n’avait rien à envier à Mouammar Kadhafi, mais le soulèvement du peuple libyen, parti de Cyrrhénaïque et de Benghazi, puis étendu à toutes les grandes villes du pays, a légitimé en Libye une intervention qui était illégitime en Irak. En Libye, la volonté du peuple de renverser le dictateur a été amplement démontrée, et le bénéfice d’un armement de guerre et de mercenaires stipendiés par l’argent du pétrole, allait conduire à l’écrasement des forces démocratiques d’opposition. A l’heure du « printemps arabe » qui fait espérer des jours nouveaux pour ce grand espace géopolitique qu’est le bassin méditerranéen, il fallait avoir recours à la force pour empêcher le peuple libyen de vivre à nouveau des décennies d’un tyrannie sanglante.
Et, il faut bien le reconnaître, face à une diplomatie européenne inexistante, et face à une Allemagne tournant résolument le dos à l’espace méditerranéen, et pas seulement par rapport à la question libyenne -voir ce qui s’est passé au moment de la crise grecque-, la détermination des chefs d’Etat français et britanniques, Nicolas Sarkozy et David Cameron, a fait pencher opportunément la balance du bon côté, avec le concours de Barack Obama et d’une diplomatie américaine mieux inspirée que du temps de George Bush.
Demain on ne pourra que se féliciter de cette intervention qui permettra de ne pas compter un régime dictatorial et dangereux de plus aux portes de l’Europe : c’est tout l’espace méditerranéen qui y gagnera. Et la Corse aussi.
François ALFONSI