Macro-région Méditerranée : Un chantier prioritaire pour l’Europe
Les espoirs mis dans l’Union pour la Méditerranée, 43 pays membres dont les 27 Etats européens, ont été largement déçus. Beaucoup de choses étaient viciées dès le départ. Les dictatures de la rive sud y avaient imposé leur emprise, le conflit palestinien y envenime constamment les échanges, et l’Europe des 27 y a également généré des blocages multiples par la contradiction très vive entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Cette contradiction est historique entre ceux qui regardent vers l’Est, et ceux qui regardent vers le Sud. Mais elle s’est aussi inscrite dans l’actualité européenne de pays méditerranéens endettés et en pleine crise économique, critiqués avec virulence par les pays du Nord pour avoir déstabilisé la monnaie commune. Du Danemark à l’Allemagne, des Pays Bas à la Suède ou la Finlande, les opinions publiques, travaillées par de très agressives campagnes médiatiques, poussent les gouvernants à se retirer de tout engagement méditerranéen d’envergure, et ces gouvernants, qui dominent aujourd’hui la scène européenne, entraînent dans leur sillage une Commission Européenne plus suiviste que jamais. Pourtant une faiblesse structurelle évidente de l’espace européen méditerranéen est l’absence de coopérations et le cloisonnement qui sépare les territoires, à commencer par les îles. La multiplication des échanges et des coopérations en Méditerranée est une condition sine qua non de son renouveau économique.
C’est dans ce contexte qu’a surgi, tout au long de l’année 2011, le « grand chambardement » dans tous les pays ou presque de la rive sud, avec à la clef des remises en cause radicales. Les États européens, et notamment ceux qui étaient les plus actifs dans le « dialogue Nord-Sud », délicat euphémisme pour qualifier la complicité avec les dictatures en place, se trouvent sans repères, et sans légitimité. La valse des ministres qui étaient ouvertement compromis, comme Michelle Alliot-Marie en France, n’a pas suffi pour assurer une relève diplomatique crédible. Les relations directes entre les États sont donc mal en point, car les opinions publiques qui se sont révoltées ne leur font pas confiance. Par contre l’Union européenne, comme partenaire jusqu’à présent exempt de corruption ou de soutien à la corruption passée, garde toute sa crédibilité.
Un autre avantage d’une relation à reconstruire autour de l’Union européenne se comprend aisément si on se met à la place des pays tiers. Par exemple la Tunisie : historiquement elle a une relation forte avec la France et l’Italie. Déjà ces deux rapports bilatéraux ne sont pas évidents à harmoniser. Puis il lui faut dialoguer aussi avec la Grande Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne et les autres grandes nations européennes. Pour discuter à chaque fois de la même chose, développement économique, système sanitaire, éducation, lutte contre la pauvreté, etc…, il lui faut multiplier les ambassadeurs et les projets. En s’adressant directement à l’Union Européenne, qui, depuis le traité de Lisbonne, est dotée d’un service de l’action extérieure, sorte de ministère européen des affaires étrangères dirigé par Catherine Ashton, les choses iront plus vite, et mieux, dans un cadre multilatéral.
D’autant que l’Union Européenne est en capacité de développer une « troisième dimension », en associant les Régions d’Europe et les différentes autorités locales concernées, à travers une stratégie macro-régionale centrée sur le bassin méditerranéen. Cette nouvelle forme de développement des politiques publiques européennes a été expérimentée en Mer Baltique, en associant grâce aux crédits de la coopération transfrontalière et transnationale, les différentes entités de cette zone, y compris dans les pays non européens comme la Norvège ou la Russie, qui peuvent bénéficier d’un Fonds consacré à la coopération avec les pays du voisinage. Un tel projet de macro-région est désormais proposé en Méditerranée, à travers un rapport d’initiative que je suis en charge de rédiger pour le compte de la Commission de Développement Régional (commission REGI) du Parlement Européen.
Autour de ce rapport, on mesure les réticences qu’il faut lever, et les oppositions qu’il faut désarmer. Pour beaucoup, elles tiennent au climat général actuel qui pousse à « geler » les initiatives dans un espace méditerranéen en pleine crise économique, avec cette contradiction fondamentale que, paradoxalement, jamais la nécessité d’agir n’a été aussi évidente.
Aussi des appuis se sont manifestés avec force ces derniers jours, notamment à l’occasion du forum « Forumed » initié par le gouvernement autonome de Sicile, les 8, 9 et 10 décembre derniers à Catane. Aux côtés de Raffaele Lombardo, Président de la Région autonome de Sicile, ce colloque a été présidé par Giulio Terzi di Santa Agata, le tout nouveau ministre des affaires étrangères du gouvernement de Mario Monti, ce qui en situe toute l’importance. Une entière séance de travail a été consacrée au rapport en cours de rédaction par la Commission du Développement Régional du Parlement Européen, durant laquelle de nombreux représentants de la « rive européenne » (Sicile, Sardaigne, Crête, … ) ont été rejoints par les représentants de la rive sud pour soutenir l’initiative, et par l’ensemble des organismes de coopération entre les collectivités locales et régionales d’Europe, comme par exemple la CRPM. Le plus surprenant, et le plus encourageant sans nul doute, a été l’appui du représentant de l’Union pour la Méditerranée, conscient que le niveau régional était très souvent mieux adapté que celui des États pour développer des coopérations de terrain. De la sorte, l’argument « basique » objectant qu’une stratégie macro-régionale en Méditerranée serait concurrente de l’action de l’Union pour la Méditerranée est tombé de lui-même !
La suite du calendrier de cette initiative va occuper les douze mois à venir. Dès le 20 décembre, le premier rapport de présentation sera débattu en Commission REGI, ouvrant le processus qui permettra de rédiger le rapport lui-même, qui sera soumis au vote du Parlement européen probablement au printemps prochain. Dans l’intervalle, l’action de sensibilisation continue auprès des Régions concernées. Une fois voté, ce rapport pourrait servir d’appui à une initiative portée par Chypre qui assurera la Présidence tournante de l’Union Européenne au second semestre 2012, à condition d’avoir vaincu les réticences de la Commission Européenne, et bousculé celle des États les plus réticents. Au vu du déroulement du forum de Catane, cela semble possible. En tous les cas, à partir de l’initiative en cours au sein du Parlement Européen, une volonté collective se dessine pour faire en sorte que se crée un outil de développement de l’espace méditerranéen, de type macro-région, en impliquant fortement l’échelon régional.
La Corse y aura bien sûr toute sa place.
François ALFONSI