Michèle Rivasi « Dans les pays où il y a eu un vrai débat démocratique, le nucléaire a reculé »
Michèle Rivasi, membre d’Europe Ecologie et fondatrice de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) revient sur les débats qui suivent la catastrophe de Fukushima.
Pourquoi l’accident de Fukushima fait-il resurgir en France l’idée d’un référendum sur le nucléaire ?
Parce que la question qui se pose immédiatement après ce qui s’est passé, c’est celle de la démocratie et du nucléaire. Vous vous apercevez que dans les pays où il y a eu un véritable débat démocratique, comme en Allemagne par exemple, le nucléaire a reculé : le débat « expert contre expert » fait vite apparaître la balance « bénéfice/risque », montre comment un accident nucléaire peut totalement désorganiser un pays, voir même un continent – ce que l’on peut justement constater avec ce qui se passe actuellement au Japon. Le débat n’a jamais été démocratique en France – comme en Russie et au Japon.
Dans ces trois pays, le nucléaire a été imposé à la population. C’est un axe très important à développer je trouve. La catastrophe de Tchernobyl en 1986 a entraîné un référendum en Italie, et ce référendum a conduit à l’arrêt du développement des centrales nucléaires. Le recours à la démocratie et au débat fait vite voir que la population est très réticente sur la question nucléaire. Il encourage aussi le développement de nouvelles énergies. Le sentiment qu’on a aujourd’hui, en France, c’est qu’il faut toujours attendre une catastrophe pour obtenir plus de démocratie sur le nucléaire : cela me semble malheureusement un passage obligé. Car la formation de nos énarques, de nos techniciens, c’est de penser pour les gens.
En France on a toujours refusé le débat sur la question du nucléaire. A chaque fois qu’il y a eu débat, ça a été des débats « gadgets ». Jamais on n’a demandé leur avis aux citoyens, c’est pour cela qu’il faut demander un référendum : je suis tout à fait d’accord avec Cohn-Bendit et Hulot sur ce point.
Est-il réellement possible d’envisager une sortie du nucléaire en France ?
Ça ne va pas se faire du jour au lendemain. On ne peut pas dire qu’on va arrêter toutes les centrales maintenant. Il faudrait commencer par fermer celles qui sont construites sur des failles sismiques, pour éviter un scénario à la Fukushima – je pense aux centrales de Fessenheim, Cruas, ou encore Tricastin. Le plus urgent c’est Fessenheim, en Alsace, parce que c’est une très vieille centrale – plus de trente ans – qui a été construite sur des normes de sismicité qui ne sont plus à l’ordre du jour.
Après il faut réévaluer toutes les autres centrales, et voir les différents scénarios de sortie du nucléaire. On peut par exemple songer à supprimer le chauffage électrique dans les habitations, ça occupe énormément de réacteurs dont on pourrait se passer. On peut aussi se passer de certains gaspillages dans le domaine de l’éclairage public, lancer un grand plan d’isolation des bâtiments – appuyé par une réorientation du budget.
Tout cela peut développer de l’emploi via les énergies renouvelables. Actuellement en France on va exactement vers l’inverse, puisqu’on a arrêté le débat sur le photo-voltaïque, autrement dit l’énergie solaire. Depuis son arrivée, Sarkozy a limité de façon draconienne le développement de ce genre d’énergie, parce qu’il trouvait justement que ça pénalisait le nucléaire. Alors que partout le solaire se développe. On marche sur la tête.
Quels sont les conséquences du drame de Fukushima sur les populations ?
Les Français qui vivent au Japon doivent-ils quitter le pays. L’Eurasie risque d’être touchée : les Deux Corées, une partie de la Russie. Et puis comme le nuage part vers le Pacifique, on peut penser à toutes les îles qui arrivent après : Hawaï, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Nouvelle-Calédonie – et puis juste derrière il y a les Etats-Unis bien sûr. Dès qu’il y a une alerte il faudra recouvrir au confinement, ne plus consommer les produits des jardins, procéder à des stockages d’eau. On n’est pas encore dans la situation de Tchernobyl, mais je dois dire que je suis assez pessimiste pour la suite. Je pense que l’Ambassadeur de France au Japon devrait vite demander aux Français qui vivent sur place de quitter le pays, je pense que ça ne sert à rien qu’ils restent là-bas.
Propos recueillis par Pierre Siankowski