Non assistance aux démocrates tunisiens en danger
Taoufik Ben Brik ne peut compter que sur lui-même. Jeudi 19 novembre, lors de la première et unique audience de son procès, aucun représentant de l’ambassade de France n’était dans la salle. La veille au soir, le Quai d’Orsay se concertait encore avec ses partenaires européens sur l’envoi d’un observateur. Malheureusement, la conciliation diplomatique l’a emporté sur une présence qui s’imposait.
Pourtant la situation ne cesse de s’aggraver en Tunisie. Au-delà du cas de Taoufik Ben Brik, une véritable chasse aux dissidents s’est ouverte. Depuis qu’il s’est reconduit pour son cinquième mandat, le 25 octobre dernier, le président Zine el-Abiddine Ben Ali, laisse sa police politique faire place nette. Jamais les domiciles des avocats et des journalistes n’avaient été surveillés aussi étroitement. Sihem Bensedrine, journaliste indépendante, est quasiment assignée à résidence, tant les services spéciaux en civil sont nombreux et menaçants, devant sa porte.
Pour la première fois, les défenseurs des droits de l’Homme, pourtant habitués aux pires coups tordus du régime depuis plus de 20 ans, ont la peur au ventre quand ils sortent de chez eux. Certains évoquent même ce qu’ils ont toujours refusé d’envisager : l’exil. Le président Ben Ali est en passe de gagner son pari et de faire taire, une à une, les voix discordantes dans son pays. Par la terreur. Dans ce contexte extrêmement préoccupant, le silence de la France et de l’Union européenne est dangereux.
Les dirigeants européens préfèrent les sujets internationaux plus nobélisables et ont des intérêts plus triviaux à préserver. Et Ben Ali se délecte des rares démarches confidentielles laborieusement entreprises par les diplomates européens. Il connaît les atouts de son jeu : le soutien à l’Union pour la Méditerranée, si chère à Nicolas Sarkozy, la lutte contre l’intégrisme islamique, la soi-disante stabilité économique de son pays, l’accueil de millions de touristes en provenance de toute l’Europe. Dans ces démarches, le chef de l’Etat tunisien est en position de force. Il connaît les lignes rouges : pour un pays arabe et musulman, dont le dirigeant ne professe pas publiquement de propos antisémites et ne harcèle pas ostensiblement sa minorité chrétienne, le seuil de déclenchement de l’indignation internationale est très élevé.
L’interpellation publique est le seul levier possible sur un homme qui s’enferme de plus en plus dans son autisme. Tous les démocrates tunisiens attendent une déclaration forte de Nicolas Sarkozy. Ils n’ont pas oublié les promesses, en 2007, de celui qui n’était alors que candidat à la présidentielle. Il vantait alors les mérites d’une autre politique étrangère, dans laquelle la défense des droits de l’homme ne serait pas inversement proportionnelle au potentiel d’investissement économique. Espoirs déçus…
La Tunisie quémande auprès de l’Union européenne un statut de coopération avancé, semblable à celui dont bénéficie le Maroc. Il serait scandaleux que l’Europe accède à cette demande tant que le respect des libertés fondamentales ne sera pas assuré en Tunisie. La nouvelle Haute représentante de l’Union européenne, Catherine Ashton, doit saisir cette occasion pour prouver qu’une véritable diplomatie à l’européenne est possible, et que l’accord d’association UE-Tunisie et son article 2, les conventions internationales, les lignes directrices sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme, tous ces instruments si chèrement négociés et si fièrement brandis ne sont pas des joujoux pour distraire les « droits de l’Hommistes ».
Taoufik Ben Brik connaitra son verdict le 26 novembre. Il risque cinq ans de prison. Si rien n’est fait d’ici là, il sera condamné et le régime tunisien aura réussi à briser l’une des plus belles plumes du pays. Taoufik pourra continuer à manier les mots avec panache, il ne sera plus lu. La liberté de parole et la critique politique s’éteindront encore un peu plus en Tunisie. Avec la complicité de ceux qui se seront tus.
Signataires : Hélène Flautre, Députée européenne Europe Ecologie, William Bourdon, Avocat, et Jean-François Julliard, Secrétaire général de Reporters sans frontières