Programme de Stockholm : analyses et perspectives

23 novembre 2009
[(La législature parlementaire issue des élections de juin 2009 s’ouvre sur de nouvelles perspectives quant aux politiques européennes en matière d’asile et d’immigration. D’un point de vue institutionnel tout d’abord, avec l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne. D’un point de vue politique également, avec l’adoption du Programme de Stockholm qui fixe les grandes orientations de l’Union européenne dans le domaine de la justice, de la sécurité et de la liberté pour la période allant de 2010 à 2014, faisant ainsi suite aux programmes de Tampere (1999-2003) et de La Haye (2004-2009).)]

Le Traité de Lisbonne: un progrès en matière de démocratie et de droits de l’homme

Par son entrée en vigueur le 1er décembre 2009, le Traité de Lisbonne est porteur de nombreuses avancées, en particulier dans le domaine Justice, Liberté et Sécurité.

Tout d’abord, le Parlement européen devient un véritable colégislateur, aux côtés du Conseil. En effet, la procédure de codécision s’appliquera à tous les domaines de décision même ceux qui ne requièrent actuellement que la simple consultation du Parlement ou ceux pour lesquels le Parlement est exclu. Ainsi, ce domaine, jusque là entre les mains des Etats membres, et donc particulièrement opaque, devient davantage transparent et démocratique.

Cette démocratisation du processus décisionnel européen sera confortée par le rôle accru des Parlements nationaux. Leur capacité d’évaluation sera renforcée, notamment sur le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité des propositions européennes. Leur coopération avec le Parlement européen permettra de disposer d’une véritable force interparlementaire, afin notamment de veiller au respect des droits et libertés des personnes.

Réelle avancée en matière droits de l’Homme, la Charte des droits fondamentaux aura désormais la « même valeur légale que les Traités » et sera ainsi pleinement contraignante pour toutes les institutions, organes ou agences de l’UE ainsi que pour les Etats Membres dans la mise en œuvre des législations européennes. De même, l’UE aura le pouvoir et l’obligation d’adhérer à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ce qu’elle ne peut pas faire actuellement. L’Union européenne et les Etats membres ne pourront plus se cacher derrière des déclarations de bonnes intentions liées aux « valeurs européennes », puisque désormais les citoyens européens pourront se prévaloir de ces instruments juridiques contraignants devant les juridictions nationales et communautaires.

Le programme de Stockholm: une approche sécuritaire de l’asile et des migrations obsolète

Faisant suite au programme de la Haye, le programme de Stockholm persiste dans l’approche sécuritaire des questions migratoires à travers une stigmatisation de l’immigration, construite politiquement comme un problème.

Beaucoup de notions qui y sont développées mériteraient un réel débat de fond. Lorsqu’il évoque une « Europe des citoyens », le programme de Stockholm écarte toutes ces personnes, notamment ressortissants de pays tiers, qui, si elles ne sont pas citoyennes de l’UE puisqu’elles n’ont pas la nationalité d’un Etat membre, jouissent de droits fondamentaux.

De même, la notion de « sécurité » se résume à la lutte contre la criminalité et le terrorisme: sa dimension humaine, qui garantirait la protection des droits des personnes, est totalement écartée au profit d’une approche paranoïaque et réactionnaire, en particulier vis-à-vis des phénomènes migratoires, qui plus est ceux dits « illégaux ».

A l’inverse, une approche humaine des migrations fait cruellement défaut dans le Programme de Stockholm. Dans le Rapport mondial sur le développement humain de 2009, le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) examine la migration sous l’angle du développement en répondant à des questions élémentaires : qui sont les migrants? d’où viennent-ils? où vont-ils? pourquoi se déplacent-ils? Cette approche, essentielle pour une réelle compréhension des phénomènes migratoires, fait défaut dans les politiques européennes d’asile et d’immigration.

Et pourtant, le droit à la mobilité des personnes apparait clairement comme une des politiques les plus prometteuses contre la pauvreté et les impacts humains du changement climatique. C’est pourquoi les gouvernements européens devraient, au lieu de s’évertuer à mettre des obstacles -très coûteux- au déplacement, davantage protéger et accompagner les migrants. Rappelons ici que les migrants sont les plus grands contributeurs de l’aide au développement puisque leur apport correspond à plus du double du montant total de l’aide internationale.

Perspectives d’actions et de résultats pour la législature

En ce début de législature, les perspectives sont nombreuses pour développer cette approche dans les politiques européennes d’immigration et d’asile et obtenir des résultats.

Tout d’abord, il n’y aura aucune avancée en matière de droits de l’Homme si aucune évaluation n’est faite de la mise en œuvre des décisions européennes à cet égard. Un organe indépendant, tel que l’Agence européenne des Droits Fondamentaux, aurait ici un rôle pertinent à jouer et devrait donc voir son champ de compétences élargi. D’une part, tout un travail d’évaluation et de documentation sur les manquements aux engagements pris en matière de droits de l’Homme devrait lui être attribué. D’autre part, ses recommandations devraient obligatoirement être traitées au Parlement européen et au Conseil. Ce mécanisme indépendant, objectif et contraignant serait tout à fait utile, notamment vis-à-vis des activités de Frontex. De fait, ses agents n’ont aucune obligation de résultats vis-à-vis des droits de l’Homme. Or, les risques sont nombreux -et trop souvent avérés – de violation du principe de non refoulement. C’est ainsi, et seulement ainsi, que l’Union européenne pourra pallier ces manquements et ainsi légitimement déclarer les droits de l’Homme comme une de ses valeurs essentielles. D’ailleurs, une évaluation de la directive Retour donnerait sans aucun doute des résultats très significatifs des violations des droits des personnes induites par les politiques européennes en matière d’asile et d’immigration.

Ensuite, une remise en cause du règlement de Dublin s’avère indispensable. De nombreuses juridictions nationales ont reconnu que ce système pouvait entraîner la violation des droits fondamentaux. Il est également d’un poids financier disproportionné. D’autres approches pour déterminer la responsabilité d’un Etat sont nécessaires, comme les liens culturel, linguistique ou familial avec un Etat membre, ce qui favoriserait logiquement l’intégration de ces personnes.

Enfin, de nombreuses autres mesures doivent être envisagées. Par exemple, le statut de résident de longue durée devrait pouvoir s’appliquer aux personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire. Des dispositions en matière de non discrimination et vis-à-vis des personnes non expulsables manquent également à la législation européenne.

Les perspectives sont donc nombreuses et les champs d’action ne manquent pas. Les progrès permis par le Traité de Lisbonne doivent être saisis par le Parlement européen afin qu’il s’affirme comme un véritable colégislateur, toujours aussi soucieux du respect des droits de l’Homme, avec une attention toute particulière sur les propositions de règlements européens qui suivront les orientations prises par le Programme de Stockholm, notamment en matière d’asile et d’immigration.

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Un commentaire

  • Hermann dit:
     - 

    Il faudra sans doute instaurer un observatoire permanent visant les actions à l’encontre des droits fondamentaux des immigrés, par exemple lorsqu’il s’agit, dans le cadre de Frontex, de refouler des réfugiés en pleine mer.

    Rendre public la nationalité des policiers ou gardes frontières et ensuite confronter les politiques nationaux avec ces reportages me semble constituer une mesure urgente.

    Qu’en pensez-vous?

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