L’Union renouvelle l’aide européenne pour le développement

22 avril 2022

David Cormand livre ses réflexions sur le nouveau mécanisme de financement d’aide au développement tel que proposé par le Conseil de l’Union européenne.

L’Union européenne est le premier acteur mondial de l’aide au développement, avec presque 80 milliards d’euros alloués en 2021, et près de 300 milliards prévus pour la période 2021-2027. Bien qu’étant loin de répondre aux besoins évalués par les Nations unies, cela représente pas loin de la moitié des fonds à l’échelle mondiale. Pour avoir une idée des ordres de grandeurs, il faudrait, pour être à la hauteur des enjeux sociaux, sanitaires, éducatifs et écologiques, une contribution 20 fois supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui.

Pour coordonner au mieux ces programmes et ces fonds, les États membres de l’Union européenne ont souhaité créer une nouvelle architecture financière européenne pour le développement — désormais connue sous le nom de « EFAD » (European Financial Architecture for Development).

Les réflexions à ce sujet ont été initiées en juin 2018 avec la mise en place par le Conseil d’un groupe de sages, chargé d’un rapport visant à redéfinir les rôles respectifs de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et de la Banque européenne d’investissement (BEI) hors des pays de l’Union européenne.

En gros, comment faire en sorte d’être plus efficients et éviter que deux structures ayant des objets d’intervention similaires ou assez proches ne se marchent sur les pieds.

Le rapport du groupe des sages, publié en octobre 2019, recommandait la création d’une Banque européenne pour le climat et le développement durable. Cependant, les États membres ont immédiatement rejeté l’option de créer une toute nouvelle banque, la jugeant trop coûteuse et trop longue à mettre en œuvre au cours de la nouvelle période budgétaire. Deux options étaient alors sur la table :

  • Option 1 : transformer la BERD en banque de développement de l’Union européenne en y incluant les opérations de la BEI en dehors de l’Union ;
  • Option 2 : créer une filiale de la BEI chargée des activités de la BEI en dehors de l’Union européenne, en incluant les activités de la BERD.

Même sans être une ou un « sage », convenons qu’arriver à une telle alternative relevait du bon sens…

Mais, comme souvent, rien n’est simple… Divisés entre ces deux propositions, les États membres de l’Union européenne ont demandé une étude de faisabilité pour évaluer à nouveau ces deux options… tout en demandant un troisième scénario possible ! Ce dernier, appelé Statu Quo+ (il fallait l’inventer… Adjoindre au terme « statu quo », le signe « + ». Ou comment faire passer la vessie du renoncement pour les lanternes de l’innovation), est celui retenu par les États membres dans leurs conclusions du Conseil du 4 juin 2021. C’est sur cette base que le Parlement doit se positionner.

La commission des budgets du Parlement européen est donc appelée à se prononcer sur ce dossier, et c’est à moi qu’il incombe, au nom de notre Groupe, d’y porter la voix des écologistes.

Statu quo + : une solution qui ne nous satisfait pas

En n’assumant pas de réellement moderniser ces fonds, le flou sur la répartition des compétences fait que la compétition entre la BEI et la BERD va continuer, au détriment de l’efficacité de l’utilisation des fonds européens.

Une banque de développement de l’Union européenne spécifique, et bien définie, aurait pu être une bonne option pour contribuer à la fois aux Objectifs de développement durable et aux objectifs de financement du développement de l’Union européenne, en prenant mieux en considération les préoccupations des pays en développement.

Des inquiétudes sur les objectifs climatiques

Ce nouvel EFAD doit répondre aux objectifs politiques fixés par l’Union européenne et, en premier lieu, aux objectifs de lutte contre le dérèglement climatique. Or, dans l’opinion soumise par la rapporteure à la commission des budgets, la dimension climat et biodiversité est, malheureusement, réduite à peau de chagrin. Pourtant, il est absolument crucial que toutes les opérations de l’EFAD soient alignées sur la trajectoire des 1,5°, ainsi que sur les Objectifs de développement durable.

En outre, nous rappelons qu’aucune opération ne devra financer les secteurs qui alimentent la crise climatique, à commencer par les industries des combustibles fossiles. Nous nous battons pour que cela soit le cas au sein de l’Union européenne, objectif vers lequel tend la BEI, mais il est évident que les mêmes standards doivent être appliqués hors de l’Union.

Être exemplaire sur le devoir de vigilance

Il est capital que les activités de l’EFAD soient soumises à des études d’impact en amont et en aval de leur mise en œuvre. Les projets doivent, par ailleurs, être systématiquement passés au crible de l’additionalité et de l’angle « développement » pour évaluer leur pertinence, ceci étant d’autant plus vrai dans les cas où le secteur privé est impliqué (ce qu’on appelle blended finance et qui est de plus en plus mobilisée).

Ce point est fondamental. En analysant uniquement en aval, c’est-à-dire quand les projets aboutissent, on ne perçoit, par définition, que les trains qui arrivent à l’heure. Ce qui n’est pas sans intérêt. Mais en revanche, les projets qui n’aboutissent pas, ou qui évoluent sensiblement, passent dans une certaine mesure sous les radars de l’évaluation. Concernant la participation privée, elle n’est pas à proscrire mais il faut veiller au fait que l’intérêt public de développement demeure prioritaire par rapport à des intérêts de rentabilité qui animent des investisseurs privés. Plus important encore, si on en arrive à conditionner l’intervention de l’aide au développement via nos outils d’investissement européen à des co-financements privés, on risque de ne plus aider les projets et les territoires les plus atteints par les crises et les plus pauvres car ces derniers ne seront pas assez « bankable » pour des investisseurs dont les motivations sont essentiellement lucratives.

La transparence des flux gérés par les intermédiaires financiers est également une composante indispensable à la réussite de cet instrument.

Pour ce faire, il est nécessaire, pour les différentes institutions impliquées, d’allouer d’importants moyens pour faire le suivi des projets sur le terrain, en créant d’avantage de structures sur place comme cela a été fait avec le « hub » de la BEI à Nairobi.

Nous voulons, également, veiller à la capacité de contrôle et d’évaluation de ces activités par des tiers, notamment la Cour des comptes européenne. Or, aujourd’hui, compte tenu de son organisation interne, il y a des « trous dans la raquette ». Sans entrer dans les détails, certaines activités de développement en dehors de l’Union, notamment les prêts garantis, se trouvent dans une zone qui est partagée entre la première et la deuxième chambre de la Cour des comptes. Cela a pour conséquence que celle-ci n’a pas les ressources ni le mandat pour investir et évaluer ces activités.

Comme vous le constatez si vous avez continué à lire ce billet jusqu’ici, ces sujets sont techniques mais ils ont des implications concrètes vitales non seulement pour des millions de personnes dans le monde, et notamment dans des zones soumises à des crises effroyables, mais aussi pour l’avenir de notre planète. Les banques d’investissement européennes sont des leviers parmi les plus puissants du monde — même si on a vu qu’ils étaient insuffisants — pour contribuer à changer le monde.

Les discussions vont continuer dans les prochains mois, et, avec le groupe écologiste, nous serons vigilant·e·s pour défendre tous ces enjeux essentiels que sont le climat, l’accès au développement et à des moyens de subsistance dignes et les droits humains dans ce nouvel instrument.

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