Responsabilité Sociale des Entreprises : un jour sombre pour l’Europe

18 novembre 2025

Ce 13 novembre a marqué un tournant pour la construction européenne. Et pas dans le bon sens. Le Parlement Européen a décidé en effet  de soutenir ce qu’on appelle « l’Omnibus 1 », un texte proposé par la Commission Européenne qui marque un retour en arrière majeur en matière de Responsabilité Sociale des Entreprises au sein de l’UE.

Les avancées du mandat européen précédent viennent d’être balayées. Et ce vote a été acquis grâce à une alliance entre le PPE, qui est le groupe de droite au Parlement européen, et les groupes d’extrême droite. Une première sur une législation européenne et un choix lourd de conséquences pour l’avenir.

Le renversement d’alliance des conservateurs

Depuis les années 1970 en effet, le Parlement Européen était dominé par une majorité composée du groupe S&D (les socialistes), du groupe Renew (les libéraux), et du groupe PPE (les conservateurs). Toutes les législations adoptées jusqu’ici l’ont été suite à des compromis passés entre ces forces politiques.

Lors des élections de 2024, la montée de l’extrême droite a modifié substantiellement les équilibres passés au sein du Parlement Européen en faisant apparaître pour la première fois une nouvelle majorité potentielle, associant le PPE et les différents groupes d’extrême droite. Cette nouvelle majorité potentielle s’était concrétisée dès septembre 2024 lors du vote d’une résolution, non contraignante, au sujet de la situation au Venezuela. D’où le nom de « majorité Venezuela » qui lui est attribué depuis. Cette même majorité droite-extrême droite avait ensuite décidé dans la foulée d’attribuer le Prix Sakharov à des opposants vénézuéliens plutôt qu’à des acteurs investis pour la paix au Proche-Orient comme le souhaitaient les autres forces politiques.

Un chantage permanent

Depuis lors, le PPE utilise systématiquement ce levier d’une possible majorité avec l’extrême-droite pour extorquer des concessions importantes à leurs « partenaires » de la majorité censée soutenir la Commission Von der Leyen 2 sur tous les textes en discussion. Avec le vote de jeudi dernier, un pas supplémentaire a été franchi : le PPE est allé au bout de sa démarche en votant pour la première fois avec l’extrême droite sur un texte législatif. C’est l’alliance avec les sociaux-démocrates et les libéraux qui est ouvertement renversée.  

Dès sa mise en place, la Commission Von der Leyen 2 s’est lancée dans un vaste exercice de dérégulation tous azimuts. 

Le prurit trumpien de dérégulation de la Commission européenne

Il y a tout lieu de craindre que ce prurit trumpien de dérégulation tous azimuts nuise avant tout à la santé, aux libertés, aux conditions de travail et à la qualité de vie des Européens tout en freinant l’indispensable mutation écologique de nos économies. Il est de plus fortement permis de douter qu’une telle dérégulation serve réellement la compétitivité de l’économie européenne comme le prétend la Commission : c’est au contraire toujours le renforcement des règles qui pousse les entreprises à innover pour trouver un substitut à telle ou telle substance dangereuse, un moyen d’emballer des produits en se passant de plastiques ou encore comment se déplacer ou se chauffer sans combustibles fossiles…

Dans ce contexte, l’Omnibus 1 vise en particulier à remettre en cause les règles qui venaient tout juste d’être mises en place dans le cadre du Green Deal pour renforcer la responsabilité sociale des entreprises (RSE) actives dans l’UE et les amener à mieux respecter les droits humains et sociaux fondamentaux, en Europe mais aussi dans le monde et à contribuer plus activement à lutter contre le changement climatique et à la protection de l’environnement. 

Des règles qui venaient tout juste d’être adoptées

Adoptée en 2022, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) porte sur le reporting RSE pour pouvoir sortir de l’opacité qui régnait dans ce domaine, et la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD) adoptée en 2024 demandait que les grandes entreprises s’assurent que leurs fournisseurs respectent partout dans le monde les normes fondamentales en matière de droits humains, de droits sociaux et de respect de l’environnement.

Ces législations faisaient suite aux règles du même type adoptées en France en 2017 malgré l’opposition acharnée d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie. Ce mouvement avait été enclenché suite notamment au drame du Rana Plaza en 2013, l’effondrement d’un immeuble usine textile à Dacca au Bangladesh, travaillant en sous-traitance pour les grandes marques occidentales. Un drame qui avait causé la mort de 1135 personnes. 

Un lobbying intense contre la Responsabilité Sociale des Entreprises

Déjà, lors de la discussion initiale, ces directives avaient été l’objet d’un intense tir de barrage de la part du patronat européen, relayé notamment par les gouvernements allemands et français, qui avait beaucoup affaibli les mesures proposées à l’origine. Mais leurs adversaires sont repartis à l’assaut de ces deux textes dès le début du nouveau mandat européen. Et la Commission von der Leyen 2 leur a largement donné satisfaction avec le projet de directive Omnibus 1 présenté le 25 février dernier.

Les exigences de reporting sont simplifiées et ne s’appliquent plus qu’aux entreprises de plus de 1000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires (au lieu de 250 salariés et 50 millions). Quant à la due diligence [i.e. le devoir de vigilance], elle est limitée aux entreprises de plus de 5000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires (au lieu de 1000 salariés et 450 millions) et on ne pourra plus réclamer de dommages et intérêts aux firmes qui ne respectent pas leurs obligations.

Le 22 octobre dernier, le Parlement avait toutefois refusé dans un premier vote le mandat de négociation qui devait permettre de finaliser l’Omnibus 1. Ce vote négatif résultait de la conjonction de ceux  qui à gauche et chez les écologistes, dont j’étais, considéraient qu’on détricotait trop ces directives et de ceux qui à l’extrême droite pensaient au contraire qu’il fallait aller encore plus loin sur la voie de la remise en cause de ces règles. Jeudi dernier, le PPE a donc choisi d’aller au bout de la remise en cause de la RSE en Europe en s’alliant à l’extrême droite.  

Un retour en arrière nuisible à la compétitivité de l’économie européenne

Le paradoxe dans cette affaire c’est que, en s’opposant au reporting RSE et à la due diligence, la droite et le patronat européens affaiblissent en réalité la compétitivité de l’Europe. En l’absence de structures capables d’imposer le respect des normes sociales de base de l’Organisation Internationale du Travail, de la déclaration universelle des droits humains de 1948 ou encore de l’accord de Paris et des normes de base en matière d’environnement, il s’agissait en effet d’utiliser la taille incontournable du marché européen, 20 % de la consommation mondiale, pour limiter le dumping social et environnemental qui s’exerce à notre détriment en s’appuyant sur les acteurs privés qui opèrent sur le marché européen et leurs chaînes d’approvisionnement pour faire pression sur les conditions d’emploi dans le reste du monde. En vidant ces normes de leur substance, on facilite au contraire ce dumping social et environnemental et les délocalisations associées. 

On favorise aussi la pénétration des multinationales étrangères sur le marché européen lui-même. En effet, la CSRD comme la CSDDD ne sont pas réservées aux entreprises européennes : toutes les firmes de taille significative opérant sur le marché européen y sont soumises. Or les entreprises européennes sont a priori nettement mieux préparées à répondre à des contraintes de ce type que des entreprises chinoises, américaines ou encore indiennes qui viennent d’un environnement nettement moins avancé en matière de RSE. En vidant ces directives de leur substance, on facilite donc aussi la tâche à ces multinationales étrangères pour prendre des parts de marché en Europe comme peuvent le faire actuellement en toute impunité des firmes comme Shein, Temu ou encore Amazon.

Une bascule dangereuse pour l’avenir de l’Europe

Non seulement le vote du PPE avec l’extrême droite sur l’Omnibus 1 marque un point de bascule extrêmement dangereux pour l’avenir de l’Union Européenne mais il fait reculer le respect des droits humains et sociaux fondamentaux et la protection de l’environnement, en Europe comme dans le monde, et dégrade en réalité la compétitivité de l’économie européenne…

 

Mounir Satouri

Partager cet article

Les commentaires sont fermés.