Syrie : les défis d’une transition entre espoir et prudence
La chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie, survenue le 8 décembre 2024, marque un tournant majeur, apportant un soulagement au peuple syrien après des décennies de répression et de violence. Comme eux, je me réjouis de la chute de ce régime sanguinaire. Mais ce sentiment et aussi couplée à une grande incertitude : la communauté internationale doit faire preuve d’une vigilance accrue.
Face à l’avenir incertain, la boussole de la justice internationale
Le vide politique et sécuritaire laissé par ce renversement fragilise un pays déjà profondément dévasté. L’arrivée au pouvoir des rebelles menés par les islamistes du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) ne fait qu’accroître l’inquiétude. Même si leur leader, Abou Mohammed al-Joulani, adopte une posture apparemment plus apaisée, ce dernier était une figure importante d’Al-Qaïda, puis de Daesh. Dans ce contexte, il est crucial de ne pas oublier les aspirations à la paix du peuple syrien dans son ensemble et de garantir la protection des minorités.
Ce pays est meurtri par un demi-siècle d’oppression. Son peuple est marqué par l’exil forcé pour échapper à l’arbitraire, à la torture et à la mort. De nombreux crimes contre l’humanité y ont été commis. La découverte du corps sans vie de Mazen al-Hamada nous le rappelle tragiquement. Cet emblématique défenseur des droits humains et réfugié syrien en Europe avait subi les horreurs des geôles du régime de Bachar al-Assad. Malgré les tortures, il avait choisi de témoigner pour révéler les souffrances de milliers de Syriens.
J’appelle le pouvoir syrien à collaborer avec la justice internationale pour collecter et préserver toutes les preuves des crimes contre l’humanité qui ont été commis. La justice est un prérequis à la paix. C’est aujourd’hui qu’il faut garantir les conditions de son exercice dans une Syrie libre et démocratique. Pour soutenir cette démarche, l’Union européenne doit rétablir ses relations diplomatiques dès que possible, tout en maintenant une exigence forte en matière de respect des droits humains, notamment pour la protection des minorités ethniques et religieuses.
La nécessité de protéger le peuple kurde
J’ai une pensée particulière pour la communauté kurde, dont le rôle a été déterminant dans la lutte contre l’État islamique. Elle a été un rempart des valeurs démocratiques, laïques et féministes face à l’obscurantisme de Daesh dans la région. Mais depuis la prise de pouvoir des rebelles, les groupes armés pro-turcs ont déjà provoqué la fuite de plus de 120 000 civils des zones administrées par les autorités kurdes.
Un fragile cessez-le-feu avait été obtenu la semaine dernière sous l’égide des Américains, contraignant les Forces démocratiques syriennes (FDS) à abandonner la ville symbolique de Manbij. Cette ville, libérée des mains de l’État islamique par les forces kurdes en 2016, symbolisait leur résistance. Mais cette accalmie reste précaire : la ville de Kobani, à la frontière avec la Turquie, est encerclée et menacée d’une attaque imminente. Les populations sur place redoutent un nettoyage ethnique. L’Union européenne ne peut pas se contenter de cette pause temporaire. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche laisse craindre un désintérêt imminent pour la région et pour le sort du peuple kurde.
L’intégrité territoriale et la souveraineté de la Syrie doivent être respectées
J’appelle l’Union européenne à peser de tout son poids sur la scène internationale pour obtenir un cessez-le-feu permanent en Syrie et garantir le respect de l’intégrité territoriale du pays, condition sine qua non d’une transition démocratique. Les manœuvres de la Turquie, visant à chasser les Kurdes de certaines zones syriennes à travers les groupes armés qu’elle soutient, représentent un danger absolu pour les droits de la population kurde et la stabilité de la région. Il en va de même pour Israël, qui multiplie les frappes stratégiques en Syrie et occupe le Golan de manière illégale.
La Syrie doit pouvoir opérer une transition démocratique à l’abri des appétits voraces de ses voisins. L’Union européenne doit jouer un rôle décisif en ce sens, en soutenant les aspirations légitimes du peuple syrien tout en veillant à la protection des minorités et à la promotion des droits humains. La justice internationale reste notre boussole dans ce combat pour la paix et la dignité humaine.
Mounir Satouri
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