Dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains: exigeons plus de transparence !
Alors que la répression s’aggrave en Arabie Saoudite et que Mohammed Ben Salmane réussit sa réhabilitation diplomatique, l’Union européenne ouvre ce lundi 7 novembre un dialogue sur les droits humains avec le gouvernement saoudien.
Plusieurs député-e-s européen-ne-s dont Mounir Satouri ont interpellé le Haut représentant de l’Union européenne sur l’approche prise par cette dernière. Mettant en garde contre le risque de participer à la relégitimation du régime, ils soulignent également les prérequis pour encadrer le dialogue avec le royaume.
Courrier à M. Josep Borrell Fontelles, Haut représentant de l’Union européenne
27 octobre 2022
Objet : Recommandations pour rendre le dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains plus transparent et plus efficace
Cher Haut Représentant Josep Borrell,
Ce fut un moment important lorsque, le 27 septembre 2021, le Service européen d’action extérieure (SEAE) a rencontré à Bruxelles des représentants de la Commission saoudienne des droits humains et du ministère saoudien des affaires étrangères pour le premier dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains. Cependant, un an après ce premier cycle de dialogue, il y a peu de signes d’amélioration de la situation des droits humains dans le royaume, et dans certains domaines, il y a des signes de régression. Nous avons assisté à la plus grande exécution de masse connue dans l’histoire du royaume, à certaines des peines de prison les plus sévères jamais prononcées contre des dissidents pacifiques, à l’intensification de la répression de la liberté d’expression et à la poursuite des violences contre la population civile du Yémen.
Alors que le dialogue entre l’UE et l’Arabie saoudite doit se réunir à nouveau en novembre de cette année, nous, les membres du Parlement européen soussignés, vous écrivons pour vous faire part de notre vive inquiétude quant à l’efficacité des discussions et pour vous proposer quelques recommandations. Nous tenons à nous assurer que la poursuite du dialogue est susceptible d’avoir un impact bénéfique, et vous exhortons donc à accroître la transparence du processus et à négocier une feuille de route comportant des critères clairs permettant à la société civile de mesurer les progrès accomplis.
Le dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains a débuté à un moment où la répression était déjà accrue en Arabie saoudite. Depuis que Mohammed bin Salman a été fait prince héritier en 2017, la société saoudienne a été témoin d’une répression sans précédent du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Des vagues d’arrestations ont visé des centaines de défenseurs des droits humains, de militants des droits des femmes, de journalistes, d’universitaires, d’avocats, de personnalités religieuses, d’hommes d’affaires et même de membres de la famille royale. Le prince héritier a également mis en place des mécanismes pour surveiller, intimider et réduire au silence les citoyens saoudiens à l’étranger.
Alors que le royaume s’est ouvert à l’Occident pour attirer les investissements étrangers et qu’il s’est lancé dans une campagne mondiale de relations publiques pour améliorer son image, Mohammed bin Salman a prétendu procéder à des réformes importantes tout en dissimulant des violations des droits humains généralisées et continues. Nous craignons que les autorités ne tentent à présent d’utiliser le dialogue avec l’UE pour crédibiliser leurs affirmations de réforme et dissimuler davantage les violations des droits humains. Déjà, la réhabilitation diplomatique du prince héritier cette année, malgré les conclusions des services de renseignement américains selon lesquelles il a personnellement autorisé le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en 2018, a enhardi les autorités saoudiennes à revenir aux niveaux de répression précédents.
Depuis le premier cycle du dialogue UE-Arabie saoudite sur les droits humains, il y a un an, les groupes de défense des droits humains ont également relevé de nouvelles tendances inquiétantes. De plus en plus d’informations font état de mauvais traitements infligés aux détenus, et de cas où les autorités pénitentiaires semblent avoir imprudemment, voire délibérément, mis en danger la vie de prisonniers d’opinion, ou même précipité des décès en détention, comme le meurtre de Musa al-Qarni en octobre 2021.
On observe également une tendance récente des tribunaux saoudiens à condamner des hommes et des femmes à des peines de prison extraordinairement longues pour des actes de dissidence politique non violente. Le 9 août 2022, Salma al Shehab, universitaire et militante des droits des femmes, a été condamnée à 34 ans de prison, suivis d’une interdiction de voyager pendant 34 ans, pour avoir mené une activité politique pacifique sur Twitter. Une autre Saoudienne, Noura Saeed al-Qahtani, a été condamnée à une peine de 45 ans d’emprisonnement et à une interdiction de voyager de 45 ans, toujours pour avoir tweeté. Abdulilah al-Huwaiti et son parent Abdullah Dukhail al-Huwaiti ont tous deux récemment été condamnés à 50 ans de prison et à une interdiction de voyager pour avoir refusé d’être expulsés de force de leurs maisons pour faire place au projet de mégapole Neom. Et Osama Khaled, un écrivain, traducteur et programmeur informatique initialement détenu en 2020, a récemment été condamné à 32 ans de prison pour des accusations liées à la liberté d’expression.
En 2020, le royaume a annoncé qu’il mettait fin à la peine de mort pour les crimes commis par des mineurs, mais pas plus tard que le 13 juin 2022, la Cour d’appel saoudienne a confirmé la condamnation à mort prononcée à l’encontre d’Abdullah al-Huwaiti le 2 mars 2022 pour des infractions qu’il aurait commises alors qu’il n’avait que 14 ans. Le cadre juridique du pays continue de permettre aux juges saoudiens de prononcer des condamnations à mort à l’encontre de mineurs par divers moyens, notamment des accusations portées en vertu de la loi antiterroriste. Le nombre total de personnes exécutées par le royaume depuis le début de l’année s’élève à 120, dont 81 hommes mis à mort le 12 mars lors de la plus grande exécution de masse de l’histoire récente de l’Arabie saoudite.
Pendant ce temps, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui combat les forces houthies au Yémen continue de commettre des violations du droit international des droits humains et du droit humanitaire qui s’apparentent vraisemblablement à des crimes contre l’humanité, malgré un cessez-le- feu initialement entré en vigueur le 2 avril 2022, renouvelé pour deux mois supplémentaires le 2 août, dans une guerre vieille de sept ans qui a créé la plus grande crise humanitaire au monde. Les affrontements armés se sont à nouveau multipliés et les frappes aériennes de la coalition se sont intensifiées après le non-renouvellement du mandat du groupe d’éminents experts des Nations unies sur le Yémen en octobre 2021.
Comme indiqué précédemment, nous craignons que les autorités saoudiennes ne tentent d’utiliser leur dialogue avec l’UE dans le cadre d’efforts visant à promouvoir Mohammed bin Salman comme un réformateur, plutôt que comme un véritable moyen d’améliorer la situation des droits humains dans le pays. Il existe également un risque, identifié dès 2009 par la politologue Katrin Kinzelbach, que la tenue de dialogues sur les droits humains à huis clos puisse marginaliser la question par rapport au reste de l’agenda diplomatique, et donc limiter l’utilisation par l’UE d’instruments coercitifs en matière de droits humains. Nous demandons respectueusement que cela ne se produise pas.
Afin d’éviter que le Dialogue et le SEAE ne soient utilisés à des fins de relations publiques saoudiennes, nous demandons donc au SEAE de négocier et d’établir une feuille de route des actions à entreprendre par le royaume avant que l’UE ne s’engage dans un nouveau cycle de Dialogue. La première étape de cette feuille de route, étant donné la position officielle de l’Union européenne, réaffirmée par la résolution P9_TA(2021)0357 du Parlement européen, devrait être la signature et la ratification par le gouvernement saoudien du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous demandons également au SEAE d’appeler les autorités saoudiennes à :
- établir un moratoire sur la peine de mort, comme première étape vers une interdiction ;
- réviser sa loi antiterroriste afin de la rendre conforme aux normes internationales en matière de droits humains
- mettre fin aux poursuites et aux restrictions dont font l’objet les prisonniers d’opinion actuels et
Nous demandons également la mise en place d’un système de suivi transparent et public afin de garantir le respect de la feuille de route. Nous demandons donc au SEAE d’accroître la transparence du Dialogue en mettant en place des critères clairs permettant à la société civile d’évaluer les progrès réalisés, et en garantissant un espace pour la société civile régionale et internationale afin qu’elle puisse apporter sa contribution avant chaque cycle du Dialogue et participer ensuite aux sessions de débriefing du SEAE.
Soyez assurés de notre soutien dans vos efforts pour promouvoir cet important dialogue et de notre vif désir que cette initiative apporte des bénéfices tangibles en termes de droits humains.
Sincèrement,
François Alfonsi, député européen, Verts/Alliance libre européenne
Benoît Biteau, député européen, Verts/Alliance libre européenne
Malin Björk, députée européenne, Gauche verte nordique (NGL) / Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne (GUE)
Damien Carême, député européen, Verts/Alliance libre européenne
David Cormand, député européen, Verts/Alliance libre européenne
Andrea Cozzolino, eurodéputée, Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne, Verts/Alliance libre européenne
Karima Delli, députée européenne, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Özlem Demirel, députée européenne, Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique
Raphaël Glucksmann, député européen, Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Claude Gruffat, député européen, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Yannick Jadot, député européen, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Dietmar Köster, député européen, Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates (S&D)
Pierre Larrouturou, député européen, Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Pierfrancesco Majorino, député européen, Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Alessandra Moretti, députée européenne, Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D)
Sirpa Pietikäinen, députée européenne, Groupe du Parti populaire européen (PPE, Démocrates-chrétiens)
Michèle Rivasi, députée européenne, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Caroline Roose, députée européenne, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Mounir Satouri, député européen, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Jordi Solé, député européen, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Tineke Strik, députée européenne, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Marie Toussaint, députée européenne,Verts/Alliance libre européenne (ALE)
Ernest Urtasun, député européen, Verts/Alliance libre européenne (ALE)
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