UE et États-Unis: un besoin de collaboration et d’émancipation

5 octobre 2021

L’élection de Joe Biden a redonné espoir dans la coopération entre les États-Unis et l’Europe. L’Europe et les Etats-Unis doivent œuvrer ensemble pour relever les grands défis d’aujourd’hui: climat, fiscalité, droits humains. L’Europe est dans une position de choix pour entraîner les États-Unis dans la lutte contre le changement climatique, la justice fiscale et les initiatives de paix – ne nous privons pas de jouer ce rôle. L’Europe doit se tenir unie dans cette approche. Ne nous voilons pas la face: la période n’est pas simple pour les relations entre l’UE et les États-Unis, malgré l’élection de Joe Biden. Ne nous laissons pas dicter les orientations et le rythme de notre partenariat par les États-Unis et réalisons nos capacités propres européennes.

Le 5 octobre, Mounir Satouri s’exprimait en séance plénière du Parlement européen sur cette relation importante pour l’avenir de la planète et de l’Europe.

 

Les récents sujets de discorde entre l’Europe et les Etats-Unis

L’affaire des sous-marins (AUKUS)

En signant avec l’Australie et la Grande-Bretagne un partenariat stratégique baptisé AUKUS pour contrer les ambitions de la Chine dans la région indo-pacifique, les Etats-Unis viennent de conduire Canberra à renoncer à la fourniture par la France de 12 sous-marins conventionnels.

Pour Mounir Satouri

Oui c’est une violation du contrat et les États-Unis et l’Australie se sont très mal comportés, les États-Unis ont trahi un allié européen, la France. Il y a eu des problèmes du côté de Naval Group[1], avec des surcoûts et des délais, il ne faut pas l’oublier. Mais la rupture du contrat par l’Australie n’est pas justifiée. De la part des États-Unis, c’est une trahison d’un allié européen. C’est innacceptable.

Face à cette affaire, la France a-t-elle bien réagi ? Cette affaire pose une question, d’abord : comment la France n’a-t-elle pas su anticipé ce virement de bord australien ?

Aussi, je regrette que nous nous concentrions surtout sur le sujet industriel – cette affaire est aussi une montée des périls dans la région pacifique ! Les États-Unis font de l’Australie un allié militaire presque aussi intégré à la puissance américaine que le Royaume Uni, aux portes de la Chine. La Chine n’a pas manqué de réagir en dénonçant « une mentalité de guerre froide ». Inquiétons-nous de cette montée des tensions, pas seulement de nos intérêts industriels.

La sortie chaotique d’Afghanistan

Les États-Unis ont très peu consulté les Européens que ce soit dans la conclusion des accords de paix ou dans la mise en place opérationnelle du retrait d’Afghanistan. La France a anticipé un peu plus tôt que d’autres alliés de l’OTAN mais n’a pas jugé nécessaire de faire partager son analyse avec ses alliés européens.

Pour Mounir Satouri

Il faut émanciper l’Europe des États-Unis dans ce domaine, mais surtout construire une politique étrangère européenne, des processus de décisions européens dignes de ce nom.

Le rôle des Etats-Unis dans la fraude et l’opacité fiscale

Les Pandora Papers le démontrent: le rôle des États-Unis en tant que facilitateur du secret financier au détriment des paradis fiscaux plus traditionnels des Caraïbes s’est considérablement accru. Les États-Unis n’ont pas adhéré aux règles de l’OCDE sur l’échange de renseignements fiscaux et maintiennent à la place leur propre norme. En vertu de la norme américaine, aucune information sur les bénéficiaires effectifs n’est partagée sur les actifs détenus par des citoyens non américains et il n’y a pas non plus de réciprocité totale en termes d’échange automatique d’informations fiscales. Ajoutez à cela que certains États comme le Nevada, le Delaware, le Dakota du Sud et l’Alaska ont des règles agressives en matière d’incorporation et d’imposition des plus-values et vous créez ce qui est en train de devenir le plus grand paradis fiscal du monde : les États-Unis. Le fait que les États-Unis ne soient pas inquiétés à l’international est dû au fait que les examens par leurs partenaires de l’OCDE sont un exercice politique dans lequel les grands pays sont traités avec clémence.

Quelle méthode de coopération transatlantique les écologistes prônent-ils ?

Une priorité: la lutte contre le changement climatique

Pour les écologistes, une priorité doit être faite sur la lutte contre le changement climatique et le déclin de la biodiversité dans la relation entre l’UE et les États-Unis.

Pour Mounir Satouri

L’UE doit conditionner ses relations notamment commerciales avec les États-Unis à de vrais engagements américains sur les objectifs climatiques de Paris et les objectifs de biodiversité. Biden a rejoint l’accord de Paris et a fixé l’objectif de réduire les émissions carbones de 50 % à 52 % de réduction par rapport à 2005. Mais il faut encore voir la mise en oeuvre. Les études suggèrent que -malgré le niveau d’émission collosal américain actuel – les objectifs sont  réalisables et que les obstacles les plus importants sont politiques. Les États-Unis sont responsable de 15% des émissions carbones aujourd’hui et sont historiquement la nation responsable des plus grosses émissions. Il est crucial que – tout comme l’Union européenne, responsable de 8% des émissions – les Etats-Unis remplissent des objectifs climatiques ambitieux.

La fiscalité internationale : une tâche urgente pour les Etats-Unis et l’UE

Mettre un terme à la fraude et l’opacité

Dans l’élaboration de la liste des paradis fiscaux de l’UE,  les États-Unis doivent être traités sur un pied d’égalité, tout comme d’autres pays comme la Turquie qui bénéficient d’un traitement préférentiel. Après les Pandora Papers, une liste de paradis fiscaux de l’UE sans les États-Unis est illégitime.

Fiscalité des multinationales

Les bénéfices des multinationales, dans le système actuel, ne sont pas suffisament taxés. L’administration Biden a proposé à ses partenaires de l’OCDE de fixer à 15% au moins le taux d’imposition sur les bénéfices des multinationales. Washington avait initialement proposé un taux à 21%, soutenu par la France, l’Allemagne et le Parlement européen.

Pour Mounir Satouri

Il faut que les négociations à l’OCDE aboutissent à un niveau décent d’un minimum de 21% et que la France mène des négociations sur une directive européenne sur le sujet dès le premier semestre 2022!

Défendre ensemble les idéaux démocratiques et humanistes

Pour Mounir Satouri,

Parce que nous partageons des idéaux démocratiques et humanistes, les États-Unis et l’Europe doivent peser de tout leur poids pour soutenir les droits humains dans le monde. Faisons front contre les crimes commis à l’encontre des Ouïghours, contre la détention des prisonniers politiques en Égypte. 

Mais ne devenons pas aveugles aux violations dans nos propres régimes politiques. Dans l’intérêt de nos idéaux communs, il est sain que ce Parlement appelle cette semaine le Texas à revenir sur sa loi sur l’avortement [2]. Il est sain aussi, de ne pas détourner le regard lorsque l’administration américaine envisage un centre pour migrants à Guantanamo.

Émanciper la politique étrangère et de sécurité européenne tout en maintenant la coopération

Pour Mounir Satouri

Les États-Unis doivent le respect à leurs alliés. Dans l’affaire de l’AUKUS   le comportement des États-Unis a été inacceptable. Au-delà de la présidence de Donald Trump, nous devons comprendre que les États-Unis ne soutiennent pas toujours les intérêts européens et agissent souvent de manière unilatérale. N’oublions pas l’évacuation chaotique d’Afghanistan : ses conséquences humaines dramatiques auraient pû être mieux évitées si les États-Unis avaient mieux consulté leurs alliés européens. Tirons des leçons pragmatiques pour des relations transatlantiques plus équilibrées. Et construisons enfin une politique étrangère et de sécurité européenne unie et émancipée.

Pour les écologistes européens, l’Europe doit se doter de son propre modèle de sécurité sans suivre les États-Unis sur l’objectif de l’OTAN de dépenser 2% de notre PIB en défense. Plutôt, les euroécolos proposent de réduire les coûts dûs à la duplication des capacités européennes et la fragmentation de la base industrielle européenne de défense, et de se doter des capacités et du processus de décision européen dont nous avons besoin pour agir de manière indépendante lors que nous devons le faire.

Un commerce entre l’UE et les États-Unis qui respecte l’enviromment et les droits sociaux

Enfin, soyons exigeants dans le commerce UE-États-Unis au regard de l’environnement, des droit sociaux, et de la protection des intérêts européens et des consommateurs. Le Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis qui a été tenu pour la première fois la semaine dernière doit donner des résultats positifs en la matière, et développer des standards internationaux, notamment en matière d’intelligence articielle.

Lorsque l’Europe est à la traîne, inspirons nous des Etats-Unis

Si dans bien des domaines l’UE doit entraîner les États-Unis dans un mouvement positif, rappelons-nous que dans d’autres les États-Unis peuvent être plus progressistes.

Interdiction des importations de produits issus du travail forcé

Les États-Unis ont depuis longtemps adopté un cadre juridique pour interdire les produits issus du travail forcé. L’Europe n’en est pas munie, et davantage de produits issus du travail forcé (y-compris issu du travail forcé des Ouïghours) peuvent entrer sur notre marché. Il est plus que temps que l’Europe construise un cadre juridique efficace pour ne plus se rendre complice de ces crimes.

Le sujet des vaccins et de la levée temporaire des brevets 

En mai 2021, Les États-Unis ont soutenu la levée des brevets sur les vaccins COVID, la Commission européenne n’a pas suivi. Le groupe écologiste exhorte la Commission à rejoindre l’initiative de l’administration Biden depuis longtemps. En juin 2021 le Parlement a soutenu cet appel.

[1] Le projet devait coûter 50 milliards de dollars australiens (31 milliards d’euros). Mais ce chiffre a depuis presque doublé et des retards ont également affecté le projet de sous-marin, le ministère australien de la Défense et Naval Group devant prolonger plusieurs étapes importantes du contrat. Aussi, la promesse de milliers d’emplois australiens et d’une aubaine pour l’industrie locale s’est rapidement estompée

[2] la mesure interdit tout avortement dès que l’activité cardiaque du fœtus débute – soit à partir de six semaines de grossesse environ

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