3e maraude – Damien Carême : Se battre pour que la vie humaine soir respectée
Ce soir, samedi soir 13 février 2021, je me sens encore plus déterminé à me battre pour faire respecter les droits et les conventions internationales.
Pour faire respecter ce qui fait la vie humaine, le vivre ensemble.
Traiter des êtres humains comme des bêtes est intolérable.
Inventer tout et n’importe quoi, n’importe quel prétexte, pour repousser des gens, quelle que soit leur situation, est intolérable.
Vendredi soir, après le briefing où j’ai rencontré une petite trentaine de bénévoles, je suis parti, comme chacun·e, rejoindre une position bien précise. Avec Médecins du Monde et son président, Philippe de Botton, notre tâche était de marauder dans le village de Montgenèvre, d’être prêts à intervenir si les équipes sur les pistes retrouvaient des personnes qui nécessitaient une intervention médicale.
Alors que nous tournons dans le village, nous voyons le bus de ligne arriver. Une voiture de gendarmerie est garée. Nous nous approchons. Des gens ont été descendus du bus et emmenés au poste.
Nous nous y rendons immédiatement.
Je me présente. Le chef de poste est prévenu : il m’autorise à entrer, seul. Je lui explique que je suis député européen et je lui dis ce que je fais là. Je propose que Médecins du Monde me rejoigne, il refuse. Ma collaboratrice non plus ne peut pas m’accompagner.
Je me retrouve donc tout seul dans le poste et je demande ce qui est en train de se passer. Réponse : un groupe est entendu à l’étage, ils sont en train de prendre leur déclaration, de vérifier leur identité, de voir s’ils sont en règle. En fonction de tout ça, ils délivreront un refus d’entrer sur le territoire.
Je dis : « Donc en fait vous les refoulez. Et si ces personnes demandent l’asile ? » |
Ce n’est pas le moment de débattre. Je propose donc que Médecins du Monde puisse rencontrer ces personnes. L’agent décline : pas besoin, elles sont en bonne santé.
Je demande à les voir. C’est non : je peux visiter les lieux de privation de liberté, les cellules, donc – la loi y autorise les parlementaires – mais je ne peux pas monter dans les bureaux, où elles ont été installées. Je réponds que je connais ces trois cellules, que ça fait trois fois que je viens voir, que je voudrais voir les gens là-haut : on me l’interdit… je n’ai pas le droit d’accéder à cette partie.
J’annonce que je vais attendre.
Il est 20 heures, je sors.
Je m’installe dans une voiture de Médecins du Monde parce qu’il fait glacial et le vent souffle. Nous attendons deux heures. Vers 22h15, 22h30 je retourne au poste.
Entre temps, le chef de poste a changé.
On me dit que les auditions sont toujours en cours, mais que les personnes n’ont pas présenté de papiers, elles vont se voir signifier un refus d’entrer. La police italienne va être appelée pour venir les chercher. Il s’agit d’une famille.
Je demande à nouveau si tout va bien, s’il faut appeler un médecin : on me répond que non, tout va bien, que la famille est au complet, qu’ils sont tous là, les parents, les enfants, donc que tout va bien.
Je retourne à la voiture. Avec l’équipe, on ne sait pas combien de temps nous allons attendre. Deux heures ? Quatre heures ? Le froid sévit : les maraudes se terminent pour ce soir. Nous décidons de redescendre vers Briançon : demain matin, nous irons rencontrer la famille en Italie.
En chemin, une bénévole italienne appelle pour dire qu’ils sont prévenus qu’une famille va être refoulée. En effet : entre minuit et 1 heure, les agents italiens sont appelés par la PAF et la famille est conduite dans un refuge, en Italie, donc : à Oulx.
Samedi, 9h30 Avec Tous Migrants, je retrouve la famille au refuge, à Oulx. Un papa avec ses deux enfants de 4 et 6 ans et un neveu de 15 ans, donc cousin des deux enfants. La dame n’est pas là : elle a été conduite à l’hôpital car elle est enceinte de plus de 8 mois et demi, ce que s’est bien gardé de me dire le chef de poste la nuit dernière. À son arrivée au refuge, la Croix Rouge italienne l’a emmenée directement à l’hôpital, à une quarantaine de minutes de là, car elle n’allait pas bien. |
Un bénévole humanitaire appelle une interprète farsi-italien pour recueillir le témoignage de la famille : nous apprenons que le bus ne s’est pas arrêté au village précédant le poste frontière. On ne sait pas si ces gens voulaient y descendre et continuer à pied, en tous cas, le bus ne s’est pas arrêté et ça surprend tout le monde.
La famille est descendue du bus, le chauffeur les a remboursés. Au poste, ils ont eu des papiers qu’ils ont refusé de signer. D’après leur témoignage : la police a signé à leur place… Malheureusement sans leur donner les documents ensuite.
Le jeune ado a 15 ans. Il a perdu une partie de l’audition à cause de ce qu’il a reçu comme mauvais traitement notamment en Croatie : il est à bout, il raconte combien le périple a été terrible.
Retour en France Nous sommes révoltés : on s’est bien moqué de nous. Au beau milieu de la nuit glaciale, les forces de l’ordre ont considéré qu’une femme sur le point d’accoucher n’avait besoin d’aucune assistance… Douze heures plus tard, elle donnait naissance à son bébé. |
C’est une évidence : il y a une rupture totale de confiance. Je suis outré de ce comportement des forces de l’ordre françaises, qui agissent sur ordre – ils le précisent tous.
Nous sommes allés, avec Philippe de Botton, trouver le chef de poste pour dire notre indignation, pour dire que leur obstination avait mis en danger la vie de la mère et de l’enfant.
Ces agissements sont scandaleux.
Et il y a aussi cette signature qui vient corroborer différents témoignages déjà recueillis par le passé, témoignages de gens qui refusent de signer les documents qu’on leur demande de signer : les agents, alors, signent à leur place sans le stipuler (la loi les autorise à signer pour eux, à condition que ce soit notifié, relaté sur le document).
Les Maraudes Solidaires mettent l’accent sur la solidarité qui est tant malmenée. Les élu·e·s qui se succèdent sont solidaires du monde associatif, avec les bénévoles, avec les exilé·e·s qui arrivent, avec les ONG, avec toutes celles, tous ceux, qui font en sorte que cette solidarité continue d’exister.
Les combats perdus d’avance sont ceux que l’on ne mène pas.
Il faut bousculer l’opinion publique, il faut faire savoir, il faut raconter.
Il faut expliquer, il faut faire écho aux identitaires, aux bêtises débitées par nos responsables politiques au sujet des migrations et des soi-disant « flux migratoires ».
Il n’y a pas de problème migratoire.
Il y a un drame de l’accueil.
Vous pouvez aussi retrouver ce témoignage sur le site de Damien Carême
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