Accord de libre-échange UE/Etats-Unis : le pouvoir exorbitant des multinationales
La motivation pour ouvrir une nouvelle phase de négociations entre les deux poids lourds du commerce mondial porte précisément sur cela : offrir aux entreprises impliquées dans plusieurs pays le pouvoir d’attaquer directement les gouvernements qui mettraient en place des législations susceptibles de diminuer les profits distribués à leurs actionnaires. Cette règle permet, par exemple, à une entreprise américaine ou européenne par le recours à cette procédure de faire condamner devant une Cour internationale un Etat qui, face à la fronde de citoyens préférant l’eau pure aux gaz de schiste, met en place un moratoire sur la fracturation hydraulique.
Impossible ? Non, cela existe déjà et les cas sont nombreux. L’accord commercial qui lie les Etats-Unis, le Canada et le Mexique a été le premier laboratoire pour les grandes compagnies pétrolières et elles se frottent les mains. Par exemple, le gouvernement du Québec qui a prononcé un moratoire sur la fracturation hydraulique est traîné devant la justice par l’entreprise américaine Lone Pine qui lui réclame 250 millions de dollars.
L’Administration américaine a consulté les grandes entreprises sur ce qu’elles attendaient d’un accord avec l’Union européenne. La réponse de Chevron, une des plus grosses entreprises d’exploitation des énergies fossiles : « La capacité de Chevron de faire des affaires au niveau mondial et de protéger les investissements de nos actionnaires repose sur la mise en place de mécanismes contraignants pour régler les différends. » Le PDG de Chevron explique que « certains Etats remettent en cause ce principe considérant qu’il s’agit d’un empiétement injustifié sur leur souveraineté. En fait, ceci permet de s’assurer qu’aucune des deux parties n’a le pouvoir d’influencer de manière excessive les lois. » Ce type d’entreprise ne supporte plus que les électeurs modifient les règles du jeu en changeant de temps à autre de gouvernement parce qu’ils considèrent que l’environnement vaut la peine d’être sauvegardé, que le réchauffement climatique est à prendre en compte d’urgence.
Derrière ces mots se cache la pensée profonde des dirigeants de ces multinationales : nous n’avons plus besoin de la démocratie. Elle change les règles du jeu, perturbe la confiance des investisseurs et crée un climat délétère pour les actionnaires. Les droits de douanes sur les produits manufacturés sont arrivés maintenant à un taux de l’ordre de 3 %, et ne sont plus un frein pour le commerce. Les seuls secteurs qui seront impactés seraient la culture et l’agriculture qui restent protégées. Les Etats-Unis souhaitent également réduire à néant l’impact de Reach, directive européenne qui tente tant bien que mal de contrôler l’utilisation des produits chimiques les plus dangereux.
Concernant l’alimentation, ce serait la porte ouverte pour s’aligner sur les normes américaines tellement rabotées qu’elles n’encadrent plus grand-chose. Comme Karel De Gucht, commissaire européen au commerce international, l’a déclaré imprudemment, les consommateurs n’auraient plus d’autres choix que de manger des OGM, d’accepter la viande aux hormones, de boire du lait issu de vaches clonées et piquées aux hormones ainsi que d’accepter que les carcasses de poulet soient nettoyées à la javel et les carcasses de bœuf à l’acide lactique pour limiter les risques bactériens.
Ne nous trompons pas. Ce qui est en jeu, c’est le retour par la petite porte des ententes bilatérales de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), bloqué par la mobilisation de millions de citoyennes et de citoyens et finalement abandonné en 1998. Nous avons gagné une première fois il y a quinze ans. Ensemble, nous avons la capacité de contrecarrer une nouvelle fois cette attaque frontale contre nos valeurs les plus chères, celles de la démocratie.