Accords de réadmission: enfin une évaluation et la nécessité d’un moratoire !

18 mars 2011
Déjà douze accords de réadmission en vigueur, six pour lesquels la Commission européenne a reçu un mandat de négociations par le Conseil,… et pourtant il aura fallu attendre près de sept ans après l’entrée en vigueur du premier accord pour que la Commission s’attelle à leur évaluation.

Quelques mois après l’adoption d’un accord avec le Pakistan, pays qui rappelons-le n’a pas ratifié la Convention de Genève et au lendemain de l’accord politique trouvé par le Conseil sur un accord avec la Turquie, cette première évaluation reconnait un peu tard les préoccupations que dénoncent associations et parlementaires depuis des années.

Il est désormais de la responsabilité de l’Union d’en tirer toutes les conséquences en donnant un coup d’arrêt à ces accords dont l’opacité ne saurait permettre « une stratégie renouvelée et cohérente en matière de réadmission », tel que souhaitée par la Commission.

Comment évaluer la mise en œuvre de tels accords sans données fiables et exhaustives? Tel est le premier constat d’échec concédé par la Commission. En ne jouant manifestement pas le jeu de la transparence, les Etats membres se sont une fois de plus retranchés derrière une opacité tout à fait symptomatique de la manière dont se tiennent les négociations et qui pose problème eu égard aux violations avérées des droits des migrants dans la mise en œuvre de ces accords.

En cours avec le Maroc depuis 2003, mandatée depuis 2002 pour l’Algérie, la Commission n’a de cesse de rappeler combien la négociation de ce type d’accords est toujours longue et difficile. C’est ainsi qu’elle engage des efforts totalement démesurés tout en sachant mal de quelle manière ils sont mis en œuvre! Et même plus, nous serions sommés de faire tout bonnement confiance aux Etats membres au prétexte que la réadmission n’interviendrait qu’après avoir usé toutes les procédures de recours. Les parlementaires européens ne sauraient se contenter d’une telle approche et doivent faire valoir leur responsabilité de contrôle. Ce premier constat soulève la nécessité d’obtenir des informations plus fiables et complètes, ce qui pourrait se traduire par une procédure contraignante d’information des Etats membres à la Commission.

Il y aussi de quoi s’interroger sur l’utilité même de ces accords quand on constate que certains États n’ont pratiquement jamais recours aux accords de réadmission communautaires et gardent leurs préférences pour leurs propres accords bilatéraux, sur lesquels le Parlement européen n’a ni droit de regard ni mot à dire. Cette application incohérente sape l’argument d’efficacité d’une politique européenne de réadmission. Elle suscite également une profonde inquiétude car faute de données nul ne peut évaluer les conditions de retour et d’après-retour des migrants. Si la Commission doit en effet s’impliquer davantage dans le contrôle et l’évaluation de cette mise en œuvre, ce doit être avant tout pour vérifier sa conformité avec les droits fondamentaux.

La Commission touche du doigt un point important en demandant à ce que les procédures accélérées et de transit, particulièrement difficiles à négocier, soient rayées du mandat de négociations. Mais elles sont également dangereuses pour les droits des migrants et la Commission devrait appeler à leur retrait y compris dans les accords bilatéraux.

Le rapport reconnaît aussi que la libéralisation des visas est sans impact sur l’immigration irrégulière provenant de ce pays. Les États membres sont ainsi invités à libéraliser leur politique de visa avec les États partenaires. Mais l’on peut regretter que la Commission ne voie dans cette libéralisation qu’une mesure d’incitation envers les États tiers, préalable à leur acceptation des accords. Ce type de chantage est bien entendu inacceptable, qui plus est quand elle brandit la menace de mesures de rétorsion à l’égard des pays peu dociles. Il est également tout à fait malvenu d’élargir cette conditionnalité à des accords qui dépassent la question migratoire!

Si la réadmission pour les nationaux s’opère « facilement », il en va tout autrement pour les migrants de transit. La clause de l’accord qui permettrait leur réadmission est très peu utilisée. La Commission suggère donc d’étudier la nécessité d’une telle clause au cas par cas. Etant donné la difficulté de négocier une telle clause, il s’agirait davantage d’axer la politique de réadmission sur les principaux pays d’origine, comme les pays d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Une fois de plus l’Union européenne chercherait à retenir les migrants à la source, au nom de l’efficacité des négociations! La Commission devrait en revanche davantage se préoccuper de l’application de cette clause avec l’Ukraine – qu’elle considère « efficace ». Il suffit en effet de lire le rapport de Human Rights Watch pour s’en convaincre. Publié en décembre 2010, le rapport « Malmenés dans les régions frontalières : Le traitement des demandeurs d’asile et des migrants en Ukraine », montre en quoi les millions d’euros dépensés par l’UE pour prétendument améliorer le système de migration et d’asile en Ukraine, notamment par le financement des centres de rétention, ont conduit à de graves violations des droits des migrants. Rappelons ici que l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux interdit le renvoi de personnes vers des lieux où elles risquent d’être exposées à la torture ou à de mauvais traitements.

Ne cachant tout de même pas son inquiétude, la Commission préconise la suspension temporaire de l’accord, voir sa rupture définitive, en cas de risque persistant et grave de violation des droits fondamentaux des personnes réadmises. De même elle appelle au respect des principales conventions internationales sur les droits de l’Homme par l’Etat tiers comme condition sine qua non à la signature d’un accord de réadmission comprenant une clause pour les ressortissants de pays tiers. Aussi elle prévient les Etats membre des tentatives de retour de personnes pendant leur recours suspensif et de la nécessité de donner la priorité aux « retours volontaires ».

Un des attraits de cette communication est aussi qu’elle encourage les États membres à collaborer avec les ONG et les organisations internationales, dans le cadre des Commissions mixte de réadmission, pour le suivi de la mise en œuvre et l’amélioration des garanties des droits fondamentaux. Cette participation n’est pour l’instant envisagée qu’au cas par cas mais devrait être mise en place au plus vite sur une base systématique, de même que celle du Parlement européen. Bien mieux informées, les ONG et organisations internationales sont les mieux à même d’assurer un suivi indépendant des personnes et d’en rendre compte. La participation à ce suivi post-retour pourrait également concerner les migrants eux-mêmes.

Les inquiétudes et difficultés soulevées par la communication de la Commission appellent une refonte en profondeur de la politique européenne de réadmission. Un moratoire sur la mise en œuvre et la négociation de ces accords dans l’attente de garanties effectives en matière de droits de l’Homme – et la Commission en donne quelques exemples – devrait être mis en œuvre.

Dans ce type d’accord puissamment violateur, aucune place ne peut être au doute et à l’appréciation des Etats, au risque de voir bafouer les droits plus élémentaires des migrants. C’est pourquoi un contrôle politique, avec le Parlement européen mais aussi une évaluation indépendante avec notamment les ONG est nécessaire.

Commission européenne – Evaluation des accords de réadmission de l’UE_EN (pdf 78.27Ko)

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