Agence de notation européenne: un train de retard

26 janvier 2012
Alors que la perte du «triple A» français le 13 janvier a provoqué un psychodrame, le projet consiste à faire émerger un nouvel acteur, afin de saper la toute-puissance des trois grandes agences privées, Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch.
Elles se partagent plus de 85 % du marché de la notation.L’idée n’est pas neuve. Elle figurait déjà dans le programme du Parti socialiste adopté en avril 2011 (« une agence européenne publique sous l’égide de l’Eurogroupe »). A Bruxelles, le débat sur une agence européenne de notation a pris très tôt, dès le déclenchement de la crise grecque, au printemps 2010. Et beaucoup des partisans d’une structure publique, projet à l’origine très consensuel, en sont aujourd’hui revenus.

Mais la sortie de Hollande intervient à un moment de débat intense au Parlement européen. L’hémicycle doit définir sa position sur le sujet dans les semaines à venir, et pourrait bien obliger la Commission, qui ne veut plus en entendre parler, à ré-examiner le projet d’une agence européenne indépendante. « C’est l’arlésienne », glisse Liêm Hoang-Ngoc, eurodéputé socialiste.

Au-delà de ce vieux serpent de mer, des dizaines de propositions circulent, pour mieux encadrer ces agences, en finir avec les conflits d’intérêts, ou encore limiter la dépendance du secteur financier vis-à-vis de ces fameuses notes. Des mesures plus techniques, qui pourraient aussi s’avérer plus efficaces.

Jean-Claude Juncker, le président luxembourgeois de l’Eurogroupe, est l’un des premiers à avoir défendu, au début de l’année 2010, le projet d’une agence européenne. En mai 2010, Angela Merkel lui emboîtait le pas, estimant que « plus de concurrence dans le domaine ne peut pas nuire ». Au même moment, Michel Barnier, commissaire européen chargé des questions de régulation financière, en faisait l’un de ses chevaux de bataille.

En mars 2011, dans un rapport d’initiative, le parlementaire allemand Wolf Klinz (FDP) défendait quant à lui l’idée d’une « fondation européenne de notation », indépendante. Un projet quasiment identique à celui imaginé par le cabinet d’études allemand Roland Berger, très influent à Bruxelles (lire leur présentation en PDF ici). A l’époque, le consensus était tel, et la détermination des Allemands si forte, que le débat semblait plié.

« Une fausse bonne idée »

C’était sans compter sur le lobbying agressif des trois agences de notation, Moody’s en particulier, mais aussi sur des réticences d’experts indépendants. En novembre 2011, lorsque Michel Barnier dévoile sa proposition de directive, il n’est plus question d’agence européenne de notation. Deux raisons sont avancées pour justifier cette marche arrière (cliquer sur l’extrait ci-dessous) : cela coûterait cher aux pouvoirs publics (entre 300 et 500 millions d’euros sur cinq ans, selon les services de la Commission), et la nouvelle agence souffrirait d’un manque de crédibilité.« Une agence européenne, ce serait inopérant, c’est la fausse bonne idée », assure Jean-Paul Gauzès, un eurodéputé du Parti populaire européen (PPE), proche de Michel Barnier. « Si l’on crée une agence pour nous noter plus gentiment, cela n’a pas grand sens. Elle ne sera jamais crédible. » Thierry Philipponnat, à la tête de Finance Watch, le « Greenpeace de la finance », partage ce scepticisme : « Une agence qui repose sur des deniers publics aurait beaucoup de mal à établir sa crédibilité. »

Imaginons une agence publique, financée par les Etats européens, qui donnerait des notes aux pays de l’Union plus élevées que les trois grandes agences privées anglo-saxonnes : c’est à peine si les marchés financiers y prêteraient attention… « Dans cette configuration, nous remplacerions un conflit d’intérêts privé par un conflit d’intérêts public », juge Pascal Canfin, un eurodéputé du groupe des Verts.

Tout le monde n’est pas de cet avis au Parlement. Des dispositifs plus subtils sont à l’étude au sein du groupe des Socialistes et démocrates (S&D), la deuxième force de l’hémicycle, qui s’accroche à cette idée. Le rapporteur Leonardo Domenici, un élu socialiste italien, l’a fait comprendre sans ambages, en clôture d’une séance de travail mardi : « Même si elle n’apparaît plus dans le projet de directive, nous devrions laisser ouverte la possibilité de nous doter d’une agence européenne de notation. »« A partir du moment où l’on conserve le principe de l’émetteur-payeur (c’est à l’entité notée de payer sa note, et non à l’utilisateur de cette note, ndlr),je ne vois pas pourquoi l’on n’autoriserait pas une agence européenne de notation », estime Liêm Hoang-Ngoc. « Après tout, l’entité la plus à même de juger les finances publiques, ce sont bien les Cours des comptes de chacun des pays. » L’eurodéputé reprend à la volée l’une des propositions qui avait été formulée, dès 2009, dans un rapport qui a fait date, au Parlement, sur la crise financière – et dont la Française Pervenche Berès était rapporteur. La socialiste proposait une agence européenne, publique, indépendante, et adossée aux Cours des comptes de chacun des pays.

Hollande en retard d’un débat ?

« Si l’on crée une agence publique, mais réellement indépendante, que l’on ferait présider, par exemple, par Jean-Claude Trichet, je ne suis pas sûr que cela règle le problème », estime Pascal Canfin (Verts). « Le risque serait même de renforcer le poids d’une notation assise sur des critères purement financiers. Cela pourrait donc s’avérer contre-productif. Les seuls qui ont la légitimité de noter les politiques, en démocratie, sont les électeurs. »

Le projet d’agence européenne de notation fait donc de moins en moins l’unanimité à Bruxelles. François Hollande semble avoir un train européen de retard. D’autant qu’un large éventail de mesures alternatives, et répressives, sont aussi en débat. A commencer par l’idée radicale, un temps défendue par Michel Barnier, de suspendre, pour une période de deux mois, la notation d’un Etat, si celui-ci, par exemple, bénéficie d’une aide internationale.

Mis en minorité au sein du collège des commissaires, le Français avait dû, là encore, jeter l’éponge. Un désaveu politique à peu près complet. Mais Michel Barnier n’a semble-t-il pas encore baissé les bras. Il espère que des élus défendront ses positions via des amendements au Parlement… Pour Jean-Paul Gauzès (PPE), « il s’agirait de placer les Etats en difficultés dans un régime spécial, un peu comme la procédure de redressement judiciaire pour les entreprises aux Etats-Unis, pendant laquelle on ne les noterait pas ».

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