Evasion fiscale : « Les Etats doivent aussi balayer devant leurs portes »
Nous partageons avec les auteurs l’ambition et la nécessité de mettre fin à la «logique systémique» des paradis fiscaux qui gangrène l’économie mondiale. Oui, il s’agit bien là, à nos yeux comme aux leurs, d’un objectif de lutte prioritaire. Encore faut-il bien identifier le scandale : l’essor des paradis fiscaux n’est pas seulement dû à la dérégulation mondialisée des flux financiers ; il s’appuie aussi largement sur le cynisme fiscal de certains Etats pour attirer entreprises et particuliers, ainsi que sur le refus de coopération des gouvernements nationaux en matière de lutte concertée contre l’évasion et la fraude. De nombreux pays ne tolèrent-ils pas les paradis fiscaux en Europe, y compris l’Allemagne avec ses voisins et la France avec Monaco et Andorre ? La fraude à grande échelle n’est pas seulement subie sous la pression des marchés financiers. Elle est aussi, de fait, tolérée par les gouvernements.
Comme le rappellent les membres de l’audit citoyen de la dette publique, l’évasion et la fraude fiscale en Europe est estimée par la Commission européenne à quelque 1 000 milliards d’euros, soit l’équivalent de sept années de budget européen ! Cette estimation de 1 000 milliards échappant aux fiscs des pays européens provient d’une analyse du Tax Research UK. L’étude approche sans doute l’ordre de grandeur globale mais elle indique aussi et surtout qu’une grande partie de l’évasion et de la fraude fiscale provient de l’économie souterraine (grey economy) sur laquelle nous ne disposons pas de chiffres précis et qui s’appuie sur des comportements individuels (fraudes à la TVA ou aux autres taxes, manipulations de trésorerie…), souvent de la part de petites entreprises. La lutte contre la fraude et l’évasion commence au niveau national. Laisser croire qu’il suffirait d’engager un combat global contre la finance internationale et les paradis fiscaux est trompeur car cela ne suffira pas. Les Etats doivent aussi balayer devant leurs portes.
Au-delà de cette prudence dans l’analyse, nous tenons à alerter le Collectif pour l’audit citoyen sur l’équation trop simpliste qu’il nous propose. Selon ce collectif, l’éradication des paradis fiscaux rendrait ipso facto toute rigueur budgétaire inutile. Cette affirmation est trop belle pour être vraie. Implicitement, elle sème l’illusion qu’il suffirait de récupérer le produit des fraudes pour rétablir d’un coup de baguette magique les équilibres budgétaires. Il y a là la tentation d’en revenir à une politique laxiste, les pouvoirs publics se sentant dispensés de poursuivre l’objectif de réduction des déficits publics puisqu’ils auraient accès à une manne inespérée. Or, la réduction des déficits est, pour nous, un impératif politique si nous voulons échapper à la férule des marchés et réunir les moyens d’engager les transitions vers une nouvelle économie écologique et sociale. Certes, cette réduction doit se faire avec souplesse et discernement, en préservant les investissements d’avenir. Mais, si nous voulons atteindre un niveau d’activités économiquement, socialement et écologiquement durables, elle est aussi indispensable que l’éradication des paradis fiscaux.
La lutte contre les paradis fiscaux, aussi nécessaire et urgente qu’elle soit, ne doit donc pas nous priver de l’obligation de sortir du système de pensée qui a consacré la fuite en avant des déficits et de la dette comme mode de développement de nos sociétés. Français, Allemands, Européens, c’est ensemble que nous parviendrons à tenir tous les termes de l’équation.
Par Eric Alauzet, député EELV du Doubs Jean-Paul Besset, député Vert européen Sven Giegold, député Vert européen
Libération, 19 mai 2013