Copenhague : Premières escarmouches
Certes, pas de naïveté excessive de ma part : la police danoise est très présente (mais encore assez discrète, les hauts dirigeants de ce monde ne sont attendus que dans 10 jours), les portiques de sécurité, badges, etc. filtrent les participants, et on se doute qu’il y aura une toute autre sélection dans les derniers jours de la conférence. Mais il n’empêche : la présence de nombreux représentants des ONG, mêlés aux politiques, aux négociateurs, à la presse, etc. donne le sentiment d’une ruche hyperactive mais au dialogue constant, laissant une large place aux rencontres informelles.
De quoi débat-on ?
Venons-en au plus formel. Il est connu depuis plusieurs semaines maintenant que la Conférence de Copenhague (Cop15) ne débouchera pas sur un protocole juridique du même type que celui de Kyoto (Cop3). La forme du débouché reste certes incertaine, mais est plus complexe qu’on ne le lit ici ou là.
Il semble qu’on se dirige vers une déclaration politique de quelques pages (4 ou 5, dit-on) des chefs d’Etat (à laquelle seraient peut-être raccrochés les engagements pris par chacun d’eux) mais auquel s’ajouterait un document décisionnel des membres de la COP d’une cinquantaine de pages (1). Ce dernier document n’a certes pas la valeur d’un protocole, mais il est essentiel dans l’élaboration d’un éventuel protocole à venir.
La grande plénière des Etats du monde
Hier après-midi s’ouvrait donc la plénière d’examen du texte, dans cette phase finale de négociation à Copenhague. Première surprise, l’accès à la grande salle où se tient la réunion est relativement libre pour les personnes accréditées. Et il y a foule, notamment du côté des ONG. Dans les rangs qui leurs sont réservés, on manque donc de chaises, tant l’affluence est grande. Beaucoup de gens sont assis par terre. Habitué aux AG et meetings des Verts, je ne suis pas trop dépaysé !
Les cinquante premiers rangs sont bien sûr réservés aux délégations nationales, représentées par des hauts fonctionnaires. Après que le Président de séance, Michael Cuttajar – qui coordonne depuis de longs mois l’élaboration de ce texte – a expédié un certain nombre de points formels (et a expliqué, point essentiel, qu’à partir de ce mardi matin se tiendront des réunions bien plus resserrées entre les différents groupes d’ici à la prochaine plénière prévue le 16), prend place une longue série d’interventions qui permettent de sentir l’ambiance générale au moment où commence Copenhague.
Première à intervenir, la représentante soudanaise du « G77 et la Chine » (grosso modo l’essentiel des ex-pays colonisés, dans lesquels on retrouve les poids lourds que sont la Chine et l’Inde) donne le ton de l’après-midi : l’impérieuse nécessité d’aboutir à Copenhague tout en imposant des objectifs ambitieux, le tout dans un clivage Nord – Sud qui prédomine toutes les discussions.
Suivront de nombreuses interventions, à commencer celles des petites îles, puis l’alliance « composite » composée de nombreux gros émetteurs (Australie, Canada, USA, Russie, etc.), l’Union Européenne, auxquels succéderont des regroupements plus territoriaux (pays africains, d’Amérique Centrale, etc.). Et enfin celles, individuelles, de pays membres de ces différents groupes.
La tonalité est claire. Tous les pays réaffirment leur volonté d’ « aboutir »… ce qui ne mange pas de pain. Un progrès malgré tout car ce n’était pas le cas à l’époque où certaines grandes puissances niaient encore le dérèglement climatique. C’est en fait sur la question de l’aide du Nord au Sud que la différence d’implication est notable : rarement mentionnée par les pays du Nord, elle est au coeur des revendications de tous les pays du Sud, qui tous se réfèrent à l’intervention du G77 et de la Chine.
D’ailleurs la question n’est pas que financière. On le sent à la vigueur des interventions, à leur caractère parfois passionné (les plus applaudis seront le représentant Bolivien, parlant de la mère Terre et demandant qu’on mette autant sur la table que pour sauver les banques de Washington, et celui des îles Salomon exprimant l’angoisse de la disparition). Pour une partie du monde, la question du climat n’est pas une question théorique d’avenir, un sujet parmi des dizaines d’autres, c’est devenu la question cruciale, vitale, prioritaire : ce qui se joue à Copenhague est bien autre chose qu’une négociation habituelle.
Le flop de Borloo
Dans cette longue série d’interventions, l’Europe n’aurait du parler que d’une seule voix, par celle du représentant de la présidence suédoise, très décevant en terme d’ambition mais illustrant bien l’état de l’équilibrisme constant de l’UE.
Quand, tout à coup, la présidence de séance donne la parole à la France. Je tends évidemment l’oreille. Et ce d’autant plus que la caméra qui projette sur grand écran les visages des orateurs tarde à trouver les rangs français.
Le timbre de voix m’est familier… C’est Jean-Louis Borloo, dont l’image apparaît finalement à l’écran. Que fait un ministre ici, dans cette enceinte peuplée de hauts fonctionnaires et d’ONG ? Quelle est l’opération politique tentée (car il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une opération politique)? Est-elle uniquement à vocation de politique politicienne franco-francaise (mettre en scène la France comme impliquée à fond dans le combat pour le climat) ? Où vise-t-elle aussi à secouer un peu le train-train habituel de ces conférences ? Un peu des deux sans doute.
L’intervention, en 1mn30, n’est pas mauvaise. Elle reprend la thématique dorénavant officielle de la France sur « justice et climat », « aide aux pays les plus pauvres ». Mais à en juger par les faibles applaudissements, la prestation tourne au flop.
Difficile d’en apprécier les raisons réelles : exaspération de voir la France chercher à tirer la couverture à soi ? Incompréhension de voir un ministre venir dès maintenant dans la mêlée ? Surprise d’entendre un intervenant parler autant à la première personne (« je ») quand tous les autres parlent au nom de leur pays, voire du monde ? Manque de crédibilité de la France largement suspectée de double discours et de fanfaronnade ?
En tous cas, l’opération politique est loin d’être un franc succès. Et Borloo a pris le risque d’affaiblir la cohésion européenne. La suite dira quelle en sera l’ampleur.
La parole des villes et des ONG
Une fois achevée cette longue série d’interventions nationales, prennent place, dans une salle déjà beaucoup moins remplie, des interventions non-gouvernementales qui tentent de faire prévaloir des points de vue à intégrer dans la décision.
Interviennent ainsi les organisations internationales du transport maritime et aérien (à les en croire, ils font le maximum pour le climat… sous-entendu pas la peine de leur imposer des contraintes !), la Croix Rouge qui souligne les dégâts humains déjà constatés, le patronat (qui ferait déjà beaucoup pour développer des économies émettant peu de carbone !), les ONG du climate action network et de Friends of the Earth qui soulignent l’urgence et l’impératif d’action liant climat et justice, les villes, les peuples indigènes qui rappellent que c’est de leur survie dont il s’agit. Et enfin les syndicats, les organisations féministes et les associations de jeunesse qui renforcent encore la pression de la société civile.
Une mention toute particulière – on ne s’en étonnera pas de ma part-, en tant qu’adjoint en charge du climat dans une grande ville française, pour la forte intervention de mon ami Ronan Dantec, porte-parole des villes dans cette enceinte. Il a non seulement souligné l’importance à agir, mais aussi la capacité d’unité des villes autour de positions et engagements communs malgré leurs différences (un exemple pour les Etats) et surtout leur volonté d’en faire plus. Sans l’action des villes, l’accord de Copenhague restera inapplicable. Raison de plus pour inscrire dès maintenant les conditions de cette coopération dans le texte.
La plénière s’achève ainsi. Tous les acteurs se sont présentés et ont exprimé leurs attentes. Reste 12 jours pour jouer la pièce et surtout pour aboutir.
Denis Baupin
Adjoint au Maire de Paris en charge du plan Climat