Directive Secret d’affaires : démêler le vrai du faux

27 avril 2016
Jeudi 14 avril 2016, le Parlement européen a voté à une large majorité la directive sur le secret des affaires. Parmi les eurodéputés français, seuls les Verts et les élus du Front de gauche s’y sont opposés. Survenu quelques jours seulement après les révélations sur les Panama Papers et quelques jours seulement avant l’ouverture du procès pour divulgation de secrets d’affaires d’Antoine Deltour et d’Edouard Perrin – les deux hommes à l’origine des révélations du LuxLeaks, ce vote a soulevé l’émoi de nombreux citoyens, créant ainsi la polémique dans la presse française et européenne. Désintox.
« Cette directive ne fait que reprendre une définition du secret d’affaires déjà établie en droit international. Elle ne crée donc pas de droit au secret excessif par rapport à ce qui existe déjà »

FAUX. Il est vrai que la définition retenue dans la directive Secret d’affaires reprend celle des accords ADEPIC. Il n’en demeure pas moins qu’elle est excessive! La directive définit tautologiquement le secret d’affaire comme une information secrète, ayant une valeur commerciale parce qu’elle est secrète, et dont le détenteur licite a mis en place des mesures pour la garder secrète. Cette définition permet de couvrir à peu près tout et n’importe quoi. Les écologistes avaient déposé des amendements de bon sens, consistant à limiter la définition des secrets d’affaire aux savoirs faire et informations commerciales dont la divulgation causerait un préjudice économique à leur détenteur. Mais ces amendements n’ont pas été acceptés.

« Le texte voté par le Parlement européen offre une base juridique solide aux journalistes »

DANS LA PRATIQUE, C’EST PLUS COMPLIQUE QUE CA. Sous la pression de l’opinion publique et de la forte mobilisation des journalistes eux-mêmes, les négociateurs du Parlement ont en effet amélioré à la marge le texte initial de la Commission. L’article 1 précise désormais que « la présente directive n’affecte pas l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information établi dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias ». Mais dans la pratique, les journalistes, notamment les journalistes d’investigation qui mènent des enquêtes, comptent sur un certain nombre de sources. Ces sources, ce sont souvent des salariés, des lanceurs d’alerte. Or le texte n’apporte aucune garantie supplémentaire de protection pour les lanceurs d’alerte (voir ci-dessous). De fait, cette directive aura avant tout comme effet de dissuader les détenteurs de secrets d’affaires de les révéler (et c’est son objectif…), or ce sont précisément ces personnes qui permettent aux journalistes de faire leur travail. C’est d’ailleurs en ce sens que ce sont exprimés conjointement Reporters sans frontières (RSF), la Fédération européenne des journalistes (FEJ), l’Association européenne des éditeurs de journaux (ENPA), l’Association européenne des médias magazines (EMMA) et l’Union européenne des radios-télévisions (UER) à l’issue du vote : « Les journalistes européens et les associations de médias s’inquiètent de l’incertitude que la directive fait peser sur les journalistes, ce qui pourrait les dissuader de mener des investigations sur le monde du business et de l’entreprise« .

« La directive protègera mieux les lanceurs d’alerte qu’aujourd’hui, même si l’accord trouvé reste insuffisant »

FAUX. L’article 5 de la directive limite son champ d’application à « la révélation d’une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale ». Or la possibilité de divulguer un fait illégal est déjà garanti dans tous les systèmes juridiques de l’UE. Pour ce qui est des fautes et fautes professionnelles, la définition juridique reste incertaine et insuffisante. Tout l’enjeu de la protection des lanceurs d’alerte réside en réalité dans la protection qui doit leur être accordée lorsqu’ils révèlent des faits de nature à porter atteinte à l’intérêt public, qu’ils soient légaux ou non, qu’il s’agisse d’une faute ou non. Et là-dessus, la directive telle qu’adoptée par le Parlement européen n’est certainement pas suffisante.

Contrairement à ce que certains avancent, les écologistes pensent que la directive sur le secret des affaires ne protègerait en rien quelqu’un comme Antoine Deltour, aujourd’hui attaqué en justice au Luxembourg pour ses révélations sur le LuxLeaks. Car Antoine Deltour, aujourd’hui poursuivi pour divulgation illicite de secret d’affaire, n’a révélé ni une faute, ni une activité illégale, ni une faute professionnelle.

C’est pourquoi les écologistes ont demandé depuis le début à ce que la directive sur le secret d’affaires soit conditionnée à l’adoption d’une directive sur la protection des lanceurs d’alerte. Malheureusement, cette proposition a été rejetée par la grande coalition européenne – socialistes, libéraux et droite, assistée des eurosceptiques et du Front national.

Les écologistes européens travaillent depuis plusieurs mois sur un projet de directive sur les lanceurs d’alerte. Face à l’inaction manifeste de la Commission européenne sur le sujet, les écologistes européens ont pris l’initiative de présenter eux-mêmes un projet de directive visant à protéger les lanceurs d’alerte. Ce texte sera présenté le 4 mai 2016 au Parlement européen et ira bien au-delà de la seule protection en cas de révélations de pratiques illégales et de fautes. Nous nous sommes inspirés de la législation irlandaise, tenue pour être l’une des plus avancées au monde en la matière. Le projet de directive garantira notamment que les lanceurs d’alerte, pour être reconnu comme tel en cas de poursuites judiciaires, n’est pas à prouver son intention de protéger l’intérêt public, contrairement à ce qu’impose aujourd’hui la directive secret d’affaires. Ce qui est important pour nous, c’est que les informations soient rendues publiques, pas de connaitre les intentions de la personne. D’autant qu’en droit, il est toujours très difficile d’apporter la preuve de l’intention.

« Les salariés n’ont rien à craindre de la directive Secret d’affaires »

FAUX. En vertu de l’article 8 de la directive, les employeurs pourront poursuivre des employés pendant 6 ans après leur départ s’ils considèrent qu’ils ont illicitement divulgué un secret d’affaire! De là à dire que la directive empêche les salariés de changer d’employeur et d’utiliser des connaissances et informations qui pourraient être considérées comme des « secrets d’affaires » par leur ancien employeur, ce serait sans doute excessif. Mais pour éviter tout abus et protéger les salariés, les écologistes avaient proposer d’exclure explicitement leurs compétences de la définition du secret d’affaire. Malheureusement cette proposition a également été rejetée.

« Les incertitudes juridiques risquent de dissuader des personnes de communiquer au public des informations révélant des comportements condamnables ou délictueux de la part des entreprises »

VRAI. Au vu du champ d’application et de la définition, la directive ne gomme pas les incertitudes juridiques. La seule manière d’insérer une sécurité juridique était purement et simplement de limiter le champ de cette directive à la concurrence déloyale et donc aux relations des concurrents entre eux et d’exclure, de fait, les journalistes, les lanceurs d’alerte et les salariés. C’est la position qui a été portée par les écologistes européens dans la négociation, mais qui n’a finalement pas été retenue.

« Cette directive porte atteinte à la protection des consommateurs »

VRAI. Aujourd’hui, les entreprises jouent sur la juxtaposition de 28 législations encadrant l’accès ou non aux études transmises par les entreprises aux organismes publics concernant la dangerosité de leurs produits. C’est ainsi qu’une entreprise comme Monsanto refuse systématiquement la publication des études sur la dangerosité de ses produits au titre qu’elles contiennent des « secrets d’affaires ». La directive qui vient d’être adoptée renforce cette base légale au profit des entreprises, et aux dépends évidemment des consommateurs. D’ailleurs, une législation similaire est actuellement négociée au congrès américain, ce qui offrirait aux multinationales une protection élargie de part et d’autre de l’Atlantique. Les premiers effets du TAFTA…

Veuillez retrouver ci-dessous les diverses prises de position des écologistes tout au long de la négociation de ce texte :
Le secret d’affaires peut nuire à votre santé, votre environnement, votre carrière, votre information
Le « secret d’affaires » contre la démocratie en Europe, tribune de Pascal DURAND, Eva JOLY, Michèle RIVASI avec Aurélie FILIPPETTI, Corinne LEPAGE et Christian PAUL dans Libération
Secret d’affaires : une directive liberticide, réaction de Pascal DURAND à l’issue du vote en commission des Affaires juridiques le 16 juin 2015
Quand le secret d’affaires favorise l’industrie des pesticides, tribune de José BOVE sur Mediapart
Secret d’affaires : les intérêts prévalent sur le droit à l’information, réaction de Pascal DURAND et Michèle RIVASI à l’issue du vote en plénière le 14 avril 2016
« La directive sur le secret des affaires est un mensonge institutionnel, interview de Pascal DURAND par Mediapart
Secret des affaires : après le plombier polonais, le boulanger français, tribune de Pascal DURAND, Philippe LAMBERTS et Eva JOLY dans La Tribune

Et n’hésitez pas à diffuser notre note « Secrets des affaires : arme de dissuasion massive contre l’information », réalisée à l’été 2015

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