Hadopi : les candidats à la présidentielle défendent un modèle alternatif

6 octobre 2011
Le sort de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), et de sa « réponse graduée », a en effet quitté le cercle des initiés pour atterrir dans l’arène politique. Article du journal Le Monde.
Hadopi : les candidats à la présidentielle défendent un modèle alternatif

LEMONDE | 29.09.11 | 14h48

Message urgent sur le site Internet de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) : « Présidentielle : Martine Aubry veut abroger l’Hadopi. » Suit un échange de courriers digne de deux adversaires politiques, entre le président de la SACD, Pascal Rogard, et la candidate à la primaire socialiste.

Le sort de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), et de sa « réponse graduée », a en effet quitté le cercle des initiés pour atterrir dans l’arène politique.

Faut-il sauver le gendarme du Net, qui alerte par mail les internautes suspectés de téléchargement illégal et peut déclencher, le cas échéant, une action judiciaire contre eux ? Mis à part Nicolas Sarkozy, la plupart des candidats potentiels à l’élection présidentielle promettent à l’Hadopi au mieux une réforme profonde, au pire une disparition pure et simple.

En tête, Martine Aubry qui défend la légalisation des échanges de fichiers, par la création d’une contribution créative. Comprendre la licence globale, sorte de redevance « modeste » intégrée dans l’abonnement à Internet. Un euro, ou plus ? « Nous ne donnons pas de chiffre précis, sinon cela signifierait que le débat est déjà bouclé. Nous allons mener la concertation avec tous les acteurs », explique le député Christian Paul, proche de la maire de Lille et spécialiste des sujets numériques.

L’équipe de Mme Aubry est en contact avec le théoricien historique de la contribution créative, Philippe Aigrain, fondateur du site Quadrature du Net. Mais aussi avec le jeune Juan Branco, auteur de Réponses à l’Hadopi (Capricci, 2011) et fils du producteur de cinéma Paulo Branco, qui planche sur l’application de la licence globale au cinéma : il faudra revoir le financement des films, assis sur les chaînes de télévision, mais aussi la chronologie de diffusion sur les différents supports.

Le sujet est sensible. Pour l’instant, le dispositif de partage non marchand des oeuvres version Aubry se limite aux fichiers musicaux. Le cinéma y sera intégré quand la tuyauterie sera prête, promet Christian Paul, député socialiste de la Nièvre : « C’est un système global à inventer. Nous n’allons pas le présenter à la découpe. »

Verdict de Philippe Aigrain : « Il faut accorder à Martine Aubry et à Christian Paul le crédit d’avoir affirmé de façon tout à fait nouvelle la légitimité du partage d’oeuvres numériques sans but de profit entre individus. » Toutefois, ajoute-t-il, le dispositif doit inclure tous les champs de la culture. Faute de quoi, « le risque existe de fédérer les oppositions, entre le monde du cinéma, celui du livre ou de la photo et tous les autres médias natifs d’Internet. Sans oublier les internautes, pour qui un financement à seule destination de l’industrie du disque (celle par qui l’Hadopi est arrivée) serait une prime aux acteurs de la -répression. »

« Ni Hadopi ni licence globale, pour une extension du domaine de la création », telle est la position de François Hollande, explique Aurélie Filippetti, qui fait partie de son équipe de campagne. Comme les autres candidats socialistes à la primaire, M. Hollande a beaucoup évolué sur le sujet. Il s’est prononcé pour l’abrogation de l’Hadopi puis pour sa révision.

Aujourd’hui, Mme Filippetti estime qu’il faut « réorienter l’Hadopi, conserver sa dimension pédagogique et supprimer tout ce qui concerne la criminalisation de la jeunesse, dans ses pratiques culturelles ». Autre piste avancée par la députée (PS) de la Moselle : réfléchir à de nouveaux modes de financement pour la création sur Internet et, pourquoi pas, réorienter la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet qui aujourd’hui sert à financer France Télévisions.

Parmi les candidats socialistes, Ségolène Royal continue d’être favorable à la suppression pure et simple de l’Hadopi. Elle préconise une nouvelle loi et veut mettre en place un modèle qui garantit le financement des droits d’auteur.

Même position tranchée chez Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV). « Hadopi, cela coûte de l’argent et ne sert à rien. L’argent, je le placerais dans un fonds à l’usage des jeunes artistes », explique la députée européenne Sandrine Bélier.

Au nom « de la liberté sur Internet », la présidente du Front national, Marine Le Pen, promet elle aussi d’abroger la loi Hadopi.

Au MoDem, on constate que l’Hadopi n’a réglé aucun problème et que son action ne permet de lutter contre le piratage qu’à la marge. François Bayrou s’est déclaré sur ce sujet favorable à la mise en place d’une licence globale.

Au sein des promoteurs de l’Hadopi, les lignes bougent aussi. Fidèle a sa politique d’expérimentation, agrémentée d’une clause de revoyure, M. Sarkozy, a laissé entendre en mai qu’il faudrait réformer l’Hadopi dans un sens moins répressif. Sollicitée par Le Monde, l’Elysée n’a pas souhaité en dire plus.

D’où la montée d’une certaine panique chez les défenseurs de l’Hadopi. « Si on supprime la réponse graduée, on va précipiter la mort du CD et enterrer le marché de l’offre globale. Ce serait un véritable tsunami économique », s’inquiète Jérôme Roger, directeur général de la SPPF, Société civile des producteurs de phonogrammes en France.

Lors du congrès des exploitants de cinéma, à Deauville, qui s’est ouvert le 25 septembre, le patron de Gaumont, Nicolas Seydoux, connu pour ses sympathies de gauche, a surpris l’assistance en exprimant sa reconnaissance à M. Sarkozy d’avoir mis en place l’Hadopi. Aussitôt, des internautes ont « tweeté » qu’il appelait à voter Sarkozy.

Le président de l’Association de lutte contre le piratage audiovisuel (ALPA), qui surveille les téléchargements illégaux de films pour le compte de l’Hadopi, a rectifié le tir. Interrogé par Le Monde, il ne cache pourtant pas son admiration pour « l’homme d’Etat qui s’est engagé de longue date en faveur du droit d’auteur sur Internet. Je lui dis merci ».

Mais il ajoute : « Après, chacun fera ce qu’il voudra dans le secret de l’isoloir. »
A.B.-M. et Cl.F.

Article paru dans l’édition du 30.09.11

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