Hélène Flautre : « La complicité de l’UE avec le régime de Ben Ali doit cesser »
Quand et sous quelle forme, c’était difficile à prévoir mais en 2008 déjà, un mouvement de protestation avait éclaté dans le bassin minier de Gafsa-Redeyef. Les ouvriers se rebellaient contre la corruption qui leur interdit de bénéficier du potentiel économique de l’industrie du bassin. C’est un phénomène inéluctable. Comment le peuple tunisien pourrait-il supporter de vivre sans perspectives d’emploi, privé de toute liberté et soumis à l’arbitraire permanent du régime ? Le pouvoir dictatorial de Ben Ali et la mainmise qu’exerce la famille présidentielle sur les richesses du pays ne peuvent que soulever la révolte.
Selon vous, qu’attendent les autorités françaises et européennes pour dénoncer ces exactions ?
En Tunisie, rien ne sera plus jamais comme avant. Les Etats européens – et la France en premier lieu – ne semblent pas l’avoir compris en maintenant leur complaisance avec le régime. Il est temps que nos exécutifs mettent fin à la légitimité qu’ils octroient au dictateur tunisien par leurs silences et leurs inactions complices, quand ce n’est pas par leur franc soutien politique ! Dans sa déclaration, Catherine Ashton, la haute-représentante de l’UE aux affaires étrangères, se dit seulement « concernée » par la situation en Tunisie et en Algérie. Je suis moi ulcérée par l’indifférence de l’UE et son incapacité à réagir à la mesure des violations des droits de l’Homme sur place.
On repousse les limites de l’inacceptable en ayant cautionné un régime qui enferme, interdit toute forme d’expression, contrôle les faits et gestes de tout dissident et qui aujourd’hui enlève et tue pour mieux faire taire son peuple. Ben Ali poursuit sa course folle à la répression avec l’utilisation d’armes à feu et le déchaînement de la violence de ses forces spéciales contre les avocats, les journalistes, les syndicalistes, les étudiants, les artistes, etc. C’est désormais l’ensemble de la société qui refuse la corruption, la torture, les disparitions et ne tolère plus le silence que la dictature lui impose et que l’UE cautionne. Les violations graves du droit à la liberté d’expression et de manifestation s’accompagnent d’exactions intolérables des forces de l’ordre qui blessent et tuent délibérément et violent dans certaines régions.
Ce mardi 11 janvier, vous avez demandé à Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, d’envoyer un signal d’espérance aux jeunes Tunisiens. Qu’attendez-vous concrètement de l’UE dans les prochains jours ?
Aux côtés de celles et ceux qui, en Tunisie, se battent pour un « après Ben Ali démocratique », l’UE doit tirer les conséquences des relations qu’elle entretient avec un tel régime. Cela commence par le gel immédiat des négociations en vue d’un statut avancé et la convocation d’urgence d’un Conseil d’Association UE-Tunisie. Elle doit également porter la demande d’une enquête internationale indépendante sous l’égide de l’ONU chargée de faire la lumière sur la répression sanglante de ces dernières semaines.
Ce « statut avancé » permettrait à la Tunisie d’approfondir ses relations avec son premier partenaire commercial qu’est l’Union européenne. Depuis fin 2008, elle souhaite obtenir ce statut. Aujourd’hui et face à la répression sanglante des mouvements sociaux dans le pays, je pose la question : l’UE considère-t-elle le régime de Ben Ali comme un partenaire respectable ? L’Union européenne a le devoir d’agir dans le cadre de sa politique de voisinage. Elle ne peut pas se satisfaire aveuglement d’une Tunisie longtemps présentée comme le bon élève de la région pour ses soi-disant performances économiques et sa lutte contre l’islamisme quand son président bafoue si honteusement nos valeurs fondamentales.
Dans les rues, les manifestants rejettent en ce moment même un régime policier, à leurs risques et périls quand l’UE n’a jamais eu le courage de dénoncer ! La société tunisienne aspire à la démocratie, à l’égalité, à la justice et aux libertés. Les démocrates et les démocraties européennes doivent être à son côté !