Dans Libé : « Il faut mettre fin à la biopiraterie »
Dans le domaine alimentaire, l’histoire du «haricot jaune» a lui aussi marqué les esprits. En avril 1999, Larry Proctor, citoyen des Etats-Unis, dépose un brevet pour une variété de haricot jaune («enola») cultivée depuis des siècles par les paysans mexicains et appartenant au domaine public. Dès l’acquisition du brevet, il attaque les deux principaux importateurs de ce haricot entraînant une perte de 90 % des revenus à l’exportation de plus de 20 000 fermiers mexicains. Puis il attaque en justice les petits producteurs pour percevoir des royalties sur chaque kilo importé aux Etats-Unis. Il aura fallu dix ans, des centaines de milliers de dollars, des manifestations massives d’agriculteurs et de la société civile, l’intervention d’agences internationales telles que la Food and Agriculture Organization (FAO) et la publication de cinq décisions judiciaires pour que le United States Patent and Trademark Office’s (USPTO) finisse par annuler le brevet en juillet 2009.
C’est pour lutter contre ces abus et ces injustices, que la communauté onusienne a adopté, en 2010 au Japon, à l’occasion de la Xe Conférence de la convention pour la biodiversité, un texte juridiquement contraignant. Le protocole de Nagoya fixe ainsi les règles sur l’accès aux ressources de la diversité biologique et le partage équitable des avantages qui en découlent. Pour entrer en vigueur, 50 Etats doivent le ratifier. A ce jour, ils ne sont que neuf, dont l’Inde et le Mexique. L’Union européenne s’est engagée à adopter un règlement pour une mise en œuvre et la ratification de ce protocole par ses 27 Etats membres. La France est engagée dans le processus. Elle est concernée par son statut d’utilisateur et de détenteur de ressources naturelles. Ses territoires d’outre-mer lui confèrent le statut privilégié de détenteur d’une richesse biologique considérable. De nombreuses communautés autochtones et locales, françaises par la Constitution, dépendent de cette biodiversité et des savoirs exceptionnels qui y sont associés.
La France est également un Etat dit utilisateur de premier plan. Avec de nombreux centres de recherches tant publics que privés, sa puissante industrie pharmaceutique et cosmétique, tout un pan de l’économie nationale est directement lié à l’état de santé de la biodiversité. Cette «double casquette» confère donc à notre pays une position unique en Europe mais aussi une responsabilité particulière. Il en va de son image, de sa compétitivité, et de son souci d’équité dans les relations internationales. Nous soutenons que la logique de marchandisation des ressources naturelles, la confiscation de leur exploitation et la privatisation des savoirs traditionnels associés sans retombées pour les populations qui les ont développés, ont démontré ses limites et ferment la porte à une multitude de nouvelles découvertes et d’innovations potentielles pour la France, pour l’Europe et pour la communauté internationale.
Il est urgent d’adopter un cadre strict et d’imposer des règles communes à l’ensemble des acteurs dans le but de faire prévaloir la notion de biens communs et un droit d’usage équitable de la nature s’opposant au très destructeur droit de propriété sur le vivant. C’est dans cet état d’esprit que doit être ratifié et mis en œuvre le protocole de Nagoya pour une gestion commune d’un patrimoine dont nous sommes collectivement responsables et dépendants, au sud comme au nord de la planète.
Au Parlement européen, à l’Assemblée nationale et au Sénat nous demandons que tout soit mis en œuvre pour que le protocole de Nagoya soit ratifié au plus vite. La France, par sa position particulière, doit être pilote dans le processus européen, y compris pour mieux associer les populations autochtones aux processus de décision sur ces questions qui les concernent directement.
– Lire cette tribune Il faut mettre fin à la biopiraterie sur le site de Libération.