L’aviation grande absente des négociations climatiques? Mobilisons-nous pour la COP21 du secteur aérien!
Lors de la COP21, les dirigeants du monde entier ont scellé, le 12 décembre 2015, un accord historique pour sauver le climat. Ils se sont engagés «à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels», selon la formule désormais célèbre.
Quatre mois plus tard, le 22 avril 2016, ils se sont donné rendez-vous au siège des Nations unies à New York pour signer l’accord de Paris, qui ouvre la voie à une ratification par les États membres… Chacun a pu penser, à ce moment-là, que les acquis de la COP21 étaient sur les rails.
Mais ce que l’histoire ne dit pas, c’est qu’à quelques centaines de kilomètres seulement, au siège de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) à Montréal, se jouent les 11 et 12 mai des négociations sur le transport aérien, qui ont la capacité de faire échouer à elles seules les objectifs de réductions carbone que le monde s’est donnés.
Pour des raisons historiques, le transport aérien, comme le maritime, est exclu des négociations de la COP. Pourtant, il pèse 3% des émissions carbone mondiales. Ce chiffre n’est pas à négliger: si le secteur aérien était un pays, il serait le 7e pays le plus pollueur en termes d’émissions. Et la dynamique impressionnante du secteur, qui croît de 5% par an, fait craindre le pire. Selon les projections, en 2050, ses émissions de CO2 pourraient être multipliées par sept par rapport à l’année 1990.
Face à l’urgence climatique, comment tolérer une telle impasse? Alors que le Fonds monétaire international plaide pour arrêter les subsides aux énergies fossiles, pourquoi l’aérien bénéficierait-il d’un régime d’exception en étant le seul secteur dont le carburant est exonéré de toute taxe au niveau international? Rien qu’en France, ce manque à gagner est évalué à 1,4 milliard d’euros par an, qui pourraient parfaitement alimenter notre participation au fonds vert pour le climat.
Voilà les grands défis que les pays doivent relever dès le 11mai lorsqu’ils iront discuter le projet de résolution de l’OACI.
Une opacité intolérable
A ce stade, cela paraît mal engagé, car les négociations de l’OACI diffèrent de celles de la COP21, tant au niveau de la méthode que de l’ambition affichée.
Sur la méthode, il faut dénoncer avec force le manque de transparence des pourparlers. D’abord parce que la feuille de route des États est tenue secrète, à commencer par celle de la France. Ensuite parce que l’Union européenne n’est pas partie prenante des négociations en tant qu’entité. Souvent leader sur les questions climatiques, elle est dans ce cadre une spectatrice impuissante.
A l’inverse, les intérêts des compagnies aériennes sont surreprésentés, notamment par l’Association internationale du transport aérien (AITA), dont l’ancien PDG d’Air France-KLM, Alexandre de Juniac, vient tout juste de prendre la tête. Au final, cette table de négociations s’apparente à une vaste boîte noire dont on ne voit pas bien quel accord pourrait bien émerger à l’automne.
Cette opacité est intolérable, car on sait très bien que la mobilisation citoyenne est la meilleure alliée de la lutte contre le dérèglement climatique. Par conséquent, une affaire assez importante pour menacer les accords sur le climat doit être rendue publique. Que les chefs d’État le veuillent ou non, les citoyens ont le droit de savoir.
S’agissant de l’ambition environnementale, elle est non seulement insuffisante mais surtout incompatible avec les objectifs de la COP21. Le projet de résolution de l’OACI vise «une croissance neutre en carbone pour chaque pays d’ici à 2020», puis un maintien des niveaux de carbone de 2020 pour les années suivantes.
Scénario désastreux Clairement, cet objectif ne correspond pas aux niveaux de réduction préconisés par la COP21. Pour les atteindre, l’OACI promet un panier de mesures dont un marché carbone mondial pour le secteur de l’aviation. Or, il est de notoriété publique que l’AITA et certains États ont toujours rejeté l’idée d’un marché carbone aérien, comme l’a montré l’échec de l’Union européenne à en imposer un, avant de le mettre en place pour les seuls vols intra-communautaires.
Les constructeurs lui préféreraient un mécanisme de compensation carbone qui leur donne bonne conscience mais qui est surtout plus facile à manœuvrer. Dans de telles conditions, comment garantir que le coût de la tonne de carbone sera réellement incitatif? Par ailleurs, ces mécanismes permettent-ils vraiment de régler le problème principal, à savoir une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre de l’aérien?
A l’heure actuelle, le scénario est désastreux: aucune mesure concrète ni coordonnée ne sera prise avant 2021; des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, certains pays arabes pourront se prévaloir de leur statut de pays au niveau de revenu moyen et seront exemptés de prendre des mesures avant 2026, alors que c’est précisément dans ces pays que le trafic aérien augmente le plus vite. Le nouvel accord, s’il se révèle moins ambitieux que le cadre européen actuel, s’imposera quand même aux vols communautaires et nous fera par conséquent régresser encore un peu plus.
J’en appelle donc à la responsabilité du gouvernement et des gouvernements: il est temps d’agir, pour la planète et pour nos citoyens, en se montrant exemplaires sur la transparence et sur les objectifs négociés à l’OACI. Chaque acteur doit prendre sa part dans la lutte pour le climat, sans plus tarder.
Karima DELLI est membre Verts/ALE de la commission Transports du Parlement européen.