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La réélection sans débat du président de la Commission, une menace pour l’Europe sociale et écologique

16 septembre 2009
LE MONDE | 15.09.09 | 14h25

Circulez, y a rien à voir. L’Union européenne (UE) choisit le président de la Commission pour les cinq ans à venir mais, surtout, parlons-en le moins possible. Les élections européennes ont été une occasion ratée de mener ce débat : les enjeux nationaux ont dominé la campagne tandis que les partis socialistes européens se gardaient de proposer un candidat qui aurait pu incarner le renouveau. Et cela continue, sous la pression des vingt-sept chefs d’Etat et de gouvernement qui, dans une belle unanimité, poussent à la reconduction de José Manuel Barroso. Sa famille – le Parti populaire européen (PPE), l’UMP en France – est arrivée en tête aux élections ; elle constitue le plus grand groupe parlementaire. Le Parlement n’aurait plus qu’à avaliser ce choix. Circulez, y a rien à voir ? Pas si sûr.

Le changement climatique s’accélère. Le monde traverse une crise économique et sociale d’une violence inégalée. Des tentations protectionnistes mettent en péril le marché intérieur au moment où se creusent des déficits abyssaux qui, à terme, pourraient saper l’euro. L’absence de politiques communes sociales et fiscales européennes a nourri de justes interrogations contre l’Union européenne. Le contexte est exceptionnel. Et tout ce que les 27 gouvernements proposent, c’est de prendre le même et de recommencer !

Aucun bilan de l’action de M. Barroso n’a été dressé. Si, sous sa présidence, certains dossiers ont avancé, comme par exemple le paquet énergie climat, la Commission a souvent capitulé devant les égoïsmes nationaux, quand elle n’a pas manqué à son devoir d’initiative, freinant notamment, des années durant, la régulation des services financiers. Sous prétexte de « mieux légiférer », sa Commission n’a, dans bien des domaines, pas légiféré du tout, comme par exemple en matière de transport routier ou de mutualité. Loin de nous rassurer, le fait que le candidat ait le soutien des Vingt-Sept a de quoi inquiéter. Il est le plus petit dénominateur commun ; il séduit parce qu’il ne dérange pas. Pilotant une institution où chaque Etat envoie désormais son « représentant », il se garde bien de fâcher ceux qui le font roi. Nous avons bien conscience que, dans une Union à vingt-sept, hétérogène, le « job » est difficile. Raison de plus pour bien choisir le titulaire.

Le dilemme qui, depuis les origines, caractérise l’intégration européenne reste d’actualité : certains prétendent qu’une vague coordination des politiques des Etats suffit pour donner naissance à une Europe forte. C’est une illusion. L’Europe intergouvernementale n’est qu’un ersatz d’Europe, une supercherie, une Union « bidon » qui n’impressionne personne à Washington ou à Pékin.

Qu’on les aime ou pas, les politiques communautaires (concurrence, commerce international, environnement), tout comme l’euro, existent et sont respectées dans le monde entier. Le reste, c’est du vent ! Les chômeurs cherchent en vain les emplois que la « méthode ouverte de coordination », chère à M. Barroso, devait apporter. Les Russes se délectent de nos divisions en matière énergétique et diplomatique. Avec la montée en puissance du G20, José Manuel Barroso risque d’être de plus en plus le simple secrétaire général des Etats, les « grands » pays défendant seuls leurs intérêts, les « petits » n’ayant plus qu’à se chercher des « protecteurs ». Retour au XIXe siècle.

Avons-nous inventé la Communauté puis l’Union européenne pour en arriver là ? Est-il possible que les Français et les Allemands cautionnent cette terrible régression ? Relisez Monnet ! Lisez les remarquables Memos to the New Commission (« Mémos pour la nouvelle Commission « ) que le centre de recherches indépendant Bruegel vient de publier, sous la direction d’André Sapir (www.bruegel.org). Ce groupe d’économistes de toute l’Europe tire la sonnette d’alarme : l’UE est à la croisée des chemins. Ou elle reprend le chemin de l’union véritable, en adoptant, face à la crise et au changement climatique, une approche commune, intégrée, ou, à terme, elle est condamnée.

Lisez l’appel de Mario Monti, ancien commissaire à la concurrence et au marché intérieur qui, dans Le Monde du 8 juin dernier, plaide pour « relancer l’Europe en réconciliant marché et social », par un pacte refondateur. En redonnant à l’UE une raison d’être, en permettant des politiques sociales et écologiques actives, ce pacte serait propre à reconquérir le coeur des citoyens. Toutes ces idées sont infiniment plus riches que les Orientations politiques pour la prochaine Commission rédigées par M. Barroso. Or nul ne pourra dire que ce sont là de dangereux gauchistes, des irresponsables, contestant la victoire du PPE aux dernières élections !

Le temps presse. Voulons-nous bâtir une économie de marché sociale, écologique ? M. Barroso le dit mais peut-être, comme le loup, montre-t-il « patte blanche » pour rentrer dans la bergerie. Il multiplie les références pour rassurer les brebis Vertes, centristes ou de gauche : « services publics », « économie sociale de marché », « ressources propres », « durabilité ». La lecture attentive du document nous laisse sur notre faim. Pour un vrai « agenda de transformation », il en faudrait beaucoup plus : ainsi, M. Barroso met en oeuvre le plan coordonné de sortie de crise adopté l’an dernier ; il ne propose pas de plan automobile ou bancaire européen ni de création d’un superviseur financier unique, comme aux Etats-Unis (les Américains sont sans doute d’autres dangereux gauchistes). Il évoque une « décarbonisation de notre approvisionnement en électricité et du secteur des transports », sans dire comment y arriver. Sur l’agriculture ou la lutte contre le crime organisé, il ne dit quasiment rien.

Nous connaissons trop les talents inouïs de camelot de M. Barroso pour lui accorder le bénéfice du doute. Avec un programme censé être proeuropéen, il a conquis le nouveau groupe ECR (des conservateurs et réformateurs européens), composé de conservateurs britanniques, de Polonais du parti Droit et Justice et de Tchèques eurosceptiques. En son temps, Jacques Delors était insulté par les eurosceptiques britanniques. C’était meilleur signe.

Cette affaire cache une question importante pour l’avenir de l’Europe : sommes-nous encore à l’ère de la diplomatie ou la démocratie est-elle prise au sérieux par les dirigeants européens ? L’UE est une construction originale, une union d’Etats et de peuples où deux organes, le Conseil représentant les Etats et le Parlement, décident ensemble. En dépit de réformes nombreuses, voulues par les Etats, allant toutes dans le sens du renforcement du Parlement, le Conseil persiste à rechercher une unanimité mollassonne. Il a voulu faire passer en force son candidat dès la première séance du Parlement, en juillet, sans débat. Maintenant, les gouvernements pressent pour que le vote de désignation intervienne le 16 septembre, sous le régime du traité de Nice, au lieu d’attendre trois semaines, ce qui permettrait, si les Irlandais votent oui, d’appliquer le traité de Lisbonne, levant ainsi des doutes juridiques.

Au Parlement, il est vrai, de prendre ses responsabilités. Pour l’assemblée européenne qui ne brille pas toujours par son souci de l’intérêt supérieur européen, c’est un test. Trop de députés, prisonniers de schémas de pensée nationaux, écoutent docilement les « instructions » venues des capitales, même les plus surprenantes. Ainsi, les socialistes espagnols vont, nous dit-on, soutenir M. Barroso « par solidarité ibérique ». Olé ! Trop de responsables ont pris goût à des petits arrangements entre groupes politiques, faisant primer leurs ambitions personnelles. Conseil, Commission, Parlement, toutes les institutions doivent prendre leur part de responsabilité dans la défiance dont l’UE fait l’objet. Nous aurons l’Europe que nous méritons. Notre vote contre M. Barroso n’est pas une bataille contre un homme ni un parti, c’est la défense d’une certaine conception de l’UE.

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Daniel Cohn-Bendit est coprésident du groupe des Verts au Parlement européen ;

Sylvie Goulard est députée européenne (ADLE).

Article paru dans l’édition du 16.09.09. http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/09/15/la-reelection-sans-debat-du-president-de-la-commission-une-menace-pour-l-europe-sociale-et-ecologique-par-daniel-cohn-bendit-et-sylvie-goulard_1240778_3232.html

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