Tribune co-signée avec José Bové : Nous devons retrouver des politiques agricoles sensées (Le Mondefr)
La répression avait été violente, laissant dans son sillage des centaines de morts. Depuis le mois de juin, les cours du blé sur les marchés mondiaux ont été multipliés par deux, commençant de nouveau à provoquer des émeutes dans les rues des pays du Sud.
Comme en 2007, la situation actuelle est due à plusieurs facteurs. Les moteurs de nos camions et de nos voitures engloutissent une part non négligeable de la production de maïs de la planète sous forme d’agro-carburants. Certaines régions, considérées comme des greniers à blés de la planète (Australie, Argentine, Ukraine, Russie) connaissent des accidents climatiques sévères qui hypothèquent une partie des récoltes. La spéculation, tant décriée il y a trois ans, est de retour. Les fonds spéculatifs et les banques prennent massivement des positions sur les marchés à terme, des marchés de produits agricoles de première nécessité. Cargill, une des principales multinationales de commerce de produits agricoles, vient d’annoncer le doublement de ses revenus.
Depuis deux ans, la communauté internationale et en particulier le G20 cherche des solutions pour sauver le système financier et bancaire. La crise alimentaire qui concerne un milliard de personnes qui ne mangent pas à leur faim, est passée cyniquement au second plan. Aujourd’hui, cette question n’est plus la préoccupation des gouvernements qui mettent en place des plans d’ajustement structurels, pour rembourser la date contractée par les Etats pour renflouer le système financier international. Plus grave encore, certains ministres n’hésitent pas à jeter de l’huile sur le feu. En déclarant, avant de se rétracter dans la précipitation quelques heures plus tard, que « si crise devait se poursuivre, il faudrait prendre des dispositions pour limiter les exportations et garantir le niveau des stocks ». Les propos de M. Le Maire ont généré une onde de panique qui a fait le tour de la planète en quelques minutes. M. Lemaire s’est rétracté quelques heures plus tard mais le mal était fait. La France est en effet un des principaux exportateurs de céréales.
CONTRER LA SPÉCULATION
Certains pays se sont placés dans une situation de dépendance dramatique. Le Maroc par exemple importe 1 million de tonne de céréales, ce qui représente l’alimentation de 4 millions de personnes soit près de 8 % de sa population. La France, devenue exportatrice de céréales ces quarante dernières années grâce au soutien de l’Europe, n’a pas le droit d’agir ainsi. Elle voudrait rappeler que l’alimentation est une arme qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. L’approvisionnement alimentaire de 7 milliards de personnes est un véritable défi. La libéralisation du commerce orchestrée par l’OMC est un échec. Si nous ne voulons pas voir les crises alimentaires et la famine regagner du terrain, nous devons retrouver des politiques agricoles sensées. Pour cela, il faut mettre fin à la financiarisation des marchés de matières agricoles sur lesquels de plus en plus de transactions n’ont plus rien à voir avec l’économie réelle. Pour contrer la spéculation, nous proposons d’interdire sur ces marchés toute transaction n’impliquant que des opérateurs financiers. Par ailleurs, la communauté internationale doit créer un fonds financier destiné à intervenir lorsque les cours s’envolent.
Elle doit également créer dans les régions les plus sensibles des stocks physiques d’intervention. Enfin, il est nécessaire que les grandes sociétés qui gèrent le commerce mondial fassent preuve de transparence. Cargill, ADM, Bunge, Glencore, Dreyfus doivent communiquer leurs activités, et les volumes qu’elles commercialisent. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), pourraient être chargée de la collecte et de la diffusion de ces informations.
Les Européens de l’Ouest ont bénéficié d’une alimentation abondante et abordable depuis quarante ans. Nous avons oublié ce que le mot faim signifie. C’est une bonne chose. Mais ce n’est pas le cas dans de nombreuses régions du monde. Nous devons relancer l’agriculture mondiale en nous appuyant en premier lieu sur l’agriculture familiale et sur la souveraineté alimentaire. Ses techniques sont plus productives que celles utilisées par l’agro-industrie. Elles seules permettront d’améliorer l’alimentation de tous sans dilapider les ressources environnementales dont nous aurons encore plus cruellement besoin demain. « On ne peut appeler homme d’état quelqu’un qui ignore tout des problèmes du blé », disait Socrate il y a 2 500 ans. Combien de chefs d’état du G20 trouveraient crédit à ses yeux ?
José Bové et Pascal Canfin, députés européens Europe Ecologie-Les Verts