«Le vieux monde se défend avec virulence»
Et si lutter contre le dérèglement climatique enrayait le dérèglement démocratique ? Le 12 décembre, alors que la France s’interrogeait sur le nombre de régions qui, le lendemain, pourraient basculer à l’extrême droite, près de 200 pays signaient à Paris un accord sur le climat. On évitait finalement – mais pour combien de temps encore ? – le crash démocratique comme le crash climatique. La COP 21 a heureusement évité le fiasco du sommet de Copenhague six ans plus tôt. C’est que le contexte des négociations a profondément évolué.
Le dérèglement climatique n’est plus seulement une alerte scientifique et des conséquences potentielles pour les générations futures : nous en ressentons tous, déjà, les impacts dramatiques. Surtout, les comportements individuels et collectifs ont commencé à changer. En même temps qu’émerge cette révolution citoyenne dont les associations et les collectivités territoriales sont de puissants relais, s’affirme une révolution économique plus rapide encore. Plus de la moitié des nouvelles installations de production électrique dans le monde sont dorénavant des renouvelables. Le coût du photovoltaïque a été divisé par quatre depuis Copenhague et cette énergie, comme l’éolien terrestre, est désormais moins chère que le pétrole, le gaz et le nucléaire. Ça tombe bien. Car, en fixant l’objectif de limiter le réchauffement bien au-dessous de 2 degrés d’ici la fin du siècle, l’accord de Paris nous impose d’en finir rapidement avec les énergies fossiles. Et d’accélérer le basculement à l’œuvre.
Déjà, un nouveau modèle énergétique a percé. Basé sur l’efficacité énergétique et les renouvelables, il est décentralisé, construit sur les besoins, centré sur les citoyens et les acteurs locaux des coopératives, des PME, des villes et des régions. Il vient remplacer le modèle centralisé, obsédé par la rente, bâti sur l’offre et trusté par quelques géants qui se partagent le business.
On comprend qu’il affole le vieux monde : le choix citoyen et l’intérêt collectif à la place des intérêts des mastodontes de l’énergie ; la démocratie plutôt que les dictatures du pétrole ; le partage plutôt que la rente ; la convivialité plutôt que la menace nucléaire. Agir contre le dérèglement climatique, c’est donc transformer en mieux la vie de chacune et de chacun. Ce sont des emplois non délocalisables et des milliers d’entreprises petites et grandes dans les économies d’énergie, le bâtiment, les transports collectifs ou les énergies renouvelables. Ce sont des paysans nombreux et une alimentation saine grâce à une agriculture respectueuse de l’environnement. C’est redonner vie aux territoires, y compris en termes de services publics et de culture, et donc de démocratie. Tout n’est pas réglé pour autant. Le vieux monde, prédateur et donc inégalitaire, se défend avec virulence. En 2015, les investissements dans les renouvelables ont atteint de nouveaux records dans toutes les régions du monde, sauf en Europe ! Du fait notamment de la France, où ils ont chuté de moitié, éloignant un peu plus notre pays de ses engagements européens en la matière, appliquant à l’envers le slogan d’Obama : «Arrêtons de financer le passé, investissons dans le futur.»
La politique énergétique de notre pays doit-elle rester centralisée et cogérée par l’Etat et les grands énergéticiens EDF, Engie et Total ? Ou se construit-elle à l’échelle européenne pour ses capacités d’investissement, de recherche et de développement de filières et à l’échelle locale pour ses capacités d’appropriation citoyenne et d’adaptation aux territoires ? Comment planifie-t-on la fermeture des centrales conventionnelles et comment accompagne-t-on les salariés concernés ? Quel signal «prix» sur le carbone envoie-t-on aux investisseurs et aux citoyens pour sortir du carbone sans les condamner ? Sommes-nous capables de basculer une partie croissante de notre fiscalité du travail vers le carbone et les pollutions ? Construire le monde de l’après-pétrole nous oblige à changer d’imaginaire autant que d’organisation institutionnelle. Et bâtir une démocratie climatique nous offre l’opportunité de remplacer le «c’était mieux avant» par «ce sera mieux demain». Chiche !