Merkel/Sarkozy enferment l’Europe dans l’impasse grecque
Pour réduire ses dépenses, on impose à l’État grec d’assécher carrément l’activité économique du pays en démantelant sa seule assise fiable : le marché intérieur. En taillant massivement dans les salaires, on dit vouloir relancer la compétitivité de l’économie grecque et sa capacité à exporter. Mais dans combien de temps ? Avec quel plan de développement ? Où sont les investisseurs, les structures de formation, les salariés qualifiés pour fabriquer, et les marchés extérieurs pour acheter ? Rien de tout cela n’est crédible, et le décrochage économique et social de la Grèce va conduire à une crise très grave dans tout l’espace méditerranéen.
Il y a d’abord l’effet d’entraînement sur les autres économies les plus en difficulté de l’Europe du sud, Chypre, Italie, Malte, Espagne et Portugal. Le décrochage grec pourrait devenir le décrochage de tout l’espace méditerranéen européen, et la France pourrait y être entraînée à son tour. Or cet espace européen des pays riverains de la Méditerranée est le point d’appui de toute la politique européenne pour cette zone. Comment va-t-on construire une coopération efficace entre les deux rives de la Méditerranée si la rive européenne est elle-même menacée d’implosion ?
Il y a ensuite les conséquences en cascade d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Le chaos prévisible en Grèce aurait des effets dommageables sur toutes les autres économies européennes. Le système bancaire serait confronté à un défaut de paiement général, entraînant ensuite les États dans une nouvelle spirale d’endettement pour sauver leur secteur financier. Tous les États aux systèmes productifs affaiblis, Chypre, Portugal et Malte, suivraient la Grèce très rapidement. Italie et Espagne ont des activités productrices mieux assurées, mais la crise les secouerait terriblement. Et la France, qui vient de constater un déficit économique jamais atteint, serait elle aussi déstabilisée. La politique de la droite européenne nous mène tous aux pires difficultés.
L’alternative à cette politique du pire est connue, et elle est avancée de façon claire par la Commission Européenne, avec le soutien du Parlement Européen, et de nombreuses forces politiques européennes, à commencer par les socialistes et les Verts, ainsi que plusieurs formations centristes ou libérales. Elle consiste à s’engager davantage dans l’intégration européenne, de façon à permettre la création des obligations européennes qui, en mutualisant la dette européenne, la stabiliserait et donnerait accès à des taux d’intérêt raisonnables. Avec les marges de manœuvre ainsi libérées, la rigueur exigée des économies endettées, à commencer par la Grèce, serait alors nettement plus supportable pour les peuples concernés.
Que les plus riches, en apportant leur solidarité économique, veuillent des garanties sur la gouvernance économique future des pays secourus, serait alors concevable. Mais la politique actuelle, à sens unique car sans mise en place des contreparties de solidarité suffisantes, fondée sur des dogmes monétaires rigides, et insensible à la misère qu’elle entraîne, auront pour effet prévisible l’effondrement des économies concernées. Même la presse de droite allemande commence à pointer du doigt les effets dangereux de cette politique voulue par le « couple franco-allemand », ou plutôt par le binôme formé par leurs deux dirigeants qui, au fil des mois, ont lié leurs destins politiques.
En fait Nicolas Sarkozy, en grande difficulté pour sa réélection, a fait d’Angela Merkel son principal argument de campagne électorale. Et, en Allemagne, la chancelière devra affronter des élections tout aussi difficiles à peine un an plus tard. Et son pressentiment est net : elle est persuadée qu’elle ne résisterait pas à un échec de son homologue français, et que l’alliance Verts-Socialistes aurait alors toutes les chances de l’emporter en Allemagne aussi.
Cette alternance de part et d’autre du Rhin ouvrirait enfin le jeu et permettrait aux fondamentaux de l’Europe solidaire de refaire surface. Dès lors, l’issue de l’élection présidentielle française prend une dimension tout autre. A la clef, se joue sans doute, pour partie, l’avenir même de l’Union Européenne.
François ALFONSI