Sarkozy repart à l’offensive sur Schengen
Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, est chargé de remettre le sujet sur le tapis ce jeudi lors d’une réunion avec ses homologues européens à Luxembourg.
Par C.B. , M.P.
«Malheureusement, les vents du populisme menacent une des grandes réalisations de l’intégration européenne: la libre-circulation des personnes au sein de l’UE.» Contre quels vents au juste pestait ce mercredi sur Twitter le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, en visite officielle en Roumanie ? Sans doute ceux soufflés par le parti populiste néerlandais d’extrême droite PVV de Geert Wilders, qui bloque l’adhésion à l’espace Schengen de la Roumanie, mais aussi ceux relancés avec vigueur ces derniers jours par Nicolas Sarkozy qui, tout à sa conquête de l’électorat d’extrême-droite, revient à la charge sur l’accord de libre circulation européen.
«Les Français ne veulent plus d’une Europe passoire», a asséné lundi au lendemain du premier tour le président-candidat, à Saint-Cyr-sur-Loire, reprenant à son compte la réthorique du Front national. «C’est le message que j’ai entendu. Si l’Europe ne peut pas défendre ses frontières, la France le fera.» Quitte à remettre en cause Schengen, espace créé en 1985 pour permettre aux ressortissants de ses 26 membres (22 pays de l’UE plus l’Islande, la Norvège la Suisse et le Liechtenstein) de circuler librement sans contrôles frontaliers. Cinq pays de l’UE n’en sont pas membres : Royaume-Uni, Irlande, Chypre, Roumanie et Bulgarie.
Schengen ? «Un ventre mou, un espace ouvert à tous les vents», avait déjà torpillé à Villepinte, en mars, Nicolas Sarkozy, appelant déjà à «pouvoir sanctionner, suspendre ou exclure de Schengen un Etat défaillant, comme on peut sanctionner un Etat de la zone euro qui ne remplirait pas ses obligations». En ligne de mire, la Grèce, porte d’entrée de nombreux clandestins en Europe. Et de menacer de suspendre la participation de la France aux accords de Schengen faute d’obtenir gain de cause dans les douze mois. Consternation à Bruxelles, où l’ultimatum était quelque peu tombé à plat. C’est que Sarkozy a paru oublier que sortir de Schengen, c’est sortir de l’UE, Schengen étant intégré dans les traités européens depuis 1997.
Clause de sauvegarde
L’offensive de Sarkozy intervient alors qu’un projet de révision du code de Schengen est déjà en cours, lancé d’ailleurs sous l’impulsion de la France après l’épisode de l’afflux d’immigrés à Lampedusa dans la foulée de la révolution tunisienne l’an dernier. Il s’agit notamment de permettre un rétablissement prolongé (et non plus limité à quelques jours) des contrôles aux frontières intérieures en cas d’afflux massif et incontrôlé de clandestins de nature à menacer gravement l’ordre public. Le 8 mars, une réunion s’est tenue sur le sujet à Bruxelles entre les ministres européens de l’Intérieur. Sans Claude Guéant, qui avait séché.
Mais aujourd’hui, à dix jours du deuxième tour, le temps presse pour le Nicolas Sarkozy. Qui a donc dépêché Claude Guéant pour remettre le sujet sur le tapis lors d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur ce jeudi à Luxembourg. La question n’était pourtant pas censée être à l’ordre du jour avant une prochaine réunion le 26 mai.
«C’est un peu une séance de rattrapage pour Claude Guéant», moque la députée européenne Hélène Flautre (EE-LV), membre des commissions Libertés publiques, justice et affaires intérieures et Affaires étrangères. «Mais la visée électoraliste est voyante et il y a une certaine réticence au niveau européen à évoquer le sujet sous cette pression là.»
Histoire d’accélérer la cadence, Claude Guéant a adressé le 19 avril une lettre à la présidence de l’UE, co-signée par son homologue allemand Hans-Peter Friendrich (pdf ici). Les deux ministres demandent à leurs partenaires d’accepter de rétablir des contrôles aux frontières nationales pendant un mois en cas de défaillance à une frontière extérieure de l’espace Schengen et de prolonger cette mesure si nécessaire. Ce qui recoupe largement le projet déjà en discussion. «La nouveauté, c’est que le rétablissement des contrôles aux frontières nationale serait dissocié de la notion de menace grave à l’ordre public. Autrement dit, Nicolas Sarkozy veut faciliter le recours à la réinstauration des contrôles», relève Yves Pascouau, responsable du programme Migrations et divertisté europénnes au centre de réflexion European Policy Center de Bruxelles. «Ce serait l’élargissement d’une possibilité déjà ouverte par le traité actuel, mais l’on voit mal en quoi le rétablissement du contrôle aux frontières françaises va contribuer à répondre aux difficultés, bien réelles, à la frontière gréco-turque», fait remarquer Hélène Flautre.
«Une pente dangereuse»
L’insistance de Nicolas Sarkozy à vouloir aller plus vite que la musique fait grincer quelques dents chez les Etats membres. La proposition franco-allemande «sent très mauvais», a ainsi estimé le chef de la diplomatie du Luxembourg, Jean Asselborn, dans un entretien à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. «Les dirigeants européens devraient faire preuve de leadership au lieu de chercher à flatter ces forces d’extrême droite», blâme aussi la commissaire chargée des Affaires intérieures, Cecilia Malmström.
La manœuvre franco-allemande a pour l’heure peu de chances d’aboutir hors du cadre des négociations déjà engagées: il faudrait que la Commission européenne accepte de formuler une proposition en ce sens, puis que le Parlement européen, co-décisionnaire, laisse couler cette fois-ci. Ce qui n’est pas gagné : en juillet 2011, il avait réaffirmé sa ferme opposition à la réintroduction de contrôles aux frontières (résolution ici). Sans compter, enfin, le poids économique que représenterait le rétablissement de forces de contrôles aux frontières pour un Etat.
Reste que le débat sur la liberté de circulation, l’une des libertés fondamentales de l’accord européen, est rouvert. «Si revenir à un rétablissement complet des contrôles aux frontières est irréaliste, l’idée qu’on puisse réviser Schengen est aujourd’hui sur la table. On est en train de modifier toute la philosophie de Schengen, qui était fondée sur la confiance mutuelle entre les Etats, plutôt que sur la méfiance et sur une logique de sanctions», s’inquiète Yves Pascouau. «C’est une pente qui me semble très dangereuse.»