Secrets des affaires et protection des lanceurs d’alerte : c’est à en perdre son latin!
Les débats interminables sur la traduction en français du terme « wrongdoing » ne sont pas anodins. Car c’est toute la question de la protection effective ou non des lanceurs d’alerte qui se joue.
Lors des débats houleux qui ont conduit à l’adoption de cette directive, les écologistes européens ont toujours insisté pour que les lanceurs d’alerte soient protégés lorsqu’ils révèlent des faits de nature à porter atteinte à l’intérêt public, qu’ils soient légaux ou non, qu’il s’agisse d’une faute ou non.
C’est l’une des raisons principales pour laquelle nous avons voté contre cette directive au Parlement européen. Car nous considérions que les conditions dans lesquelles les lanceurs d’alerte pouvaient être protégés étaient beaucoup trop floues, et sujettes à interprétation.
Un mois de débats ubuesques
Que s’est-il donc passé entre l’adoption de la directive par le Parlement européen, le 14 avril dernier, et son adoption aujourd’hui par le Conseil? Plus d’un mois de débats ubuesques sur la traduction en français du terme « wrongdoing ».
Lorsque la Commission européenne a publié sa proposition de directive sur les secrets d’affaires, la version anglaise du texte comprenait déjà le terme « wrongdoing » dans l’article concernant les exceptions (voir art.5, plus bas). Ce dernier était traduit par le terme « malversation » dans la version française.
Lors du vote en commission des Affaires juridiques du Parlement européen, la version française contenait encore le terme de départ « malversation ». Des députés francophones ayant réalisé que ce terme, trop restrictif, ne convenait pas, il a été modifié pour « comportement inapproprié » par les juristes linguistes qui, de l’avis de tout le monde, était bien ce qu’avaient voulu dire les législateurs.
C’est donc ce texte qui a été mis au vote en plénière le 14 avril. Puis, dans un laps de temps compris entre moins d’une heure avant le vote et 10min après ce dernier, la version française du texte a été mystérieusement modifiée sur le site du Parlement suite à une demande du Conseil et, en particulier de la France. On ne lisait alors plus « comportent inapproprié » mais « faute professionnelle ».
Nul besoin d’être un fin juriste pour réaliser que « faute professionnelle » est une notion beaucoup plus restrictive. Alors qu’un terme volontairement flou comme « comportement inapproprié » permettait d’assurer une marge d’appréciation au juge, le terme « faute professionnelle » est juridiquement beaucoup plus circonscrit. Conscients de cette différence fondamentale, les députés européens ont réclamé que l’on revienne à la formulation initiale, ce qui a été fait. Aujourd’hui encore, c’est bien la version comprenant le terme « comportement inapproprié » qui figure sur le site du Parlement.
Mais de son côté, le Conseil, qui avait obtenu une version linguistique beaucoup plus restrictive et qui devait, selon la procédure d’accord en première lecture, adopter le texte dans les mêmes termes, a refusé d’adopter la version du Parlement.
Se sont donc déroulées, pendant près d’un mois, des négociations entre services linguistiques du Parlement et du Conseil afin de trouver un terme commun et ce, après la fin des négociations et après le vote du Parlement européen !
Ces négociations ont abouti sur le choix du terme « acte répréhensible » qui sera en conséquent introduit dans les versions du Parlement et du Conseil afin que les deux versions soient identiques.
« Comportement inapproprié » vs « acte répréhensible », beaucoup de débat pour rien? Non! Car l’absence d’action peut, par exemple, être considérée comme un comportement. Par ailleurs, si la notion d’ « acte répréhensible » était absolument équivalente à celle de « comportement inapproprié », il est incompréhensible d’avoir insisté pour la modifier.
Nous avons besoin d’urgence d’une directive européenne sur les lanceurs d’alerte !
Comme les écologistes l’ont répété depuis des mois, la directive secrets des affaires constitue en soi et, quelles que soient les exceptions, une protection excessive pour les secrets d’affaires. Du fait qu’elle permette de garder à peu près n’importe quelle information confidentielle et qu’elle s’applique à tout individu, et pas seulement aux concurrents, elle constitue un pas vers une opacité majeure et un obstacle supplémentaire pour les lanceurs d’alerte et le droit à l’information.
Néanmoins cet épisode de traduction contient des enseignements importants. Si près de 6 mois après la conclusion de l’accord entre le Parlement et le Conseil, les juristes linguistes étaient toujours en train de s’écharper sur le sens d’un terme aussi majeur du texte, une chose est claire : ce n’est pas clair!
Et c’est justement parce que les dispositions permettant de ne pas être poursuivi en cas de révélations d’informations d’intérêt général demeurent floues, incertaines, mal rédigées et trop restrictives qu’une directive pour protéger les lanceurs d’alerte est nécessaire.
Ça tombe bien, les écologistes européens ont travaillé sur un projet de directive sur les lanceurs d’alerte ! Vous pouvez trouver tous les détails ici.
Article 5: Dérogations
Les États membres veillent à ce qu’une demande ayant pour objet l’application des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive soit rejetée lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation alléguée du secret d’affaires a eu lieu dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
(…)
b) pour révéler une faute, un comportement inapproprié (version adoptée par le Parlement)/une faute professionnelle (version reçue par le Conseil)/un acte répréhensible (version finale) ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ;
en anglais :
b) for revealing misconduct, wrongdoing or illegal activity, provided that the respondent acted for the purpose of protecting the general public interest;