« Si on laisse les Grecs se débrouiller seuls, on risque un coup d’Etat militaire « , prévient Daniel Cohn-Bendit
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11 May 2012
Le Monde
Pour le député européen, » il faut que Hollande ne se laisse pas aller à un tête-à-tête avec Merkel »
DANIEL COHN-BENDIT est coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Dans un entretien au Monde, il met en garde contre la sortie de la Grèce de la zone euro.
Est-il judicieux de menacer la Grèce d’une sortie de la zone euro ?
C’est idiot de menacer les Grecs. On ne peut pas leur dire qu’il n’y a pas d’alternative s’ils ne votent pas bien. Il faut trouver une porte de sortie avec eux, non pas pour qu’ils quittent l’euro, mais pour qu’ils respectent leurs engagements. Nous devrions engager des discussions avec le Pasok et Nouvelle Démocratie et les deux formations dissidentes de ces partis.
Celles-ci ont dénoncé le mémorandum signé avec les bailleurs de fonds. Mais avec ces quatre formations, il doit y avoir un moyen de se mettre d’accord sur un agenda plus social, afin d’accompagner la mise en oeuvre du mémorandum, quitte à l’amender un peu. Il faut le faire avant toute nouvelle élection, car sinon rien ne changera avec le seul recours à la méthode Coué.
Les plans d’austérité n’ont-ils pas été trop drastiques ?
Prenez l’exemple de la réunification allemande, les nouveaux Länder ont connu de multiples réformes. Mais l’Allemagne de l’Ouest a pris en charge les retraites, et une bonne partie des prestations sociales.
L’espace politique s’est effondré en Grèce. Il s’agit de donner un signal d’espoir. Si on laisse les Grecs se débrouiller seuls, on risque un coup d’Etat militaire. La chute du niveau de vie sera encore plus dramatique. Personne ne sait comment pourra fonctionner ce pays avec de nouvelles drachmes. Par ailleurs, cette hypothèse d’une sortie de la Grèce ne va pas arranger les problèmes de l’Italie ou de l’Espagne. Je ne crois pas qu’une sortie de la Grèce de la zone euro soit possible.
François Hollande veut compléter le pacte budgétaire, pour y adjoindre un plan de croissance. Sa proposition suscite un certain écho en Europe. Croyez-vous qu’un rééquilibrage soit possible, après le tout-austérité prôné par Angela Merkel ?
Il est quand même fou de dire que l’on ne peut pas toucher au pacte budgétaire, même après le vote exprimé par les Français. Car un pacte budgétaire sans accord entre la France et l’Allemagne n’a aucun sens.
Il faut que Hollande ne se laisse pas aller à un tête-à-tête avec Merkel. Il doit compter avec l’Italie, et Mario Monti, qui voit les limites de son approche libérale. Il doit se rapprocher des pays comme l’Espagne, et le Portugal.
Les réformes structurelles sont nécessaires mais prennent du temps. Angela Merkel a néanmoins compris qu’il n’y aura pas de pacte budgétaire sans mouvement de sa part sur la croissance. Si elle n’en fait pas, le texte ne sera même pas ratifié en Allemagne, à en croire les sociaux-démocrates et les Verts.
Les pistes aujourd’hui esquissées vont dans la bonne direction, mais ne sont pas suffisantes. Elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faut trouver une véritable stratégie pour décupler nos moyens d’action. Or personne ne sait vraiment ce que les socialistes français ont en tête.
Quelles sont vos pistes ?
Nous devons aller vers la mise en commun du stock de dettes anciennes. L’idée de créer un fonds d’amortissement de ces dettes, bénéficiant du financement de la Banque centrale européenne, n’est pas une idée de gauchiste. Même les cinq sages allemands, qui conseillent le gouvernement, ont fait des propositions en ce sens. Cela diviserait par deux les coûts de financement de la dette des Italiens, ou des Espagnols.
Ils pourraient utiliser ces économies pour réduire leur endettement, ou investir. Au passage, on assisterait à l’émergence d’un embryon de Trésor européen.
Un autre débat crucial concerne le budget de l’Union européenne, et la question de ses ressources propres.
On peut imaginer une taxe sur les transactions financières, une petite partie des revenus de la TVA, ou une taxe sur les télécommunications.
Avec 50 milliards d’euros de ressources propres, l’effet de levier serait considérable pour investir dans de nouvelles industries, et des infrastructures : le ferroviaire, les tramways, par exemple, comme on a su le faire dans l’aviation avec Airbus.
Propos recueillis par Philippe Ricard
Le Monde Interactif