Vers la fin du nucléaire
La vague de 14 mètres aurait submergé la place Saint Nicolas, noyé les appartements jusqu’au deuxième étage, et fracassé les car ferries sur les premiers immeubles et les terrasses des cafés. En plaine elle aurait tout noyé y compris Ghisonaccia, Migliacciaru, ou Aleria, dévasté Moriani, enseveli l’aéroport de Poretta en noyant les avions sur la piste, frappé au pied du bastion de Portivechju et remonté le Stabiacciu, le Fium’Orbu, le Tavignanu, le Fium’Altu ou le Golu sur une vingtaine de kilomètres au moins.
Le Japon pleure quelques milliers de victimes, environ 20.000, pour une population concernée de 15 millions d’habitants. A proportion, la Corse en aurait compté quelques dizaines, entre cent et deux cents, tout au long de ce désastre, personnes piégées dans leurs voitures, ou dans les avions et les trains, ou encore noyées dans leurs maisons proches du rivage. C’est à dire que des centaines de milliers de japonais, dans la petite heure qui a séparé le séisme de l’arrivée de la vague sur leurs côtes, ont compris qu’il fallait tout abandonner de leurs biens, gagner les montagnes ou monter dans les étages des immeubles, et se mettre à l’abri, tout cela dans un calme et une organisation rigoureux qui ont permis de sauver des centaines de milliers de vies humaines. Des scénaristes d’Hollywood ne tarderont pas à porter à l’écran le formidable réflexe collectif de sauvegarde de ce peuple atteint par un désastre surnaturel. Le grand public comprendra alors le prodigieux degré d’organisation et d’abnégation dont ils ont fait preuve.
Un autre sujet d’admiration du peuple japonais concerne l’extraordinaire tenue des immeubles construits selon les normes anti-sismiques qu’ils ont inventées et qui sont enseignées dans toutes les écoles d’architecture du monde. Pas un immeuble ne s’est effondré sous l’effet du séisme, malgré son amplitude extraordinaire. Pas un pont, pas un viaduc, pas un tunnel. Ce qui veut dire que non seulement leur ingéniosité a fait merveille, mais aussi qu’ils ont contrôlé que ces normes étaient bien respectées par tous les entrepreneurs, y compris les moins regardants.
Cette performance technique et politique exceptionnelle, par certains côtés, nous ramène au dossier nucléaire, et à la prodigieuse et prétentieuse stupidité des tenants de la « sécurité du nucléaire à la française », soit disant « la plus sure du monde ». Comme si les japonais n’avaient pas fait la preuve, y compris dans ce désastre épouvantable, de leurs propres compétences techniques et scientifiques, et de leur capacité à donner le maximum de garanties de sécurité à leur industrie nucléaire !
Malgré cela, la catastrophe est là, et la planète est menacée par une catastrophe beaucoup plus dévastatrice que ne l’a été Tchernobyl. En fait c’est même lié : plus la technicité augmente, plus la catastrophe devient rare, mais, quand elle survient, elle est aussi potentiellement beaucoup plus dangereuse. Les techniciens russes avaient été critiqués pour leurs enceintes de confinement insuffisantes, qui ont cédé à la première explosion. Si jamais la centrale japonaise explose à son tour, ce sera donc sous l’effet d’une explosion beaucoup plus forte ! Et avec des émissions radioactives incomparablement plus graves. Car reprendre le contrôle d’une installation sophistiquée dont les instruments de mesure sont tous hors service est beaucoup plus compliqué à Fukushima qu’à Tchernobyl. C’est ce que nous voyons tous les jours sur nos écrans de télé, et chaque jour qui passe rend l’espoir d’une solution maîtrisée encore plus aléatoire. Les lances à incendie des pompiers autour du feu nucléaire ne pourront rien éteindre, et nous sommes obligés d’attendre, avec angoisse, des lendemains que nul ne peut encore prévoir.
Dans le nucléaire, il y a eu un après-Tchernobyl. Il y aura un après-Fukushima, qui pourrait bien être, tout simplement, la fin du nucléaire. Déjà, en France, un scenario catastrophe « à la Fukushima » se fait jour pour les centrales au bord des fleuves : un séisme, même moins puissant, mais suffisant pour interrompre la fourniture d’électricité par le réseau, suivi par la rupture d’un barrage qui noie et provoque, en lieu et place du tsunami, la mise hors service des groupes de secours assurant le refroidissement des réacteurs. Hier, les mêmes spécialistes qui évoquent ce risque désormais affirmaient sans sourciller que tout avait été prévu et que l’on avait atteint le risque zéro en France !
De surcroît, les événements du Niger -raids et enlèvements par Al Qaïda- ont montré que l’accès à la ressource en uranium -la France importe 100% de l’uranium de ses centrales, dont près d’une moitié vient du Niger- est au moins aussi aléatoire que l’accès au pétrole et à toutes les autres énergies fossiles.
Restent les énergies renouvelables, seule solution réelle d’avenir*, qui ont atteint, sous l’influence des Allemands, des Pays nordiques d’Europe … et des Japonais, une taille industrielle critique, et qui sont capables de porter désormais des projets de très grande envergure comme ce projet Desertec de l’industrie allemande qui envisage de produire avec le soleil du Sahara de quoi fournir les pays d’Afrique du Nord et un quart de l’électricité européenne, autant que n’en produit aujourd’hui toute l’industrie nucléaire européenne.
Le choc de Fukushima, et la montée en puissance des énergies renouvelables, pourraient prochainement nous conduire à un scénario de fin du nucléaire. On ne peut que le souhaiter ardemment.
François ALFONSI
*Soulignons au passage la formidable capacité d’anticipation des autorités gouvernementales françaises qui sont en train d’étouffer dans l’œuf, grâce à leur prodigieuse capacité de nuisance administrative, le début de filière économique qui s’était structuré autour des énergies nouvelles et renouvelables en Corse.