Veto du parlement européen sur la «colle à viande»
19/05/2010 |
Les eurodéputés ont refusé la légalisation d’un additif alimentaire, la
«thrombine», qui permet l’assemblage de morceaux de viande en vue de
former une pièce homogène.
Prenez des copeaux de viande, appliquez une colle extraite de plasma
sanguin animal et laissez reposer. Vous obtenez un morceau de viande tout
neuf que les supermarchés vendent sous vide avec une étiquette mentionnant
la présence de «viande reconstituée». Ce scénario, courant aux Etats-Unis,
aurait pu devenir réalité en France si le parlement de Strasbourg n’avait
pas adopté mercredi une résolution retoquant l’application d’une telle
recette.
Ce nouveau procédé de fabrication, uniquement destiné aux viandes
préemballées, était pourtant attendu par les industries agro-alimentaires
qui y voient un moyen d’optimiser l’utilisation des chutes de viande. En
outre, la colle à viande arrangerait les affaires du consommateur en quête
de prix cassés : «On peut imaginer que la viande contenant de la thrombine
soit moins chère», explique Frédéric Vincent, porte-parole du commissaire
européen à la santé.
Le procédé a emporté l’adhésion des Etats membres, qui se sont presque
tous ralliés à l’idée de la commission européenne. Seul le Danemark l’a
rejeté, l’Italie s’étant quant à elle abstenue. La France, qui fait de la
gastronomie un fleuron national, a non seulement soutenu la proposition de
Bruxelles, mais elle l’a également anticipé. Entre 2003 et 2005, le pays a
en effet autorisé la reconstitution de viande ou de poisson à partir de
thrombine.
«Dans la mesure où tous les critères nécessaires à son autorisation sont
remplis, pourquoi ne pas légaliser un produit qui présente des avantages
certains ?», s’enquiert Françoise Grossetête. Pour l’eurodéputée du Parti
populaire européen, interdire la colle à viande revient à céder «à
l’opinion publique en adoptant un comportement émotionnel. Il est plus
facile d’interdire que d’expliquer pourquoi on l’autorise», avance-t-elle.
«Un beau symbole»
Mais pour les rangs écologistes, les bénéfices supposés de la colle à
viande restent fallacieux. «On présente cette initiative sous un aspect
social en disant que la viande doit être accessible à toutes les bourses.
Mais il y a organisation de la tromperie du consommateur, les gens moins
armés pour comprendre ce qu’ils achètent n’auraient pas pu savoir ce que
contient le produit», affirme Corinne Lepage, élue au sein de l’Alliance
des démocrates et libéraux européens.
Les pourfendeurs de la thrombine voient dans l’usage de cette substance
une invitation à la malbouffe. En agrégeant les bas morceaux de volaille
et de porc, «on va donner naissance à des steaks nouvelle génération»,
s’inquiète Michelle Rivasi, députée Europe Ecologie. Les doléances portent
également sur les risques sanitaires. Le rapport de l’autorité européenne
de sécurité des aliments, qui concluait à l’innocuité de la thrombine en
2005, peine à convaincre une partie de l’hémicycle européen. Alors que
certains pointent le manque d’indépendance des experts qui siègent au sein
de cette instance, Michèle Rivasi regrette «l’absence d’étude sur les
conditions d’extraction du plasma sanguin». Une telle lacune laisse selon
elle planer le doute sur les risques de contamination bactériologique des
patchworks de viande imbibés de thrombine.
Après s’être illustré sur les sujets environnementaux, le parlement
européen innove en contrecarrant pour la première fois de son histoire un
texte relatif à la santé. «Un beau symbole» et une façon de «renvoyer la
commission européenne dans ses cordes», observe José Bové. Et l’ex
porte-parole de la Confédération paysanne de glisser un mot pour les
agriculteurs : «Dans un contexte où les producteurs vivent des crises à
répétition, je m’étonne de voir une proposition qui vise à vendre la
viande
moins cher.»
Le projet de directive sur les additifs alimentaires proposé par la
commission européenne ne sera toutefois pas envoyé aux oubliettes. La
thrombine est exclue du champ législatif mais «on représentera un texte
comprenant 21 autres additifs», rappelle Frédéric Vincent, porte-parole
auprès de la Commission.