Commerce illicite des cigarettes : la Commission est complice du lobby du tabac !
En confiant aux fabricants de tabac la sélection et la rémunération directe des fournisseurs de stockage de données, la Commission Européenne tourne le dos à ses impératifs d’indépendance et au respect de ses engagements. Michèle RIVASI, dénonce cette nouvelle tentative de mainmise du lobby du tabac et rappelle la Commission Européenne à ses devoirs.
Grâce à la ratification d’un quarantième pays signataire, le protocole de l’OMS « visant à éliminer le commerce illicite du tabac » est entré en vigueur le 25 septembre 2018. Bien que l’Union Européenne ait fait partie des premiers signataires de ce traité en juin 2016, la Commission a adopté en 2018 des actes d’exécution et de délégation sur la traçabilité du tabac, contraires à l’esprit de ce traité et confiant aux fabricants de tabac la sélection et la rémunération directe des fournisseurs de stockage de données.
L’entrée en vigueur du protocole de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT) exige une indépendance irréprochable entre les lobbys du tabac et les différentes institutions. Or le lobby du tabac sévit à la Commission Européenne. Il faut dire qu’il est particulièrement connu. Parmi les 6 000 milliards de cigarettes vendues chaque année, 40 % sont produites par le monopole chinois et vendues en Chine. Le reste du marché se partage entre 4 grands cigarettiers : Philipe Morris International, British american Tobacco, Japan Tobacco International et Seita-Imperial Tobacco. Il faut savoir aussi que dans le domaine du tabac, il n’existe quasiment pas de contrefaçons. 98 à 99 % des cigarettes du commerce illicite, qui pèse en fonction des pays dans l’UE entre 15 et 25% de la consommation, sortent des usines de Big Tobacco.
Le fléau du commerce parallèle
Le commerce parallèle du tabac facilite l’entrée dans le tabagisme des adolescents, plus sensibles au prix. S’il représente environ 20 % du marché, il est par conséquent responsable d’une partie des 700 000 morts prématurées dues au tabac en Europe. Ce commerce illicite engendre aussi une perte fiscale directe estimée à 3 milliards d’euros/an en France, et entre 15 et 20 milliards d’euros/an en UE.
Le débat sur l’origine du commerce parallèle de tabac et la façon d’y mettre fin est pour moi un double révélateur : un révélateur des limites institutionnelles de l’UE, et un révélateur de l’exploitation de ces limites que peut en retirer un lobby aussi puissant, organisé et riche que celui du tabac. Pour l’OMS, les premiers responsables du commerce parallèle sont les cigarettiers, qui revendent directement à la sortie des usines de grandes quantités de tabac à des intermédiaires, qui ramènent ensuite ce tabac par camions ou bateaux dans les pays où le tabac est cher. Ou qui sur-approvisionnent des pays comme Andorre ou le Luxembourg où la fiscalité est faible et les paquets peu chers.
La traçabilité européenne sous le contrôle de l’industrie du tabac ?
L’article 5.3 du protocole CCLAT de l’OMS stipule qu’en matière de lutte antitabac, les signataires veillent à ce que les politiques de santé publique ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac. Mais la Commission a fait tout l’inverse. Elle a d’abord pris la décision de rédiger des actes d’exécution et délégués donnant le pouvoir de contrôle aux premiers bénéficiaires de ce trafic, en justifiant de l’impossibilité du protocole d’entrer en vigueur « avant plusieurs années ». Les associations antitabac, après avoir dénoncé durant toute la procédure de rédaction l’omniprésence des industries du tabac, ont porté plainte devant la Cour de Justice de l’Union Européenne pour annuler ces actes relatifs à la traçabilité. La Commission n’a pas cherché non plus à faire ratifier le protocole par l’ensemble des pays de l’Union. Seuls 12, à ce jour, ont signé le protocole de l’OMS.
Pourquoi la volonté du Parlement européen de voir ratifier le Protocole de l’OMS par tous les Etats membres n’a pas été suivi d’effets ? Pourquoi les protestations formulées par la société civile sur le non-respect de l’article 5.3 de la Convention-Cadre de l’OMS pour la Lutte Anti-Tabac sur l’encadrement du lobbying, et l’article 8 du Protocole de l’OMS sur la stricte indépendance des systèmes vis-à-vis de cigarettiers, n’ont-elles jamais été prises en compte par la Commission européenne ?
Stopper la coopération tacite de la Commission ?
Ce dossier montre l’extrême perméabilité de la Commission européenne à certains lobbies. Le mandat qui s’achève a été secoué par les scandales du glyphosate, des perturbateurs endocriniens, du diesel, de la pêche électrique. Mais le tabac reste l’un des plus gros scandales avec l’affaire Dalli, à l’origine en 2012 de la démission de ce commissaire européen en charge de la santé. Ce qui est plus remarquable encore, c’est qu’en dépit de ces scandales, la promiscuité avec les cigarettiers perdure.
Nous devons exiger de la Commission de demander aux Etats membre de l’UE qui ne l’ont pas encore fait de signer le protocole de l’OMS et de revoir les actes européens sur la traçabilité. Allons plus loin et demandons qu’au nom de l’article 5.3 du CCLAT, une interdiction soit prise de tout financement des campagnes électorales et de la vie politique dans tous les pays membres de l’UE. Je demande aussi que les mesures antitabac aujourd’hui à la charge de la collectivité soit financées par une contribution environnementale des cigarettiers, de l’ordre de 2 à 4 centimes par paquet de cigarette, notamment pour gérer les coûts induits par la pollution que représentent les filtres et les mégots.
Ce sujet de la promiscuité entre lobby et politique est d’autant plus d’actualité que nous, les parlementaires européens, voteront jeudi 31 janvier un rapport demandant que les rencontres avec les lobbys soient publiques.
En savoir plus :
- Le protocole de la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT)
- L’article 5.3 du CCLAT : « En définissant et en appliquant leurs politiques de santé publique, en matière de lutte antitabac, les Parties veillent à ce que ces politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac. »
- L’Affaire Dalli