Contre le réchauffement climatique : La révolution européenne de l’ETS/CBAM
ETS : Emission Trading Systems, en français Systèmes d’Echanges de Quotas d’Emission ; CBAM, Carbon Border Ajustement Mecanism, en français : Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières, « ETS » et « CBAM » selon les acronymes anglo-saxons qui se sont imposés. Ce sont deux outils d’une véritable révolution dans la lutte contre le réchauffement climatique dont l’Europe est en train de se de se doter depuis le vote du Parlement Européen qui est intervenu lors de la séance de décembre 2022.
De quoi s’agit-il ? Les « ETS » consistent à quantifier les tonnes de CO2 qu’un industriel émet quand il produit, et à instaurer un « marché carbone » qui fait payer une somme pour compenser l’impact de ces émissions du fait du réchauffement climatique auquel elles contribuent. Ils ont été instaurés dès 2005. L’objectif est que ce surcoût pousse l’industriel à multiplier les efforts pour limiter ses émissions, et même à faire en sorte que le marché « expulse » de lui-même les process industriels les plus émetteurs de CO2.
Les « CBAM » qui sont en cours d’adoption permettront à l’avenir de prélever sur un produit importé les mêmes « quotas CO2 » que s’il avait été produit en Europe, ce qui met fin au risque de délocalisation des industries qu’une trop forte fiscalité carbone aurait provoquée si elle n’était pratiquée qu’à l’intérieur de l’Union Européenne. La conjonction des deux dispositifs fait entrer la lutte contre le réchauffement climatique dans une nouvelle ère, en Europe, et aussi hors d’Europe car cela impactera tous les producteurs, où qu’ils soient dans le monde, dès l’instant qu’ils vendent leurs produits à l’Europe.
Un exemple pour illustrer : l’industrie du bâtiment. Elle utilise pour l’essentiel des matériaux à base de ciment. Le ciment est obtenu à partir de la chaux, elle-même obtenue à partir du calcaire qui est abondant dans la nature. Mais pour transformer le calcaire en chaux, il faut le porter à très haute température, ce qui consomme beaucoup d’énergie, et surtout, les deux tiers des émissions proviennent de la réaction chimique elle-même qui émet une molécule de CO2 chaque fois qu’une molécule de calcaire (carbonate de calcium) devient une molécule de chaux (oxyde de calcium). Le bilan carbone du ciment est énorme, pour un tiers en raison de l’énergie consommée, et pour deux tiers pour les molécules de CO2 émises lors de sa fabrication.
Le mécanisme ETS consiste à quantifier cette contribution au réchauffement climatique, afin de pouvoir la taxer au prix fort. Cela fait quinze ans que cette procédure a été établie, mais elle était vouée à l’impuissance jusqu’à la révolution adoptée le mois dernier, qui permettra d’imposer le même surcoût au ciment importé qu’à celui produit sur place. Sinon, le ciment, mais aussi l’acier, l’aluminium, la pétrochimie, la production d’engrais, la production d’électricité, et tant d’autres industries seraient aussitôt délocalisées hors d’Europe vers d’autres pays, et le carbone qui aurait dû être taxé en Europe reviendrait alors détaxé depuis les pays tiers.
Pour éviter de telles délocalisations massives, l’Europe avait décidé, au moment de la création des ETS en 2005, d’attribuer des « quotas gratuits », que l’on appelle aussi des « droits à polluer », en faveur des industriels les plus vulnérables face aux importations. Grâce à la mise en place du CBAM (Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières), ces quotas gratuits vont pouvoir progressivement disparaître, ciment européen et ciment extérieur étant remis à égalité au moment de l’importation du second en Europe, ainsi que toutes les productions fortement émettrices de gaz à effet de serre, acier, aluminium, engrais, pétrochimie, etc…
Dans le vote survenu au Parlement Européen, l’accord a été total sur la mise en place du tandem « ETS-CBAM » qui va révolutionner le marché en instaurant un mécanisme dynamique de lutte contre les gaz à effet de serre. Les débats ont porté sur les délais de mise en œuvre, et l’extension à d’autres secteurs au-delà des grandes industries actuellement concernées par les ETS qui produisent 50% des gaz à effet de serre émis en Europe : transport maritime, transport aérien, chauffage domestique, transport routier, isolation des bâtiments, etc…. Ce passage de l’échelle industrielle proprement dite aux autres secteurs qui affectent les consommateurs directement a été au centre des débats pour ne pas risquer une effet « gilets jaunes » qui viendrait contredire, pour des raisons sociales, les ambitions climatiques. D’où de longues discussions sur le calendrier de mise en œuvre, sur la création d’un Fonds Social pour le Climat qui sera alimenté par les ETS perçus, etc..
L’accord final s’est fait sur un objectif de suppression de tous les « quotas gratuits » attribués depuis 2005 aux industriels d’ici 2034, pour leur laisser le temps de faire évoluer les outils de production en vue de la réduction équivalente des émissions de gaz à effet de serre. Dès l’an prochain (2024), le transport maritime commencera à payer pour ses émissions CO2, mais une exemption jusqu’en 2030 a pu être obtenue pour les petites îles, les transports liés à des obligations de service public et les régions ultrapériphériques.
Chaque application du dispositif a été examinée dans le détail, et le texte finalement négocié est globalement satisfaisant.
Que peut-on attendre de cette révolution ? Tout dépendra bien sûr du prix qui sera appliqué à chaque tonne carbone émise. Mais la lutte contre le réchauffement climatique demande que l’on agisse vite et fort. Par exemple, pour revenir à l’exemple du ciment, que l’on oriente l’industrie du bâtiment vers de nouveaux modes de constructions, par exemple en utilisant le bois qui, au lieu d’émettre du CO2 dans l’atmosphère comme le fait le ciment, permet au contraire de le fixer dans les constructions.
L’invention du béton au début du 20ème siècle avait alors révolutionné la construction qui jusqu’alors était principalement le fait de pierres maçonnées. L’application du dispositif ETS/CBAM pourrait avoir à son tour des effets considérables sur les constructions des prochaines décennies, avec des bâtiments isolés et le recours à des matériaux bio-sourcés comme le bois.
Et ces mutations ne concerneront pas que l’Europe car l’Union Européenne, qui représente 25% du PIB mondial, a un effet d’entrainement sur le reste de l’économie mondiale. Même s’il est établi en Inde ou en Chine, chaque acteur économique devra tenir compte des conditions d’accès au marché européen quand il produit, et, une fois qu’il a su s’adapter aux contraintes fixées par l’Europe, il est probable que le reste de sa production, vendue ailleurs dans le monde, s’effectuera dans les mêmes standards environnementaux.
Il faudra sans doute des années pour que les citoyens européens s’approprient ces avancées politiques difficiles d’accès et dont les médias « mainstream » font rarement la pédagogie auprès du grand public. Cependant, ces directives s’imposeront et les grands acteurs économiques ont d’ores et déjà intégré les contraintes qui seront désormais les leurs.
Les choix politiques de lutte contre le réchauffement climatique sont désormais dotés de moyens opérationnels efficaces pour être mis en œuvre.
François ALFONSI
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