Guerre en Ukraine et sécurité alimentaire

La guerre en Ukraine ne doit pas servir à revenir en arrière sur les objectifs environnementaux de l’agriculture européenne.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation de vulnérabilité sur le plan alimentaire parce que les agro-industries nous ont enfermés dans un système qui nous rend hautement dépendants de la production d’autres pays et de l’utilisation d’intrants, qu’il s’agisse d’engrais ou de pesticides. Il est donc urgent de mettre en place les objectifs de la Stratégie de la ferme à la fourchette, comme, par exemple, la réduction de l’application des pesticides et des engrais ou le développement de l’agriculture bio, pour être résilients, notamment face à la Russie.

Nous ne devons pas céder à l’instrumentalisation de la guerre portée par les lobbys qui, avec un cynisme et une indécence rare, affirment que seule une augmentation de la productivité pourra nous permettre de faire face à la crise. L’enjeu à court terme pour la sécurité alimentaire mondiale est économique et non productif.

La crise alimentaire européenne ne sera pas basée sur la quantité mais l’accessibilité

Tout d’abord, faisons un point sur la consommation de céréales dans l’Union européenne (UE) : 60% va à la consommation animale, 10% aux biocarburants et 30% à l’alimentation humaine. Dans le court terme, l’urgence est d’utiliser les céréales pour nourrir les humains. Pour l’alimentation animale, il est temps de mettre en place un plan protéines ambitieux qui nous permette de nourrir nos animaux avec des légumineuses produites localement. Rien que pour les biocarburants, 11 millions de tonnes de céréales (sur les 45 millions de tonnes que nous importons) et 8,6 millions de tonnes d’huiles végétales pourraient être réorientées vers la consommation humaine.

En réalité, la crise alimentaire à laquelle nous faisons face n’est pas une crise de quantité : comme le souligne la Commission européenne, la disponibilité des denrées alimentaires pour l’Union européenne n’est pas menacée. C’est une crise d’accessibilité du fait de l’augmentation du prix de la nourriture à laquelle nous faisons face. Avec un prix du blé de plus de 400 euros la tonne, certains pays importateurs vont être confrontés à d’énormes problèmes d’accessibilité financière. Dans l’Union européenne, nous demandons un soutien financier aux agriculteurs européens les plus touchés par la crise, conditionné au respect de conditions environnementales. Il faut aussi soutenir financièrement les ménages précaires pour leur assurer l’accès à la nourriture. Enfin, l’Union européenne doit évaluer les possibilités de libérer des matières premières agricoles déjà disponibles pour atténuer le choc d’accessibilité économique.

Nous devons protéger la sécurité alimentaire mondiale et les pays les plus touchés

Pour l’Ukraine et pour des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, la situation est différente. En effet,  certains pays sont fortement dépendants des importations pour leur alimentation de base et le risque de pénuries alimentaires voire de famines est grand. Si on prend l’Égypte, par exemple, le pays importe 90% de ses céréales de Russie et d’Ukraine. Or, comme 80% des exportations de denrées alimentaires ukrainiennes ont lieu par la mer, elles sont aujourd’hui bloquées car les ports ukrainiens sont bombardés et les voies maritimes bloquées par la Russie. La situation est grave. C’est pourquoi nous demandons une aide humanitaire d’urgence pour l’Ukraine, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, une interdiction immédiate des pratiques spéculatives sur les denrées alimentaires et une augmentation des contributions européennes au programme alimentaire mondial.

Seuls le Pacte vert et la mise en place des objectifs de la Stratégie de la ferme à la fourchette nous permettront d’assurer notre sécurité alimentaire sur le long terme

Sur le long terme, il est vital que le Pacte vert et les objectifs de la Stratégie de la ferme à la fourchette soient mis en œuvre. Le rapport du GIEC, sorti le jour de l’invasion, rappelle que la productivité agricole diminue du fait des multiples dégradations environnementales. D’ici 2100, un tiers des terres agricoles pourrait être rendues impropres à la culture sous l’effet de ces dernières.

Les pesticides tuent les insectes dont nous avons tant besoin pour polliniser nos cultures. Ils dégradent aussi la qualité de nos sols, ce qui met en danger notre sécurité alimentaire. Quant aux engrais de synthèse, leur principal composant est le gaz fossile, gaz que nous importons de majoritairement de Russie, tout comme les produits finis qui proviennent à 25% de ce pays. Notre dépendance aux engrais de synthèse renforce donc encore notre dépendance vis-à-vis de la Russie. Sans oublier que la trop forte application des engrais dans l’agriculture intensive a des conséquences terribles sur la biodiversité et l’environnement, comme l’illustrent les algues vertes en Bretagne. En reconnectant nos cultures avec nos élevages, nous pourrions remplacer les engrais de synthèse par des engrais organiques comme le fumier de nos troupeaux.

L’agriculture biologique n’utilise ni engrais de synthèse ni pesticides et nous permet d’être résilients sans perte de productivité. Une méta-analyse de 5 160 études se basant sur 42 000 comparaisons entre pratiques de l’agroécologie et les pratiques de type monocultures démontre un retour de la biodiversité, une augmentation de la pollinisation, un meilleur contrôle des nuisibles, une meilleure qualité des sols et de la régulation de l’eau, sans perte de biodiversité.

La mise en place, en 1994, des Accords sur l’Agriculture dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a fragilisé la sécurité alimentaire mondiale en créant les conditions pour cliver les régions de la planète, avec d’un côté celles qui produisent et de l’autre celles qui importent leur alimentation. L’hyperspécialisation des régions du monde n’est plus possible aujourd’hui, nous devons revoir les règles de l’OMC afin de développer des pôles régionaux d’autonomie alimentaire.

La guerre en Ukraine illustre l’absurdité de notre système de production alimentaire et sa grande vulnérabilité. Nous devons en changer maintenant et nous détourner des lobbys qui cherchent toujours à faire plus de profits, même dans les conditions actuelles. Ne mettons pas davantage en danger la sécurité alimentaire des générations futures : sans sol fertile, sans pollinisateurs et sans eau de qualité, ils ne pourront tout simplement plus rien cultiver.

 

Les explications de Benoît Biteau

 

Partager cet article

Les commentaires sont fermés.