 
													Il est temps d’arrêter de financer les milices libyennes qui sèment le chaos en Méditerranée
Les pays de l’UE devraient coordonner des opérations de recherche et de sauvetage efficaces, ouvrir des voies sûres pour ceux qui fuient, et s’assurer que le bloc cesse de financer des milices incontrôlées.
Retrouvez la tribune originale de Mounir Satouri (en anglais) dans Politico.
Voilà maintenant plus d’un mois que les garde-côtes libyens, soutenus par l’Union européenne, ont ouvert le feu sans avertissement sur le navire de sauvetage Ocean Viking dans les eaux internationales, mettant en danger la vie de 34 travailleurs humanitaires et de 87 rescapés d’un naufrage.
Cette attaque a été menée depuis un bateau transféré aux garde-côtes libyens par l’Italie dans le cadre d’un programme financé par l’UE. Or, les règles du bloc sont claires : la Commission européenne ne peut pas financer des acteurs impliqués dans des violations des droits humains. La Médiatrice européenne a d’ailleurs déjà accusé la Commission de mauvaise administration pour avoir refusé de publier les évaluations d’impact de son programme en Libye. Pourtant, malgré tout cela — et malgré une plainte pour tentative d’homicide déposée devant la justice italienne —, la coopération et le financement européens en faveur des garde-côtes libyens se poursuivent sans relâche.
Ce niveau de dysfonctionnement passe inaperçu, car ces événements sont uniquement perçus à travers le prisme de la crise migratoire européenne. C’est pourtant une tache morale sur l’Europe que sa stratégie de contrôle des frontières consiste à financer des milices qui enlèvent des personnes en mer et les renvoient dans des lieux où, selon des organismes tels que l’ONU, elles sont torturées, violées, réduites en esclavage, voire tuées.
Mais il serait erroné de considérer cela uniquement comme une question migratoire. La Méditerranée centrale est l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde, essentielle à l’économie mondiale. Et l’Europe ne peut être prise au sérieux en tant qu’acteur de sécurité légitime tant qu’elle finance des milices anarchiques qui opèrent de manière destructrice à ses portes.
Il n’y a pas que les réfugiés et les ONG qui sont visés : des bateaux de pêche italiens ont eux aussi été attaqués par des équipages des garde-côtes libyens. La contagion de l’impunité en Méditerranée s’est également manifestée à travers les frappes répétées de drones sur des navires de flottille en route vers Gaza, dans les eaux internationales. Heureusement, l’intervention navale espagnole et italienne a permis de dissuader partiellement ces attaques. Mais on n’aurait jamais dû en arriver là.
Bien sûr, le changement de posture de l’Italie est intervenu trop tard pour l’équipage de l’Ocean Viking, qui avait demandé l’assistance de l’OTAN après la fusillade, sans obtenir de soutien. Mais à l’avenir, les pays européens pourraient-ils se retrouver dans la position absurde de devoir assurer des escortes militaires ou des évacuations médicales pour leurs propres citoyens attaqués par des forces financées avec leurs impôts ?
Face à la réaction de 42 organisations humanitaires et juridiques après l’attaque contre l’Ocean Viking, la Commission a défendu la poursuite de son financement des garde-côtes libyens, affirmant qu’elle devait « rester engagée pour améliorer les choses » — un argument peu crédible après dix ans de comportements inchangés et de violences largement documentées. Dans une ironie sinistre, un autre bateau des garde-côtes libyens fourni par l’Italie a tiré sur un autre navire de sauvetage seulement deux jours après la déclaration de la Commission. La manière de contenir un acteur incontrôlable n’est pas de récompenser et d’encourager son comportement.
D’un point de vue politique, l’approche européenne est incohérente à plusieurs niveaux : il est largement documenté (y compris récemment) que des milices liées au gouvernement libyen jouent un double jeu pour tirer profit de la crise migratoire, participant à la fois au contrôle des frontières et à la contrebande ou au trafic d’êtres humains.
À une époque où les États réduisent leur aide au développement, les fonds restants doivent être dépensés judicieusement, pour favoriser la stabilité — pas l’inverse. Or, les milices soutenues par l’Europe ont utilisé leurs moyens maritimes dans des conflits internes libyens, et des experts craignent désormais que le soutien de l’UE n’ait permis à des parties en conflit d’ignorer le processus de paix et de renforcer leur contrôle sur les institutions publiques libyennes.
Une telle politique étrangère cynique provoque un contrecoup. La région observe l’approche transactionnelle de l’UE en Libye et ailleurs : le chef du Conseil présidentiel libyen a d’ailleurs implicitement critiqué la position de l’UE à l’ONU ce mois-ci. De plus, après deux ans d’inaction et d’incohérence face à ce qu’une commission de l’ONU qualifie désormais de génocide à Gaza, la diplomatie européenne ne peut se permettre de nouvelles accusations d’hypocrisie et de néocolonialisme venues du Sud global.
Des politiques dictées par les gros titres à court terme sur la migration risquent, à terme, de renforcer l’influence et le pouvoir des rivaux géopolitiques de l’Europe.
En outre, la tentative de la Commission de satisfaire la droite européenne sur la question migratoire a échoué — elle a sacrifié les règles, la transparence, la morale et la sécurité. Et, criblé de balles, le Ocean Viking — véritable scène de crime flottante — repose désormais dans un port italien, symbole de la déliquescence de l’État de droit en Méditerranée.
Cependant, cet épisode pourrait aussi servir d’électrochoc à la Commission, la poussant à abandonner une décennie de stratégie ratée.
Alors qu’elle prépare un nouveau « Pacte pour la Méditerranée », la Commission pourrait y inclure un engagement clair à cesser de financer les forces de sécurité libyennes et à encourager l’Italie et d’autres à faire de même. Ce pacte pourrait aussi comporter des engagements humanitaires : aider les États membres à coordonner des opérations de recherche et de sauvetage efficaces, ouvrir des voies sûres pour les personnes fuyant la Libye afin qu’elles puissent trouver sécurité et justice, et garantir que le financement européen protège plutôt qu’il ne mette en danger — que ce soit chez nous, en Libye ou en mer.
 
						 
					 
							 
							 
							 
							 
							 
						
					
 
	
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