Karima Delli : « La transition écologique de l’industrie automobile se mènera avec les salariés »
Les écologistes ont pour ambition de mener une véritable transition écologique à l’échelle européenne. Pour cela, des transferts entre activités économiques doivent avoir lieu afin de garantir un développement réellement durable, dans ses trois dimensions économique, sociale et environnementale. Le changement de paradigme est impératif, puisque les ressources naturelles s’amenuisent considérablement, entraînant des conflits économiques et géopolitiques, et que le dérèglement climatique s’accélère.
Aujourd’hui, en France, le secteur des transports est responsable de 34 % des émissions de CO2. Il n’est pas possible de lutter efficacement contre le changement climatique sans réduire ces émissions. Selon l’Ademe, le développement de l’offre de transports collectifs doit permettre la création de 30 000 emplois directs et indirects dans les infrastructures et l’exploitation, emplois localisés en France. Ceci correspond à une perspective de doublement du nombre de kilomètres parcourus en transport en commun (bus, trains, tramways) d’ici 2020.
Au niveau européen, une étude du Programme des Nations unies pour le développement (PNUE, voir détails ci-dessous) examine l’évolution de la mobilité urbaine, passant de moyens de transport individuel motorisés à des transports publics efficaces en agglomération, et cite un multiplicateur du potentiel d’emploi de 2,5 à 4,1. Le rôle joué par l’automobile dans le transport de français doit donc diminuer, et cela implique logiquement une réduction concomitante de la production de véhicules en Europe.
Beaucoup de décideurs politiques et industriels croient aujourd’hui dans les vertus des véhicules électriques, afin de relancer l’activité industrielle, préserver les emplois et améliorer l’environnement. Est-ce la solution ?
Le problème, c’est l’effet pervers inhérent à la production de ce type de véhicules, et qui est lié à leur forte consommation d’électricité. Imaginons que toutes les voitures électriques, qui bénéficient d’une autonomie très limitée, soient rechargées au même moment. Cela se fera logiquement en soirée ou pendant la nuit, en occasionnant des pics de consommation difficiles à gérer. Dans de nombreux pays, cela renforcera le recours ponctuel aux centrales à charbon, très polluantes. En France, des centrales à gaz, dont nous sommes importateurs et dépendants, seront mises en fonction. De nouvelles centrales nucléaires extrêmement coûteuses, et toujours dangereuses, pourraient être construites.
Enfin, nous sommes incapables de produire des batteries électriques de manière autonome en Europe, puisque nous importons de nombreuses terres rares, comme le lithium, de pays tiers. Pour résumer, le développement des voitures électriques peut être une partie de la solution, s’il est accompagné d’une refonte de la mobilité notamment urbaine, du développement rapide des énergies renouvelables, et du non-renouvellement de notre parc nucléaire.
Que proposez-vous pour les salariés de ce secteur ? Comment reconvertir les métiers de l’industrie automobile ?
La transformation d’un secteur économique implique la reconversion de ses salariés, à moyen et long-terme. Il est fondamental d’organiser une transition professionnelle sécurisée pour ces personnes, afin de préserver non-seulement leur bien-être, mais aussi leur compétences, qui peuvent être valorisées ailleurs. Les individus en transition professionnelle devraient aussi recevoir un revenu, sinon, le risque est grand qu’ils abandonnent, faute de moyens pour vivre.
Prenons l’exemple de l’Allemagne, pays où règne en maître le moteur à combustion. Le Bade-Wurtemberg, État-région le plus riche d’Allemagne et capitale européenne de l’automobile, amorce déjà sa mue industrielle. Les décideurs politiques, industriels et syndicaux ont bien compris leur intérêt commun à préserver les emplois et des bonnes conditions de travail tout en développant de nouvelles activités. L’enjeu-clé réside dans la préparation à la transition : anticiper les effets sur l’emploi, les nouvelles exigences en matière de sécurité au travail, l’action des pouvoirs locaux en faveur des sites industriels, ou encore l’acquisition des technologies, compétences et savoir-faire. De plus, les emplois créés doivent concerner autant des métiers à forte qu’à faible qualification, afin qu’ingénieurs et ouvriers de la production trouvent leur place. En effet, un moteur à combustion comprend environ sept fois plus de pièces qu’un moteur électrique. Le volume de travail dans les ateliers baisserait mécaniquement de moitié, à production constante. Même si d’autres tâches prennent en contrepartie de l’ampleur, c’est donc la nécessité d’une réduction du temps de travail dans les ateliers de production qui s’impose !
Ainsi, depuis 2009, l’Allemagne a préservé ses emplois grâce à des mesures de flexibilité interne d’organisation du travail, dont une réduction du temps de travail (Kurzarbeit et accords de branches). C’est la raison pour laquelle les écologistes proposent de lancer une négociation sociale sur la réduction du temps de travail tout au long de la vie, avec comme objectif d’encourager les entreprises et les salariés à aller vers les 32 heures. Pour tous ces enjeux, nous sommes bien conscients du rôle qui devra être joué par le dialogue social, car la transition écologique se mènera avec les salariés, et certainement pas contre eux.
– Initiative pour des emplois verts menée par la PNUE, l’OIT, l’OIE et la CSI intitulée Emplois verts – pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone en 2008