Cette droite européenne qui vote contre la liberté de la presse

2 novembre 2009
Nier le problème de la liberté de la presse en Italie relève au mieux d’un aveuglement – au pire d’un véritable cynisme…
Le 3 octobre – 100.000 manifestants se rassemblaient à Rome à l’appel de la fédération de la presse et de la gauche italienne pour «défendre la liberté de la presse» et fustiger l’empire médiatique de Sivio Berlusconi…

En août, sortait un film «Vidéocracy», projeté la semaine dernière à Strasbourg à l’initiative du groupe des verts européens. Comment résumer ce documentaire? L’Italie, «démocratie européenne» serait-elle devenue une vidéocratie? Le documentariste suédois, Erik Gandini, a forgé ce néologisme pour définir le pouvoir de l’image, source de la richesse et de l’accession à la magistrature suprême de Silvio Berlusconi. Videocracy est une galerie de portraits parmi lesquels Lele Mora, un agent influent qui pilote les jeunes stars éphémères de la sphère médiatique. Lele Mora, est un grand admirateur de Mussolini et un ami intime de Silvio Berlusconi…

Aujourd’hui, 80% de la population en Italie ont la télévision comme première source d’information et un seul et unique homme domine l’image depuis des décennies. Magnat de la télévision, puis Président du Conseil, Sivio Berlusconi a su créer un parfait système de divertissement télévisuel et politique. Le film considéré comme une satire gênante pour le pouvoir a été refusé au festival de Venise et au festival de Rome…. La télévision publique italienne, la Rai, a refusé, fin août, d’en diffuser la bande-annonce car elle estime qu’il dispense, sans équivoque, un message politique critiquant le gouvernement…

La situation italienne constituait une excellente accroche pour un positionnement politique du Parlement Européen sur la liberté de l’information en Europe.

La vidéocratie berlusconienne méritait quelques minutes de débat dans un hémicycle censé représenter 27 pays membres et plus de 500 millions de citoyens, ainsi que le droit de ces derniers à être informés. La liberté de l’information en Italie méritait une prise de position politique forte du parlement européen et devait constituer les bases d’une réaffirmation de la liberté d’expression et de la presse en Europe. C’est dans cet esprit que les députés européens écologistes, suivis par les libéraux et les socialistes ont ouvert le débat début octobre. Les conservateurs et le parti populaire européen (parti de Silvio Berlusconi et de l’UMP) ne l’entendaient pas ainsi. Ils nous ont entrainé dans une histoire à rebondissements jusqu’au vote final de la proposition de résolution…

Le parlement européen est devenu le théâtre de manœuvres de la droite conservatrice pour préserver les intérêts de Silvio Berlusconi… En mini session plénière à Bruxelles, il y a deux semaines, la manœuvre a d’abord consisté à tenter d’empêcher le débat. Au vote: le débat aura lieu. Au nom du PPE, son Président Joseph Daul, après avoir affirmé que «la liberté de la presse n’était pas menacée en Italie», a alors tenté d’obtenir que ce débat ne donne pas lieu à une résolution du Parlement. Au vote: il y aura bien une résolution et elle sera mise au vote la semaine suivante en plénière à Strasbourg. Mais la famille politique de Silvio Berlusconi, mise en minorité le 8 octobre, n’a pas dit son dernier mot.

A l’ouverture de la session de Strasbourg, le PPE remonte au créneau et demande une modification de l’ordre du jour pour reporter le vote de la résolution prévu le mercredi. Peine perdue encore, la droite est mise en minorité. Alors, la veille de la mise au vote de la résolution, nous recevons une dizaine d’amendements du PPE sur le texte. Principal objet de ces amendements : minimiser la situation italienne en remettant en cause la situation de la presse en Allemagne, au Portugal ou encore en Hongrie. Ces amendements seront les uns après les autres rejetés… à ce stade, dans l’hémicycle mercredi dernier, on ne doute plus de l’adoption du texte.

C’est le choc quand s’affiche le résultat du vote final: 335 pour – 338 contre… il a manqué 3 voix pour que la résolution soit adoptée… Toute la droite — sauf les libéraux (ADLE) — s’est mobilisée pour faire échouer la résolution: l’ensemble du PPE, les eurosceptiques de l’ECR, les europhobes de l’EFD, l’extrême droite ont voté contre «la liberté d’information en Italie et en Europe». L’annonce de ce résultat déclenche à droite de l’hémicycle une liesse similaire à une finale de coupe du monde de foot: l’euphorie de cette victoire s’exprime dans les applaudissements, les hurlements, les cris de joie … c’est tout simplement ahurissant! Et fort de cette victoire, la séance s’achève par une prise de parole d’un député italien PPE s’offusquant qu’un de ces collègues fasse, le jour même, l’objet d’une perquisition de son domicile sur injonction judiciaire et demande au parlement de mettre en œuvre immédiatement les mesures d’immunité et de privilège lié à son statut de député européen… c’est écœurant!

Berlusconi : 1 – Démocratie : 0 mais le match n’est pas fini!

Le débat n’est, pour autant, pas clos. Il n’a manqué que 3 voix. Ce résultat a été possible parce qu’une fois encore, la droite s’est rallié à l’extrême droite. Le PPE a sauvé le soldat «Silvio» mais n’a pas réussi à éviter la mise en lumière du comportement déplorable de cet homme à l’encontre des médias européens, qui interroge notre conscience démocratique.

Le parlement avait l’occasion de se positionner politiquement et de réaffirmer que l’Europe est censé garantir à tous les citoyens le respect de normes communes et tout particulièrement des libertés publiques. Une partie de celui-ci l’a fait (335 députés), l’autre partie aura à assumer demain la distorsion entre son discours et ses actes, entre ses intentions et l’action. Ils auront à assumer le fait d’avoir fait prévaloir des intérêts gouvernementaux sur les intérêts des citoyens européens. La droite européenne, le PPE et son président (UMP) ont perdu toute crédibilité sur leur capacité à garantir le respect des droits fondamentaux en votant contre un texte dont je vous reproduis les principales dispositions :

( « Le parlement européen :

– juge nécessaire qu’il soit remédié à l’anomalie que constitue le conflit d’intérêt entre le pouvoir politique, pouvoir économique et médiatique, concentration du contrôle, qu’il soit direct ou indirect, des médias d’information publics et privés, et souligne la nécessité de faire en sorte, dans tous les Etats membres, que les organismes publics de radiodiffusion soient indépendants et qu’ils échappent à toute ingérence;

– considère que la liberté de recevoir et de communiquer des informations sans entrave de la part des autorités publiques est un des principes fondamentaux sur lesquels repose l’Union européenne et un aspect capital de la démocratie, de même que le pluralisme des médias d’information, l’un et l’autre inscrits à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux, et souligne que dès lors que les Etats membres ne font pas le nécessaire, il incombe à l’UE, des points de vue politique et juridique, de garantir, dans la limite de ses compétences, le respect de ces droits pour les citoyens ; (…) »)]

Le débat n’est pas clos et l’Union européenne devra s’intéresser à la liberté de la presse qui est l’un des piliers de la démocratie européenne. Elle est de plus en plus menacée à la fois par les concentrations et le contrôle direct qu’exerce sur les médias le pouvoir politique ou les groupes industriels… Le débat n’est pas clos parce qu’avec l’adoption du Traité de Lisbonne et l’opposabilité de la Charte des droits fondamentaux, on imagine difficilement comment on pourrait encore éviter de légiférer sur le sujet. L’adoption d’une directive sur «la liberté d’information en Europe» était l’un des vœux exprimé dans la résolution qui a été rejetée, elle reste l’une de nos revendications … la balle est désormais dans le camp de la Commission européenne en attendant qu’elle ne revienne au Parlement.

Première publication sur [Slatefrance, le 30 octobre 2009

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