Ecologie et lobbies : ces parlementaires européens qui ne veulent pas se faire enfumer
Quelle popularité ! Depuis qu’elle est coordinatrice de la commission Transports et Tourisme au Parlement européen, la députée écologiste Karima Delli a beaucoup d’amis. Toute une faune prévenante qui souhaite la rencontrer, l’inviter à dîner, l’instruire de tel ou tel sujet. Et, surtout, s’assurer qu’elle ne s’emballe pas trop pour cette idée de bouter les véhicules diesel hors les centres-villes d’ici à 2050, au motif qu’il est inacceptable « de vivre dans un monde où respirer tue ». A-t-elle seulement entendu parler du « diesel propre » ?, s’inquiète ainsi Volkswagen. En juin dernier, afin d’éclairer les lanternes de Karima Delli et de ses collègues parlementaires, le constructeur automobile organisait un colloque intitulé « Gasoil R33, une contribution à la réduction du CO2 dans les transports routiers ». C’était dans les salons du Land de Bavière, qui jouxtent le parlement bruxellois. Le carton promettait un « lunch ». Hum, tentant…
Non, Karima Delli ne s’y est pas rendue. Ce genre d’invitation fait sourire l’eurodéputée, mais elle ne les prend pas à la légère. « Il faut être vigilant, ne rien accepter. D’ailleurs, tous les cadeaux que je reçois, je les fourre dans une armoire et je n’y touche pas. Le lobbying, c’est comme un escalier : si vous descendez la première marche, vous irez jusqu’en bas. » C’est exagéré ? On imagine mal les pressions que subissent les élus européens à Bruxelles. Car, pour les influencer, les groupes d’intérêts privés ne se contentent pas de solliciter aimablement leur attention, ils déploient un éventail de moyens proprement ahurissant. « Etre député européen est un sport de combat », a souvent dit José Bové, membre, avec Karima Delli, Yannick Jadot, Michèle Rivasi, Eva Joly et Pascal Durand, de la délégation verte française.
Pour prendre la mesure de ce lobbying, rien de tel que le… « lobby tour » bruxellois. Soit une visite guidée du quartier européen, proposée par le Corporate Europe Observatory (CEO), une association qui, depuis pas loin de vingt ans, observe et étudie les menaces que le pouvoir économique fait peser sur la démocratie. De fait, il suffit de pénétrer dans les halls des immeubles qui entourent les institutions européennes et de lire les panneaux listant les occupants pour être pris de vertige. Des banques aux géants du pétrole, en passant par les assurances, le tabac, l’industrie chimique et l’automobile, le monde des multinationales a bel et bien élu domicile dans un rayon de quelques centaines de mètres. « Nous estimons que la ville abrite entre quinze et trente mille lobbyistes, c’est-à-dire salariés d’entreprises, d’associations professionnelles ou de cabinets spécialisés, qui dépensent environ 3 milliards d’euros par an », lâche notre guide. Yannick Jadot, qui nous accompagne dans cette drôle d’excursion, opine du chef. « Le lobbying, c’est d’abord une présence physique. Et elle se déplace : on a vu certaines officines se rapprocher de quelques blocs lorsqu’en 2007 les pouvoirs du Parlement se sont accrus. » Ces groupes d’intérêt ont pignon sur rue, mais ils n’apprécient pas les curieux : alors que nous devisons devant une plaque Volkswagen (« quarante-trois lobbyistes à eux seuls, un record dans le secteur automobile »), un vigile nous prévient que si on ne dégage pas fissa il appelle la police. Et non, que M. Jadot soit eurodéputé n’y change rien…
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