Eva Joly et Hélène Flautre : la France doit « réparer les fautes commises » en Tunisie
Il y a quelques jours, le soulèvement du peuple tunisien contre le régime qui l’oppressait a atteint une telle ampleur que l’ancien Président-dictateur Ben Ali n’a eu d’autres choix que de fuir le pays. C’est à la suite de ces événements que nous vous écrivons.
Députée européenne et Présidente de la Commission du Développement du Parlement européen, nous voulons vous dire l’indignation qu’ont suscitée chez nous votre silence et le comportement de votre gouvernement au cours des dernières semaines, ainsi que votre action passée dans cette région du globe.
Monsieur le Président, au soir de votre élection vous avez prononcé place de la Concorde un discours que vos proches et vos amis politiques présentèrent comme fondateur, et qui contenait notamment un appel solennel adressé à tous les « opprimés du monde ». La France, disiez-vous, serait de leur côté. C’était sa « fierté » et son « devoir », son « message » et son « histoire », et même… son « identité », thème qui vous est cher. La France soutiendrait « tous ceux qui, dans le monde, croient aux valeurs de la tolérance, de la liberté, de la démocratie, de l’humanisme ».
Quel dommage que ce qui était vrai à l’époque, puisqu’il serait sans doute malvenu de douter de la sincérité des mots que vous prononciez alors, ne le soit resté que si peu de temps. Dès le début de l’année 2008 en effet, vous sembliez oublier ces paroles pourtant pleines de nobles intentions, et citiez la Tunisie en exemple et comme un pays où « l’espace des libertés » progressait. Soit méconnaissance de la réalité du régime, soit opportunisme, cette prise de position a profondément heurté, en Tunisie et ailleurs, les opposants de Ben Ali et celles et ceux qui les soutenaient ; et les événements ont très vite mis en lumière par la suite à quel point elle était infondée. Il en fut de même lorsqu’en 2009 nous avons écrit, avec Daniel Cohn-Bendit et José Bové, à M. Bernard Kouchner, alors en charge des Affaires étrangères. Nous nous étonnions de sa discrétion et de celle du gouvernement concernant la répression politique en cours dans le pays. Mais la diplomatie française ne changea en rien son action, ou plutôt son inaction sur le sujet, en la justifiant par la lutte contre le terrorisme islamiste ou par le prétendu modèle économique et social offert par la Tunisie. Que le danger terroriste ne soit pas plus fort en Tunisie qu’en France et que le « remède » soit aussi terrible que le mal ne la dérangeait pas plus que cela, non plus que la réalité sociale catastrophique ou le fait que le système y soit, dans son ensemble, totalement corrompu. Pourtant, encourager l’avènement de la démocratie tunisienne et protéger les opposants au régime dès cette époque n’aurait été ni de l’ingérence déplacée, ni une politique coûteuse – simplement l’application d’une politique étrangère cohérente, responsable et intelligente.
Il est vrai que d’autres Etats et d’autres responsables politiques, parmi vos prédécesseurs ou au sein des institutions internationales, ont pu se tromper également. Et nous sommes bien d’accord pour reconnaître avec vous que la France n’est pas forcément la mieux placée pour « donner des leçons » et qu’elle a encore des progrès à faire, y compris en matière de libertés fondamentales : c’est d’ailleurs un sujet sur lequel les écologistes vous interpellent régulièrement, comme nous l’avons fait il y a quelques jours à propos de la loi dite LOPPSI 2. Pour autant, persévérer dans l’erreur alors que celle-ci devient de plus en plus manifeste et la réalité de plus en plus intolérable n’est ni compréhensible, ni excusable. Or c’est précisément dans cette persévérance que vous-même et votre gouvernement vous êtes enfermés au cours des dernières semaines. La révolution tunisienne est un événement considérable, à la hauteur de ce qu’a été en 1989 la chute du mur de Berlin. Si elle est évidemment le fait et l’objet du peuple tunisien, elle constitue aussi l’occasion pour la France et votre gouvernement de réparer, au moins sur le plan symbolique, les fautes commises jusque-là. Or non seulement les autorités françaises ont une fois de plus renoncé à soutenir des forces démocratiques désormais en pleine expansion, mais elles se sont murées dans un soutien au régime tout à fait scandaleux, parlant « d’amitié » au moment précis ou un franco-tunisien décédait du fait de la répression, et proposant d’envoyer sa police pour aider un Etat policier à se maintenir !
Monsieur le Président, nous avons organisé cette semaine, au Parlement européen, une discussion à laquelle participaient également plusieurs acteurs engagés de la société civile tunisienne, en direct depuis Tunis. Tous nous ont fait part de leur colère face aux propos de vos ministres et à votre silence. Tous nous ont dit aussi que la situation reste incertaine, qu’il est nécessaire de suivre les événements au jour le jour, et que le soutien de l’Europe leur paraît indispensable pour les aider à mettre en place les conditions d’une vie publique enfin libre, ouverte, démocratique, et tolérante.
La France et l’Europe doivent dès aujourd’hui geler la totalité des avoirs tunisiens suspects qui se trouvent sur leur territoire et non, comme cela semble avoir été le cas au cours de la dernière réunion du Comité politique et de sécurité, commander des rapports sur les outils dont elles disposent pour y parvenir : ceux-ci sont bien connus et immédiatement mobilisables. Votre gouvernement doit par ailleurs demander sans attendre l’ouverture d’une enquête pour blanchiment, qui s’intéresse autant aux biens des familles Ben Ali et Trabelsi qu’à ceux de leurs proches.
La France et l’Europe doivent également réorienter en partie les aides publiques qu’elles accordent à la Tunisie afin de soutenir les éléments indispensables à l’épanouissement de la liberté démocratique (soutien à la presse, aux médias, à la liberté d’expression), se préparer à assister la Tunisie, dans le cas où elle le demanderait, dans la préparation et le déroulement de ses élections, et aider à la mise en place d’une Commission d’enquête internationale indépendante sur les exactions perpétrées au cours des dernières semaines.
Enfin, il nous paraît absolument nécessaire, pour la crédibilité de notre diplomatie, que la Ministre des Affaires étrangères soit amenée à présenter ses excuses et sa démission suite aux propos qu’elle a tenus et répétés alors que les événements arrivaient à leur apogée, et pour la faillite totale de ses services dans le suivi de la situation, faillite qu’elle a elle-même reconnue.
Monsieur le Président, il est de votre responsabilité d’engager véritablement le pays au côté des opprimés et de celles et ceux qui, dans le monde, combattent pour la démocratie. Vous avez déjà beaucoup trop tardé, et ne pouvez pas tarder davantage.
En vous priant d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération,
Eva Joly & Hélène Flautre, Députées européennes
2 commentaires
J’aimerais juste savoir s’il y a eu une réponse de l’Elysee…
Bonjour,
Toute réponse à cette interpellation sera évidemment publiée sur le site dès réception.
L’équipe d’europeecologie.eu