Fonds européens JAI : non à l’externalisation du contrôle migratoire!
Les fonds européens sont une composante essentielle de la solidarité européenne grâce au soutien qu’ils apportent aux Etats membres dans la mise en œuvre des politiques européennes. Pourtant, ils sont très souvent critiqués pour leur complexité et leur manque de transparence. Les fonds existants pour les politiques en matière d’affaires intérieures n’échappent pas à ces griefs. C’est pourquoi la Commission européenne a mis sur la table une proposition de refonte de ces instruments financiers.
Quid des fonds actuels : quelle réforme nous propose la Commission européenne?
Pour la période 2007-2013, le domaine des affaires intérieures compte six instruments. Quatre fonds: un pour les Frontières Extérieures (à hauteur de 1819 millions d’euros), un pour l’Intégration (830 millions), un pour les Réfugiés (701 millions) et un pour le Retour (681 millions). Deux programmes également: le premier pour «prévenir et combattre la criminalité» (607 millions), le second pour «prévenir, préparer et gérer les conséquences en matière de terrorisme et autres risques liés à la sécurité» (142 millions). En novembre 2011, la Commission proposait de remplacer ces six instruments par deux fonds: un « Fonds asile et migration » et un « Fonds pour la sécurité intérieure » pour la période 2014-2020.
De quels montants parle-t-on? La Commission européenne a proposé d’allouer un montant total de 10,7 milliards d’euros aux politiques relatives aux affaires intérieures pour la période 2014-2020, soit 40 % de plus que le budget total de la période 2007-2013. Le Fonds pour la sécurité intérieure contient lui deux volets: un instrument de soutien financier en ce qui concerne les frontières extérieures et les visas à hauteur de 3520 millions d’euros et un instrument de soutien financier pour la coopération policière, la prévention et la lutte contre la criminalité, et la gestion de crise (1128 millions). La proposition de Fonds pour les questions d’asile et de migration prévoit lui un budget de 3869 millions.
Objectifs: simplifier les règles, accélérer les procédures et réduire les contraintes bureaucratiques! Louable quand on sait les nombreuses difficultés auxquelles font face les potentiels bénéficiaires, par exemple les associations, pour s’attaquer à une telle bureaucratie.
Quand l’Union finance l’externalisation du contrôle migratoire…
Dans le cadre de cette refonte, Hélène Flautre s’est vu confier l’avis de la Commission des Affaires Etrangères (AFET) sur l’instrument pour les frontières extérieures et les visas. Ce fonds vise principalement à financer les capacités des Etats membres, en matière de contrôle des frontières et de politique des visas. Les activités de l’agence Frontex, la gouvernance Schengen, la mise en œuvre du paquet « Frontières intelligentes » [1] et celle du système Eurosur [2] pourraient également être financées par ce fonds. Sur ces deux derniers paquets, on soulignera au passage que la Commission propose des fonds pour des instruments avant même qu’ils aient été débattus et adoptés… voilà une approche de la démocratie bien particulière!
Mais surtout, principale nouveauté, la dimension extérieure, visant donc à financer des projets avec et dans les pays tiers, a été introduite et constitue un élément central de cette proposition. Pour la Commission européenne, l’UE ne dispose pas d’un effet de levier suffisant pour pouvoir traiter et réaliser ses propres priorités politiques et veiller à ses intérêts directs, tels que la gestion des flux migratoires et la sécurité, dans les pays tiers. En d’autres mots, fini les non-dits et finançons clairement l’externalisation du contrôle migratoire!
Cette approche sécuritaire se retrouve d’ailleurs dans la sémantique: pourquoi préférer « lutter contre l’immigration illégale » et non pas « prévenir l’immigration irrégulière »? Pourquoi parler de « voyages légitimes » et non pas de « mobilité »? Pourquoi employer constamment le terme de « menace »? Symbolique mais significatif, ce lexique négatif a été supprimé par l’avis de la Commission AFET.
Dans son avis, Hélène Flautre a également insisté sur l’importance de garantir la cohérence des politiques de l’Union à l’égard des pays tiers, et donc la nécessité de mentionner clairement dans le règlement le rôle de direction du Service européen pour l’action extérieure (SEAE). En d’autres termes, le Ministère de l’Intérieur ne doit pas empiéter sur le terrain du Ministère des Affaires Etrangères, en imposant son approche sécuritaire! Rappelons que l’article 21 du Traité énumère les principes essentiels de la politique extérieure de l’Union dont la solidarité et l’attachement de l’Union à les promouvoir à travers le monde. Ces fonds doivent donc aller en ce sens!
Faire place aux droits de l’Homme, à l’asile et à la mobilité
La Commission européenne a totalement évacué de sa proposition plusieurs aspects indissociables du déploiement de ce fonds. En premier lieu… les droits de l’Homme! L’avis les a donc intégrés en exigeant que les mesures financées par le fonds n’aboutissent en aucun cas à des violations des droits de l’Homme. À cette fin, l’avis suggère de renforcer les capacités de suivi des États membres en la matière, en étroite coopération avec les pays tiers et la société civile.
L’asile est lui aussi aux abonnés absents. On sait pourtant que la situation aux frontières de l’Union européenne est à cet égard dramatique. Nombreux sont ceux qui, après avoir réussi à fuir leur pays, se voient refusés l’accès au territoire européen au mépris du principe de non refoulement. C’est pourquoi il était indispensable d’inscrire cette dimension au cœur des objectifs de ce fonds afin que les Etats membres, notamment ceux situés aux frontières extérieures de l’UE, puissent compter sur cet appui européen. La solidarité entre les Etats membres n’est pas un vain mot: inscrite à l’article 80 du Traité, ce fonds doit lui donner les moyens d’exister.
Enfin, l’avis met en exergue le lien essentiel entre la politique en matière de visas et la mobilité: les visas sont un instrument important pour la mobilité et ne doivent pas être au service du contrôle migratoire! Par conséquent, il convient de renforcer cette dimension afin de se rallier aux perspectives ouvertes par l’approche globale de la question des migrations et de la mobilité, notamment celle visant à accroître et à assurer la mobilité dans un environnement sûr.
Et maintenant?
Cet avis, adopté en Commission Affaires Etrangères en juillet 2012, a été transmis à la Commission des Libertés civiles (LIBE). Cette dernière est compétente sur le fond, donc en charge du rapport final qui constitue le mandat du Parlement dans les négociations avec le Conseil. Dans son vote en décembre dernier sur le rapport final, elle a retenu plusieurs éléments de l’avis de la Commission AFET.
Outre le rappel des obligations internationales et européennes en matière de droits de l’Homme, la Commission LIBE a adopté l’idée d’un monitoring sur la mise en œuvre de ces obligations, en coopération avec les pays tiers et la société civile. Les garde-frontières devront également être formés. Quant à la mobilité, les possibilités du code visas devraient être pleinement exploitées. Les services consulaires pourraient bénéficier de ce fonds pour être améliorés, notamment en matière de couverture et d’accès. Sur l’asile, l’utilisation des fonds devrait impliquer les services compétents en la matière et devrait contribuer à la mise en œuvre de l’acquis communautaire. Enfin, la Commission LIBE a pris en compte quelques changements lexicaux qui ont permis de supprimer en partie le terme de « menace ».
Le mandat du Parlement européen est donc prêt à être porté par le rapporteur de la Commission LIBE lors des négociations en trilogue avec le Conseil. Le groupe Verts-ALE restera donc très vigilant afin que les améliorations apportées par l’avis de la Commission AFET soient préservées. Affaire à suivre…
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