L’Europe en panne de stratégie
Qu’il faille assainir les systèmes financiers est une réalité incontournable. Le tourbillon grec n’est qu’un début de ce qui attend la finance européenne, sur la base d’un raisonnement très simple : celui qui dépense plus qu’il ne gagne va à la faillite ! Et les Etats européens sont pour la plupart très endettés, ce qui traduit le fait d’avoir dépensé trop par rapport à leurs revenus, même s’il y a plusieurs degrés d’excès. Et ils doivent dans le même temps faire face à des besoins de renflouement de leurs économies : plans de relance pour sauver des secteurs en péril, sauvetage de banques ou de caisses d’épargne exposées à des « subprimes » -les nombreux prêts immobiliers que les particuliers et les entreprises ne peuvent plus rembourser- dans plusieurs pays de la zone euro, montée du chômage qui alourdit les déficits sociaux en raison des indemnités à verser et des baisses de rentrées des cotisations, etc… Ainsi, tel Etat apparemment hors d’eau aujourd’hui peut très bien se retrouver en situation difficile du jour au lendemain, et, en cascade, entraîner toute l’Europe.
Jusqu’à présent, l’endettement avait toujours, plus ou moins, anticipé une croissance économique, qui remboursait alors le risque financier pris. Mais qu’est-ce qu’une « croissance économique » ? C’est le fait que la capacité de production d’une population donnée se trouve régulièrement accrue. Principalement deux phénomènes l’expliquent : l’avancée technologique, comme par exemple l’irruption à grande échelle de l’informatique dans la société dans les années 80, et la rationalisation de l’espace économique et social, comme par exemple la fin d’un conflit armé ou la chute du mur de Berlin. Ou, en d’autres temps, la découverte et la prise de contrôle d’un eldorado colonial et de ses précieuses matières premières.
Ainsi, on voit bien les raisons des « bonds de croissance » du dernier siècle, par exemple quand le tracteur a généralisé la force motrice dans les campagnes et libéré une nombreuse main d’œuvre pour l’industrie, ou encore lors du marché unique européen qui a supprimé les contrôles aux frontières de chaque pays de l’Union, le douanier d’antan étant l’agent anti-économique par excellence : dans les heures de queue aux frontières, son salaire avait pour effet de faire perdre des millions d’heures à des chauffeurs payés à « poireauter » dans une file d’attente. Le type même de l’économie perdant-perdant. La frontière a disparu, et la douane a été déployée dans des tâches de lutte contre les trafics avec une utilité sociale nettement plus manifeste.
Or voilà dix ans que l’économie occidentale ne trouve plus « d’aliment » pour sa croissance. Dans une économie mondiale qui glisse de plus en plus vers l’Inde, la Chine et les autres pays émergents qui ont un marché intérieur énorme à satisfaire maintenant qu’ils disposent enfin d’une véritable capacité de production financée grâce à leurs exportations, le monde « développé » des dernières décennies est en train de perdre la main. Et la crise est là qui vient sanctionner cette absence de renouvellement.
Il reste pourtant à l’Europe des ressources considérables, et elle peut dégager sur la base de ses « bonnes pratiques » qui sont réelles, et pour lesquelles son avance est importante, une stratégie de redéploiement de son avenir. Mais pour cela il lui faut aller de l’avant, dessiner un projet beaucoup plus ambitieux, éviter surtout que le « retour aux fondamentaux », sans nul doute nécessaires pour stabiliser l’économie, ne se transforme en en un repli sur soi qui ne fera qu’accentuer la crise au lieu de la résoudre.
Dans les « aliments de croissance » disponibles, à défaut d’une découverte scientifique miraculeuse révolutionnant le marché, ou d’une mine d’or ignorée, il faut se tourner vers une meilleure organisation de l’espace économique et social, notamment vis à vis des économies du voisinage avec lesquelles les échanges sont nombreux et variés : matières premières, échanges économiques, migrations.
En effet que d’énergie et d’argent gâchés dans les relations avec le reste du monde méditerranéen par exemple. Quand on voit le développement de la Turquie, qui désormais fait vivre ses enfants sur son territoire, après des décennies d’émigration massive vers l’Europe, on se dit que l’Union pour la Méditerranée devrait être une pièce maîtresse pour construire une nouvelle perspective économique au sud de l’Europe. Mais, et les participants à la dernière réunion de la commission économique de l’Assemblée Parlementaire Euromed d’Istambul l’ont fait remarquer avec amertume, pas un mot, pas une allusion dans la stratégie 2020 actuellement en débat au niveau de l’Union Européenne.
Au piège politique qui paralysait l’Union pour la Méditerranée jusque là – « tant que le conflit palestinien n’est pas réglé, rien ne peut avancer » -, vient s’ajouter le piège monétaire – « pas question d’investir tant que l’euro n’est pas hors d’affaire ». A cette réunion Pologne, Suède, Finlande et même Luxembourg sont venus fermer toutes les portes, tandis que les pays du sud concernés directement étaient soit absents (France, Italie), soit muets (Espagne, Grèce, Portugal) car trop « mal à l’aise » vis à vis de la crise de l’euro. Mais l’euro ne rebondira qu’en ouvrant de nouveaux espaces économiques porteurs, et cela ne pourra pas se faire sans volonté politique et sans investissements forts.
La stratégie 2020 de l’Union Européenne doit impérativement être revue dans ce sens.
François ALFONSI