Le Front National est une menace à la liberté de la presse : les faits le démontrent

La liberté de la presse est un enjeu fondamental pour les écologistes car elle représente le 4ème pouvoir, celui qui est à même de lutter contre les excès des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
 
La diversité de l’information est un moyen essentiel pour s’émanciper intellectuellement et développer son esprit critique, la presse doit donc être libre de toutes contraintes, que celles-ci soient liées au comité de rédaction, au poids des annonceurs ou tout simplement à la censure de son propriétaire. Nous critiquons la possibilité qu’un sénateur-maire propriétaire d’une des plus grosse entreprise d’armement française puisse détenir un quotidien national de référence. Nous nous opposons à la possibilité qu’un patron de presse locale puisse être membre d’un quelconque gouvernement. Un tel cumul est une menace pour la démocratie, c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la France est si mal positionnée dans le classement de Reporters Sans Frontières. Notre 39ème place mondiale reflète et sanctionne ces évidents conflits d’intérêts.

Mais face à ces constats, nous nous inquiétons aussi de la possible accession à l’Élysée d’un parti qui a pris fait et cause contre une presse qu’il accuse de tous les maux, d’appartenir à l’oligarchie, au « système », soit disant car elle ne critique que pour discréditer et nuire. C’est une vision paranoïaque de la presse que nous ne saurions cautionner, car les critiques formulées par la presse sont essentielles au fonctionnement démocratique. Mais pour critiquer, encore faut-il que les journalistes puissent aller sur le terrain et faire leur travail.

Les sociétés de journalistes s’inquiètent des pratiques du FN

C’est d’ailleurs pour cette raison que le 27 avril dernier, les sociétés de journalistes de 28 rédactions ont signé une pétition qui proteste contre la décision du Front national de « choisir les médias autorisés à suivre Marine Le Pen ». Cette pétition intervient après une série de cas où des journalistes s’étaient vu interdire l’accès à des événements où se rendait Marine Le Pen. Voici leur déclaration.

«À l’occasion de la campagne pour le second tour de l’élection présidentielle, le Front national a décidé de choisir les médias qui sont autorisés à suivre Marine Le Pen. Plusieurs titres de presse ont ainsi vu leur représentant tenu à l’écart de toute information et de toute possibilité de suivi sur le terrain de la candidate du Front national. Ainsi, après Mediapart et Quotidien (et avant lui son prédécesseur Le Petit Journal), l’AFP, Radio France, RFI, France 24, Le Monde, Libération et Marianne, notamment ont été à un moment ou à un autre victimes de ces exclusives. Il ne s’agit donc en rien d’un recours à la pratique du “pool” de journalistes où les informations et images sont partagées. Il n’appartient pas à une formation politique, quelle qu’elle soit, de décider des médias habilités à exercer leur rôle démocratique dans notre société.»

Cette inquiétude est-elle avérée ? Risquons-nous de voir la liberté de la presse entravée par une élection possible ? de Marine Le Pen ? Nous avons décidé de vérifier les faits et les sources qui pourraient confirmer une telle affirmation, car Marine Le Pen tentait de nous faire croire l’inverse dans ses voeux à la presse le 4 janvier dernier :

« J’ai une attention toute particulière à la liberté de la presse car la liberté de la presse est un élément consubstantiel de la démocratie. Je ne vous cache pas, d’ailleurs, mes craintes à ce sujet. La liberté de la presse recule dans notre pays puisque selon le classement établi par Reporters sans frontières, la France est passée de la 38e à la 45e place. Cette évolution n’est pas acceptable. Elle est extrêmement inquiétante pour une vielle et grande démocratie comme la nôtre. »

Quand Steeve Briois juge que la crise de la presse est liée au traitement médiatique du FN

Premier couac : pendant que la numéro 1 du FN louait la liberté de la presse, le numéro 2 s’attaquait à la ligne éditoriale d’un journal ! Exactement le même jour, le maire d’Hénin-Beaumont, Steeve Briois, diffusait un communiqué pour le moins surprenant : il se « réjouissait » du plan social à La Voix du Nord pour mieux pointer du doigt la responsabilité de la rédaction, qui avait pris fait et cause contre la candidature de Marine Le Pen aux élections régionales en 2015. Il avait prévenu ! Et Marine Le Pen avait même menacé de supprimer les subventions au journal en cas de victoire. Alors que les ventes du quotidien La Voix du Nord sont passées de 300.000 à 200.000 exemplaires/jour entre 2007 et 2017 (en 10 ans), une analyse des chiffres de la presse quotidienne régionale (PQR) démontre pourtant bien que l’ensemble des titres de la PQR sont en crise, avec une baisse des ventes annuelles de l’ordre de 4%/ an en moyenne l’an dernier. De 2011 à 2015. Un calcul rapide (incluant cette moyenne) permet de comprendre que cette perte est linéaire et n’a donc rien à voir avec le positionnement de la rédaction. Entre 2011 et 2015 (seulement 5 ans), quatre quotidiens ont connu une baisse de 20%, et 18 journaux une baisse de plus de 10%. Bref, si on était tenté de croire M. Briois sur parole, on pourrait (trop) vite penser que la PQR n’est en crise que parce qu’elle ose critiquer la politique menée par le FN (et que les administrés arrêtent de la lire pour cette raison). Pourtant, la presse est en crise pour d’autres raisons, et cette crise est généralisée dans la PQR : pour nous, il serait plus utile de se demander d’où vient cette crise, et si elle n’est pas plutôt liée à une désaffection généralisée pour les journaux papiers payants, pour des raisons diverses et variées.
Pourquoi prendre un tel exemple ? Parce que les villes dirigées par les élus frontistes sont la vitrine du parti : que se passe-t-il dans celles-ci ? Quels rapports entretiennent ces maires avec la presse ? Il semble que dans les plus petites d’entre elles, les maires (peu connus) respectent un minimum de bienséance. Mais, dès qu’il s’agit des têtes d’affiche du parti, c’est un tout autre scénario qui se joue comme a pu le démontrer une enquête de Mediapart dont nous avons pu tirer de nombreuses preuves à charge.

Dans les municipalités Front National, la presse n’est pas la bienvenue

Mercredi 8 Août 2014, le sénateur-maire FN Stéphane Ravier avait forcé un élu de l’opposition à cesser de filmer le conseil municipal du 7ème secteur de Marseille, alors qu’au même moment un journaliste de Radio Galère (radio marseillaise) effectuait un enregistrement de la séance. Malgré la présentation par la journaliste de sa carte de presse, le maire a fait appel à des agents municipaux pour l’empêcher de faire son travail, sous prétexte de manque de courtoisie : la journaliste aurait dû faire une demande préalable selon Stéphane Ravier. Pire, le 22 septembre 2014, c’était l’autre sénateur-maire David Rachline qui interdisait à la presse nationale de participer aux séances des conseils de quartier. La presse locale, elle, pouvait rester, mais un journaliste de France Info a persisté : après une première tentative d’intimidation (un adjoint appelle un policier pour le faire évacuer), il peut finalement rester à condition de ne pas enregistrer la réunion. Le 12 mai 2016, son adjoint à la communication envoyait un communiqué de presse dont le titre accusait nommément une journaliste de salir la ville de Fréjus : « Nathalie Layani salit notre ville ! » Ce que le communiqué ne dit pas, et qui intéresserait a priori toute personne le lisant, c’est pourquoi elle est attaquée ainsi. Les faits sont simples : alors que la Préfecture avait retoqué le projet de Surf Academy du maire (sûrement parce que le porteur du projet était un néo-nazi dont la société était basée à Hong-Kong), la journaliste de France 3 avait tâché d’avoir un commentaire de David Rachline. Suite à son refus, elle était venue suivre le conseil municipal et l’avait interrogé à sa sortie. Bref, elle n’a qu’essayé de faire son travail sur un sujet qui ne plaisait pas.

A Beaucaire, où a été élu le maire frontiste Julien Sanchez, une journaliste a fait les frais de son outrecuidance : elle avait relaté avoir vu un militant faire un salut nazi à l’occasion de la venue de Marine Le Pen lors de la campagne des municipales en 2014. Résultat : un tract s’attaquant à elle, des menaces de poursuite en diffamation, des coups de fil incendiaires. N’importe quel journaliste aurait pourtant rapporté un salut nazi, peu importe le type de rassemblement politique. La même journaliste fut par la suite attaquée nommément en conseil municipal, une manière comme une autre de la faire craquer et renoncer à ses prétentions journalistiques : rendre compte de l’information. Dans le journal municipal de Beaucaire, la mairie en est même allée jusqu’à attaquer le journal Midi Libre, à appeler ses administrés à écrire à la rédaction pour empêcher les critiques (jugées diffamatoires), ou inciter les administrés à se désabonner…

A Béziers, où siège pourtant un maire qui a défendu la liberté de la presse pendant 25 ans avec Reporters sans frontières, Robert Ménard a tout simplement fait le choix de court-circuiter les médias locaux en investissant à fond dans le budget communication de sa commune. Les attaques ad hominem contre les journalistes dans la gazette municipale se mélangent à d’incessants droits de réponse adressés aux rédactions locales dans le seul but de discréditer les dernières sources d’information contradictoires. Et quand la ville attaque Midi Libre en diffamation et perd le procès, elle efface les actualités passées sur ce sujet.

S’opposer au Front National pour préserver la liberté de la presse

Ainsi, les faits démontrent que face à une presse critique des agissements des élus – ce qui est pourtant son rôle de 4ème pouvoir – le FN pratique le repli sur soi, le manque de transparence, le chantage et la pression. Le parti frontiste n’a plus qu’une ambition : mener une véritable communication directe avec ses administrés, et monter l’opinion publique contre la presse en développant et renforçant ses propres média (bulletin municipal et réseaux sociaux). Et peu importe si les administrés se démontrent critiques à leur tour sur la page Facebook de « La voie d’Hénin », ils seront censurés (vous pouvez essayer pour voir).
Même si nous sommes bien conscients des limites de la presse, nous ne pouvons accepter de telles attaques à son égard. Tout comme nous n’avons toujours pas digéré l’appel de François Fillon à siffler les journalistes lors de ses meetings, les pratiques du FN au niveau local nous inquiètent fortement et c’est la raison pour laquelle nous appelons à lui faire barrage ce 7 mai 2017. Votre bulletin de vote n’est pas le seul moyen qu’il vous reste pour vous exprimer librement, du moins pour l’instant… n’attendez plus avant qu’il ne soit trop tard.

José BOVE, Karima DELLI, Pascal DURAND, Eva JOLY, Yannick JADOT et Michèle RIVASI, député(e)s européen(ne)s Europe Écologie

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