Les États-Unis suspendent leurs versements à l’Unesco après l’adhésion de la Palestine

3 novembre 2011
31 OCTOBRE 2011 | PAR ELLEN SALVI

C’est une décision majeure que l’Unesco a prise le lundi 31 octobre. Réunie en son siège parisien, la Conférence générale de l’organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, qui regroupe l’ensemble des 193 États membres, a admis l’Autorité palestinienne comme membre à part entière.

La résolution a été adoptée par 107 voix pour et 14 voix contre (dont les États-Unis, l’Allemagne et le Canada). Cinquante-deux pays se sont abstenus, parmi lesquels le Royaume-Uni et l’Italie. La quasi-totalité des pays arabes, africains et latino-américains se sont prononcés en faveur de l’adhésion, de même que la France qui avait pourtant émis jusqu’alors de sérieuses réserves quant à la candidature de l’Autorité palestinienne. Début octobre, elle s’était d’ailleurs abstenue de voter la recommandation d’attribuer à la Palestine le statut de membre à part entière, laquelle avait toutefois été approuvée à une majorité de 40 voix sur 58.

Pour les Palestiniens, ce vote favorable constitue une avancée aussi symbolique que décisive dans leur démarche d’adhésion pleine et entière à l’ONU, où le pays jouit jusqu’à présent d’un simple statut d’observateur. «Ce vote permettra d’effacer une infime partie de l’injustice faite au peuple palestinien», a déclaré le ministre des affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Ryiad al-Malki, devant la Conférence générale, ajoutant à l’issue des résultats: «C’est vraiment un moment historique qui rend à la Palestine certains de ses droits. La Palestine est le berceau des religions et des civilisations. (Le président de l’Autorité palestinienne) Mahmoud Abbas m’a téléphoné et il vous remercie tous pour ce vote qui permet à la Palestine de prendre sa position naturelle au sein du concert des nations et de l’Unesco.»

La demande d’adhésion à l’ONU a quant à elle été déposée par M. Abbas, le 23 septembre à New York (voir l’intégralité de son discours ci-dessous). Elle doit être examinée le 11 novembre par le Conseil de sécurité, et pourrait se voir opposer un veto des États-Unis.

Bon nombre de pays occidentaux, Washington, Paris et Berlin en tête, jugeaient la démarche palestinienne à l’Unesco «prématurée», voire «contreproductive», au regard de la procédure en cours à New York, comme l’a rappelé ce lundi la sous-secrétaire américaine à l’éducation, Martha Kanter, devant la Conférence générale. Ils auraient souhaité convaincre les Palestiniens de se contenter d’adhérer à trois conventions de l’Unesco, dont celle du Patrimoine mondial, ce qui est possible pour un État non membre.

«L’Unesco, ce n’est ni le lieu, ni le moment. Tout doit se passer à New York», avait indiqué la semaine dernière le porte-parole du ministère français des affaires étrangères, Bernard Valero. Pour autant, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait répété jeudi 27 octobre ne voir «aucune justification» à l’abandon de cette candidature : «Nous ne renoncerons pas à la demande d’adhésion de la Palestine à l’Unesco, où la bataille est très intense.»

Le «chantage» financier des États-Unis

De leur côté, les États-Unis ont multiplié les pressions diplomatiques sur l’Unesco et l’Autorité palestinienne afin que cette dernière retire sa candidature. Diffusant un mail envoyé le 24 octobre par l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, William E. Kennard, l’eurodéputée d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), Nicole Kiil-Nielsen, a dénoncé le «lobbying» exercé par Washington sur les Européens. «Les États-Unis vont jusqu’à envoyer un message de chantage, écrit-elle sur son blog. Ces tentatives de pression révèlent la crainte des États-Unis devant le soutien de plus en plus massif des citoyens, associations et gouvernements à la reconnaissance de l’État Palestinien.»

L’objet de ce «chantage» ? La participation financière de Washington à l’organisation. Tenus par deux lois américaines datant du début des années 1990, qui interdisent le financement d’une agence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tant qu’État membre à part entière en l’absence d’accord de paix avec Israël, les États-Unis ont décidé de suspendre leur participation, qui représente 22% du budget de l’Unesco, soit près de 70 millions de dollars en 2011.

«La décision d’aujourd’hui va compliquer notre capacité à soutenir les programmes de l’Unesco», avait confirmé dans le courant de la journée l’ambassadeur américain auprès de l’Unesco, David Killion. «Nous devions effectuer un versement de 60 millions de dollars à l’Unesco en novembre et nous ne le ferons pas», a déclaré un peu plus tard la porte-parole du département d’État, Victoria Nuland, à la presse.

La directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, estime quant à elle que ce retrait aura de «graves conséquences» sur le fonctionnement de l’organisation: «Il faudra couper des programmes, réajuster l’équilibre de notre budget, avait-elle expliqué, vendredi 28 octobre, à l’Agence France-Presse. Mais ce n’est pas seulement un problème financier, c’est un problème qui concerne l’universalité de notre organisation.»

Pour autant, les États-Unis sont déterminés. Il y a des «lignes rouges» à ne pas franchir, avait déjà prévenu, mercredi 26 octobre, Victoria Nuland. Israël, qui s’est dit «résigné» à un vote favorable avant que celui-ci n’ait lieu, a également annoncé qu’il suivrait l’exemple de Washington en retirant sa dotation à l’Unesco. «Israël rejette la décision de l’Assemblée générale de l’Unesco», indique un communiqué du ministère des affaires étrangères, estimant qu’il «s’agit d’une manœuvre palestinienne unilatérale qui ne changera rien sur le terrain mais éloigne davantage la possibilité d’un accord de paix».

En guise de rétorsion, Israël a décidé, mardi 1er novembre, de construire 2.000 logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, et de geler provisoirement le transfert de fonds dus à l’Autorité palestinienne. Ces fonds, s’élevant à près de 50 millions de dollars par mois, correspondent au remboursement des droits de douane et de TVA prélevés sur les produits destinés aux Palestiniens qui transitent par les ports et aéroports israéliens.

Interrogé par l’AFP, le porte-parole de Mahmoud Abbas, Nabil Abou Roudeina, a fustigé ces mesures qu’il a qualifié de «provocation» et appelé le Quartette pour le Proche-Orient (composé des États-Unis, de l’Union européenne, de l’ONU et de la Russie) à «faire pression sur Israël pour empêcher cette décision qui aura des conséquences néfastes pour la région entière». Pour M. Abou Roudeina, «accélérer la construction des colonies revient à accélérer la destruction du processus de paix, et le gel des fonds palestiniens est un vol de l’argent du peuple palestinien».

Par ailleurs, l’ambassadeur israélien auprès de l’Unesco, Nimrod Barkan, a d’ores et déjà indiqué que les pays qui, comme la France, ont soutenu la demande d’adhésion de la Palestine à l’Unesco, verront leur influence sur Israël s’affaiblir. Ils «ont adopté une version de science-fiction de la réalité en admettant un Etat qui n’existe pas à l’organisation chargée de la science… L’Unesco doit se charger de la science, pas de la science-fiction», a-t-il affirmé à l’AFP. Le vice-ministre israélien des affaires étrangères, Danny Ayalon, a jugé «bizarre» le vote de la France, «un pays ami (qui) a cédé à l’Autorité palestinienne après avoir essayé de la dissuader de sa démarche à l’Unesco».

Répétant qu’elle aurait «préféré que cette question fût posée après le traitement du sujet par l’Assemblée générale à New York», la France a toutefois justifié son changement de position: «Aujourd’hui, la question qui était posée était de savoir si la communauté internationale répondait oui ou non à la demande d’adhésion de la Palestine à l’Unesco, peut-on lire dans le communiqué diffusé par le Quai d’Orsay. A partir du moment où elle l’est, il nous faut prendre nos responsabilités et répondre sur le fond. Et sur le fond, la France dit oui, la Palestine a le droit de devenir membre de l’Unesco, cette organisation dont la vocation est d’œuvrer à la généralisation d’une culture de la paix au sein de la communauté internationale.»

Le vote de l’Unesco survient dans un contexte de nouvelles violences dans la bande de Gaza. Douze Palestiniens sont morts durant le week-end lors de raids israéliens sur des camps d’entraînement, et un Israélien a été tué par un tir de roquette. Des violences dénoncées par le quotidien israélien Haaretz: «Les hostilités dans le sud portent atteinte à la petite chance qui reste pour le renouvellement du processus diplomatique avec la direction de l’Autorité palestinienne à Ramallah , peut-on lire dans l’édito du jour. Le temps est venu pour le gouvernement d’Israël de réexaminer la politique de blocus de Gaza, le boycott total du Hamas, les assassinats et les attaques aériennes. L’accord (sur la libération du soldat) Shalit montre que même si l’idéologie du Hamas ne lui permet pas de reconnaître l’existence d’Israël ou de contribuer à négocier une solution au conflit israélo-palestinien (…), il peut être, avec l’aide de l’Égypte, un interlocuteur qui aidera à le gérer de manière non-violente.»

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