« Nous demandons à l’UE d’exiger de la Turquie un retour à l’Etat de droit »

Nous sommes signataires avec près d’une centaine d’universitaires et de personnalités politiques, principalement européens, dont Etienne Balibar, Yánis Varoufákis, Judith Butler, Hamit Bozarslan ou Barbara Spinelli… d’une lettre ouverte aux responsables européens en charge des relations avec la Turquie pour que l’Union intervienne au plus vite auprès du gouvernement turc pour exiger la restauration des principes démocratiques. Ce texte est publié par plusieurs journaux européens dont Libération.
 
Bruxelles, le 23 juillet 2016

A Madame Federica Mogherini, Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; Vice-Président de la Commission européenne et à Monsieur Thorbjørn Jagland, Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

Le 15 juillet dernier, la Turquie a été victime d’une tentative de coup d’Etat militaire, qui s’est soldée par au moins 200 morts (pour la plupart des civils) et plus de 1400 blessés. Aussitôt après l’échec du coup d’état, le gouvernement turc a entrepris, à l’intérieur de l’administration et des services publics, une purge de masse, qui apparaît sans aucune proportion avec l’événement. Le nombre total des individus chassés de leur fonction, interdits d’exercice ou même arrêtés, s’élève d’ores et déjà à plus de 61 000, incluant notamment : pour le ministère de la Justice, 2875 juges ; pour les services du Premier ministre, 257 fonctionnaires et employés ; pour le ministère de l’Intérieur, 8777 fonctionnaires de police et de gendarmerie, gouverneurs de provinces et gouverneurs locaux, employés ; pour le ministère de l’Education nationale, 21 738 suspensions ; pour l’Enseignement supérieur, 116 professeurs dont 4 recteurs, auxquels s’ajoutent les 1577 doyens dont la démission est exigée ; pour le ministère de la Famille et des affaires sociales, 393 fonctionnaires ; pour le ministère des Finances, 1500 employés ; pour la Sécurité nationale, 100 membres des services ; pour le Conseil de surveillance du marché de l’énergie, 25 employés ; pour le ministère du Développement, 16 employés ; pour le ministère des Eaux et forêts, 197 employés ; pour le ministère de l’Energie et des ressources naturelles, 300 employés ; pour le ministère de la Jeunesse et des sports, 245 employés ; pour le ministère de l’Environnement et de l’urbanisation, 70 employés ; pour le Conseil supérieur de la radio-télévision, 29 employés ; pour l’Agence de contrôle et de régulation bancaire, 86 employés ; pour le ministère du Commerce extérieur et des douanes, 176 employés ; pour la Haute autorité de la concurrence, 8 employés ; pour la Cour de justice militaire, 35 employés ; pour le ministère de la Défense, 7 employés ; pour la Bourse d’Istanbul, 52 employés… En outre, 21 000 licences d’enseignement dans les écoles privées ont été révoquées.

Selon toute probabilité, les universitaires seront les prochaines cibles visées : plusieurs milliers d’entre eux font déjà l’objet de poursuites, accusés de «soutenir le terrorisme» pour avoir exprimé leur solidarité avec les populations kurdes de la région du sud-est de la Turquie, qui depuis un an font l’objet d’attaques répétées et meurtrières de la part des forces armées turques.

Des sources dignes de confiance – en particulier le Commissaire européen pour la politique régionale et l’élargissement européen, Johannes Hahn – font savoir que les listes d’arrestations avaient été préparées avant même le déclenchement du coup d’état. Certaines sources soutiennent l’idée que le coup d’état a été organisé pour éviter les arrestations qui ont suivi.

Le Premier ministre turc a décidé d’annuler les vacances annuelles de plus de trois millions de fonctionnaires dans tout le pays. Les employés du secteur public ont aussi l’interdiction de voyager à l’étranger. Enfin, au cours de son interview sur CNN du 18 juillet, le Président Recep Tayyip Erdogan a laissé entendre que la peine de mort pourrait être rétablie en Turquie. Depuis lors, l’état d’urgence a été proclamé en Turquie, suivi par la suspension temporaire de la Convention européenne des droits de l’homme, telle que l’autorise son article 15. Mais cet article n’autorise pas pour autant le mépris des principes fondamentaux définis par la Convention.

En somme l’équilibre des pouvoirs n’existe plus dans le pays. On apprend que les personnes placées en garde à vue ne trouvent pas d’avocats pour les défendre, parce que ceux-ci n’osent pas prendre leur dossier en charge, de peur de se retrouver eux-mêmes sur les listes de proscription.

Or la Turquie est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme et du protocole n° 6 concernant l’abolition de la peine de mort. En tant que candidat à l’adhésion à l’Union européenne, elle s’est également engagée à respecter intégralement les critères de Copenhague, qui incluent l’intangibilité des institutions garantes de la démocratie, de l’Etat de droit, des droits de l’homme, de la protection et du respect des minorités, et enfin, l’abolition de la peine de mort.

Nous, signataires de cet appel, condamnons toute tentative de renverser l’ordre démocratique par un coup d’État militaire. Mais nous condamnons tout autant les purges décidées par le gouvernement turc en violation des droits de l’homme et de la légalité. Le principe de l’indépendance et de l’impartialité de la magistrature, en particulier, est avec celui de la liberté de la presse le fondement de l’Etat de droit démocratique. L’indépendance politique du corps enseignant fait partie des conditions d’existence d’une société libre.

La suite de cette lettre ouverte est en ligne sur le site du quotidien Libération sous ce lien.

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