Quel est le prix du progrès?

14 octobre 2009
Sans considération éthique, il n’y a pas de véritable progrès, que des avancées techniques
Quelle éthique pour le progrès? C’était l’une des questions auxquelles il m’appartenait de répondre la semaine dernière lors d’un colloque organisé par «Valeurs Vertes» au Sénat. Et cette question est plus jamais dans mon actualité: nous recevions cette semaine-là, en Commission parlementaire Environnement, la directrice de l’Agence Européenne pour la sécurité alimentaire, et cette semaine débute le débat public national sur les nanotechnologies.

Pour une prise en compte des considérations éthiques

Qu’est-ce que le progrès? Pour moi, le vrai progrès est celui qui permet une amélioration durable pour le plus grand nombre et dont les risques sont quasi nuls (largement inférieurs aux avantages), et non un accroissement effréné et sans limite des applications technologiques. Loin de moi l’idée de stopper tout progrès technique. Simplement, je pense que nous devons comprendre et accepter que le progrès technique sans considération éthique n’est pas la bonne réponse!

Pour faire évoluer ensemble une société durable, il nous faut apprendre à regarder rétrospectivement, tirer les leçons de nos erreurs et adopter une attitude plus éthique et soutenable. Malheureusement pour nous et pour la planète, l’histoire et l’actualité regorgent d’exemples d’une perspective biaisée du progrès, de ses risques non maîtrisés pour la santé et l’environnement. De fait, aujourd’hui, la principale question à laquelle il nous appartient de répondre est «Comment mesurer et maîtriser les risques»? Et, sur ce point, nous sommes à ce jour non seulement mauvais mais aussi imprudents. Nous multiplions les risques par l’absence et/ou l’insuffisance de régulation et de contrôle sur les technologies nouvelles.

Prenons deux exemples: les OGM et les nanotechnologies.
Les OGM

La biotechnologie est une avancée technique. Toutefois, peut-on vraiment dire que les OGM constituent un progrès au vu du danger qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine, du renforcement de la mainmise de l’industrie agroalimentaire sur l’agriculture mondiale, des risques de la brevetabilité du vivant et de ses enjeux éthiques? Avancée technique: oui! Réel progrès: non!

Certaines applications des nano peuvent être intéressantes («technologie verte », soins médicaux), d’autres peuvent se révéler redoutables (on sait aujourd’hui, par exemple, que certains posent des risques similaires à l’amiante!) et soulèvent des questions tant en terme de santé publique, d’environnement, de libertés individuelles et collectives.

Près de 800 produits contiennent déjà des nanoparticules (cosmétiques, articles de sport, peintures et vernis, aliments…) et leur nombre pourrait exploser dans les cinq ans. Le marché mondial, évalué entre 450 et 1.850 milliards d’euros d’ici 2015, suscite une intense compétition notamment en matière de recherche et développement. En octobre 2008, l’Afsset, saisie pour évaluer les risques au travail des nanomatériaux manufacturés, a recommandé le principe de précaution, après avoir noté l’existence d’effets néfastes pour l’homme et l’environnement.

Dans le domaine des «nanos», tout est à mettre en place! Et c’est l’un des rôles de l’Union européenne et du Parlement européen que d’adopter un cadre règlementaire clair pour garantir aux citoyens européens que les produits de leur vie quotidienne sont parfaitement sûrs pour leur santé et leur planète; et qu’ils correspondent à leurs valeurs éthiques. Il devient urgent d’adopter une réglementation claire et d’exiger transparence et information complète sur les nanoparticules.

Les consommateurs doivent avoir la possibilité de poser des questions et de recevoir des réponses des scientifiques. Transparence, précaution, contrôle et évaluation sont les mots clés… et la base des propositions que portent les écologistes à l’échelle européenne.

Les Français appelés à donner leur avis sur les nanotechnologies. Alors pas étonnant que je me réjouisse et que pour moi l’actu de la semaine soit le lancement du débat public national sur la question, qui se déroulera du 15 octobre au 23 février 2010 dans 17 villes françaises et sur un site internet dédié. Ce débat public doit permettre, à partir d’une analyse bénéfices/risques des différentes applications, d’éclairer les grandes orientations de l’action de l’Etat dans les domaines suivants: modalité de soutien à la recherche, caractérisation de l’exposition et évaluation de la toxicité pour l’homme et les écosystèmes, information et protection du salarié sur son lieu de travail, du consommateur et organisation du contrôle et du suivi. Mais ce débat a principalement pour objectif d’informer les citoyens sur les nanotechnologies et de leur permettre d’exprimer leurs attentes et leurs préoccupations, notamment sur les risques sanitaires et environnementaux.

Installée depuis le mois de mars, une Commission particulière du débat public (CPDP) a pour mission d’animer ce débat. Chaque réunion publique s’articulera autour de problématiques territoriales et de thématiques générales liées aux nanotechnologies (cycle de vie des produits, protection des consommateurs, nano-médecine, habitat et énergie, éthique et gouvernance, etc.).
Plan de bataille

Le lancement est jeudi 15 octobre à Strasbourg, et j’y serai! J’y serai pour parler de la régulation européenne et de l’association des citoyens à la gouvernance. J’y serai pour exposer l’état actuel de la législation européenne et la bataille permanent(e) entre la Commission européenne et le Parlement pour faire évoluer et fixer un cadre juridique clair pour toutes les étapes du cycle de vie des produits issus des nanotechnologies — de la fabrication à la récupération…

Mais j’y serai aussi pour présenter les mesures que je porte avec mes collègues députés pour l’adoption d’une démarche durable alliant progrès et éthique. Ce sont plusieurs chantiers et batailles que nous allons mener pour obtenir l’adoption de mesures législatives contraignantes afin de s’assurer que le développement de cette nouvelle technologie se fasse dans le respect des principes communautaires, tels que la protection de la santé, de l’environnement, et de la sécurité des citoyens européens.

Le plan de bataille est prêt! Cette règlementation doit clairement permettre d’identifier tous les producteurs et importateurs qui manipulent ces nanomatériaux; identifier les catégories de populations concernées (consommateurs, travailleurs…); et introduire une obligation de recensement des filières d’élimination et de recyclage. Par ailleurs, nous demandons également la création d’un Observatoire européen sur les avancées technologiques placé auprès du Parlement et composé de personnalités qualifiées du point de vue de l’éthique, de la biologie, de la médecine, de la physique, de la chimie et de citoyens issus de la «société civile organisée». Il sera doté de moyens pour organiser des débats publics, surveiller les avancées technologiques et la nature des applications nouvelles qui peuvent en découler, en particulier du fait de la convergence des technologies biologiques et informatiques avec les nanotechnologies.

Le progrès ne peut plus seulement servir les intérêts économiques. L’activité économique ne peut plus s’envisager autrement que sous l’angle du développement soutenable en y intégrant les aspects sociaux et environnementaux: le progrès est à ce prix!

Sandrine Bélier

* Son organisation a été confiée à la Commission nationale du débat public (CNDP), dans laquelle j’avais été nommée par Arrêté du 1er Ministre en 2008) suite à une saisine conjointe signée le 23 février par huit ministres et secrétaires d’État.

Première publication sur Slate.fr

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