Sandrine Bélier : « A Nagoya, on obtiendra un accord global ou rien »

25 octobre 2010

Députée européenne française membre du groupe des Verts/ALE et de la commission Environnement au Parlement européen, Sandrine Bélier est arrivée hier à Nagoya (Japon) où se tient la Conférence de la Convention sur la diversité biologique depuis le 18 octobre. Juste avant son départ, l’a interrogée sur les enjeux de cette conférence internationale, ainsi que le rôle de l’Europe dans ces négociations.

Touteleurope.eu : Concrètement, quel va être votre rôle à Nagoya, en tant que députée européenne ?

Sandrine Bélier : Je fais partie de la délégation officielle du Parlement européen. Pendant toute la semaine nous allons assister à plusieurs groupes de travail, rencontrer les acteurs de la négociation, donc tant des acteurs de l’ONU (Organisation des Nations Unies) que des représentants des Etats parties. On a notamment au calendrier des discussions avec les représentants du Japon, l’Etat hôte de cette conférence. Nous aurons également en fin de semaine un échange avec Chantal Jouanno qui représente la France.

Il y a donc tout au long de la semaine un certain nombre de réunions, et dans le cadre de la négociation nous allons porter la position de l’Union européenne, et notamment celle du Parlement européen.


Touteleurope.eu : Quelle est cette position du Parlement européen ? En êtes-vous satisfaite ?

S.B. : Pour une fois la position du Parlement européen et celle du Conseil sont assez proches, ce qui permet une certaine cohérence dans le message qui sera porté par l’Union européenne.

Il y a cependant des points positifs et des points négatifs dans cette position. C’est la raison pour laquelle, au regard du rejet en session plénière d’un certain nombre d’amendements que portaient les écologistes européens, j’ai appelé à nous abstenir sur cette résolution. Non pas parce qu’elle est mauvaise, il y a beaucoup de points positifs comme la reconnaissance de l’échec des précédentes stratégies biodiversité, des engagements assez forts et concrets comme la suppression à l’horizon 2020 de tous les financements publics et subventions aux activités néfastes à la biodiversité. Il y a également des engagements pour la fin de la déforestation, dans les domaines de la pêche, de l’agriculture etc.

Il y a donc une vraie volonté de changer les politiques sectorielles en y intégrant des objectifs de préservation de la biodiversité mais sur la base d’un constat d’échec de la dernière stratégie biodiversité de l’Union européenne, et d’un échec au niveau mondial puisque nous n’avons pas été en capacité de réduire et de stopper la perte de notre patrimoine naturel.

Mais la crainte que l’on a c’est que dans cette résolution il n’y a pas d’engagement concret de financement public de la politique de préservation de la biodiversité. Nous souhaitions, par l’un des amendements que nous portions, et c’est également la demande des pays du G77, que soient multipliés les engagements de financement public dans une politique ambitieuse de préservation de la biodiversité. On a des mesures de financement qui ne semblent viser que des financements privés. Le risque que cela représente à nos yeux est un abandon des pouvoirs publics que la réussite de la stratégie de lutte contre la perte de biodiversité, au profit des pouvoirs économiques et financiers.

Cela pourrait impliquer la création d’un système de monétarisation du vivant, de marché de la biodiversité qui reviendrait à remettre l’avenir de l’humanité et de l’ensemble du monde du vivant entre les mains des banquiers, des financiers et des grosses multinationales. Or on a pu voir que les marchés du carbone, pour le climat, ne suffisent pas. Il est donc évident que mettre en place un marché de la biodiversité ne suffira pas à remplir les enjeux de préservation de notre patrimoine naturel.

D’autre part, il est juste inadmissible d’imaginer un tel marché. Nous parlons ici d’un enjeu d’intérêt général, de préservation du patrimoine commun de l’humanité, qui ne peut pas se satisfaire d’une appropriation par des financiers et des entreprises privées. Voilà ligne rouge qu’on souhaite ne pas voir dépassée.

Touteleurope.eu : Qu’attendez-vous quand aux résultats de ces négociations ?

S.B. : Lorsque l’on voit le chemin qu’ont pris les négociations pendant la première semaine de la conférence, on sait que ce sera tout ou rien. Il y a trois niveaux de négociation, et trois grands enjeux : le plan stratégique 2020-2050, le protocole sur l’accès et le partage des avantages tirés de la biodiversité et les engagements financiers pour remplir cette stratégie.

Aujourd’hui, toutes les discussions se focalisent sur le système à mettre en place sur l’accès et le partage des avantages liés aux ressources génétiques et à la nature. Le G77 a poussé en ce sens. Selon le débriefing que nous avons eu de la Commission européenne cette semaine, l’Europe manifestement, comme les autres négociateurs, se plie à cette exigence selon laquelle on aura un accord global sur les trois textes, ou rien.

Dons si on aboutit pas à un système acceptable sur le protocole sur l’accès et le partage des avantages liés à la nature, le G77 ne donnera pas son accord sur le plan stratégique pour la biodiversité, ni sur les engagements financiers.

Donc à la fin de cette seconde semaine de négociation à Nagoya, soit on a un accord concret avec un système qui permet de gérer nos ressources naturelles et l’accès et le partage des avantages, qui fixe les objectifs de la stratégie à l’horizon 2020, avec les moyens financiers adéquats pour les remplir, soit il n’y aura rien.

Touteleurope.eu : Les Européens semblent encore peu conscients des enjeux de la perte de biodiversité. Comment les sensibiliser ?

S.B. : Il faudrait déjà qu’on en parle, du moins un peu plus qu’on ne le fait jusqu’à présent ! Il y a une prise de conscience à enclencher. La biodiversité aujourd’hui c’est plus de 50 % de nos médicaments, tels qu’ils sont développés, mais cela représente également tous les potentiels pour faire face aux maladies de demain.

La diversité des végétaux cultivés c’est également la qualité de notre alimentation, et le fait de pouvoir face aux crises qui pourraient survenir, notamment liées au dérèglement climatique. Pour les Européens cela renvoie à l’exigence d’une alimentation saine et l’assurance de ne pas voir, dans un avenir proche, la diversité réduite à quelques espaces de tomates ou de maïs.

La nature nous habille également en nous offrant un certain nombre de matériaux comme le coton. En réalité, si le lien n’est pas fait directement, l’ensemble de notre existence dépend de la nature et de la diversité biologique. Les besoins les plus élémentaires y sont liés (se nourrir, se soigner) mais également les besoins plus immatériels comme les loisirs. Avoir une politique forte de préservation de la nature en Europe c’est également assurer que soient préservées les forêts dans lesquelles on se ballade le week-end avec les enfants, le littoral maritime qui nous accueille l’été pour les vacances à la mer.

Et bien sûr, au bout de la chaîne, nous sommes des organismes vivants qui faisons partie intégrante de la biodiversité. Chaque fois que la biodiversité recule, ça nous met nous, humains, directement en danger.

Touteleurope.eu : Les Européens semblent encore peu conscients des enjeux de la perte de biodiversité. Comment les sensibiliser ?

S.B. : Pour ce qui est des Etats européens, l’enjeu de la biodiversité, alors même qu’il a la même importance que la lutte contre le dérèglement climatique, et que les deux enjeux sont intimement liés puisque la nature a également cette fonction de puits de carbone, et donc de lutte contre le dérèglement climatique, n’est pas pris à sa juste mesure.

Nos politiques sur ce sujet ont un peu démissionné. Et cela est lié au fait que les citoyens s’y intéressent peu. Or les politiques se cantonnent aux sujets populaires et électoralement porteurs. Donc si l’enjeu n’est pas totalement approprié par la population, avec une forte pression des citoyens, les politiques ne s’en saisissent pas. Entre le climat et la biodiversité c’est flagrant.

Mais pour la première fois, grâce au traité de Lisbonne, la responsabilité des Etats membres de l’Union va être un peu différente, puisque le Conseil européen a donné un mandat à la Commission européenne et c’est donc l’Union européenne qui va négocier, et non pas les 27 Etats. Donc cela explique aussi un engagement un peu moindre des Etats européens. Mais l’une des raisons reste bien entendu le manque de médiatisation autour du sujet.

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