Suites de la visite du CRA n°3 de Mesnil Amelot
Améliorer la transparence, une exigence démocratique
A l’occasion de la visite d’Hélène Flautre, deux journalistes ont sollicité les autorités françaises afin d’obtenir une autorisation d’entrée. Tous deux ont essuyé un refus, et cela sans qu’aucun motif ne leur ait été opposé. L’ouverture des centres de rétention aux journalistes est pourtant une exigence démocratique. D’une part pour respecter pleinement la liberté d’information inscrite à l’article 8 de la Charte européenne des droits fondamentaux. D’autre part pour donner plus de visibilité aux problématiques liées à la rétention des migrants, souvent peu connues des citoyens.
Jusqu’à aujourd’hui, seul l’arbitraire semble dicter les décisions prises à l’égard des demandes de visite de journalistes. C’est d’ailleurs en ce sens que les trois présidents de groupes parlementaires EELV interpellaient en janvier dernier Manuel Valls[2]. Quelques jours avant, la Garde des Sceaux annonçait un projet de loi afin de permettre aux journalistes d’accompagner les députés durant leurs visites de prisons. Selon le cabinet du Ministre Valls, un texte règlementant l’accès des journalistes dans les centres de rétention est en cours de validation et devrait être publié d’ici fin juin. Les députés EELV ne manqueront pas de suivre de près son application afin que rétention ne rime plus avec suspicion !
Retour sur la visite
Bientôt deux ans que les CRA n°2 et 3 de Mesnil-Amelot ont ouvert. Situés à proximité de la zone portuaire de Roissy-Charles-de-Gaulle, ils sont réunis au sein d’une même enceinte grillagée non loin du CRA n°1 fermé en 2011. Quelques mètres plus loin, l’annexe du Tribunal de Grande Instance de Meaux construite il y a 3 ans reste toujours déserte. Une bonne chose : une justice d’exception, réservée aux étrangers et à l’abri des regards, n’a pas sa place dans une Europe de la justice pleinement respectueuse de ses valeurs.
Les deux CRA affichent lors de la visite un taux d’occupation de 33% avec 79 occupants pour 240 places, chaque CRA étant doté de 120 places. Un taux d’occupation relativement bas, tout comme la moyenne nationale située à près de 50%. Le taux d’éloignement lui, est à 26%, soit 3 retenus sur 4 privés de liberté…à tort.
D’ailleurs, les dégradations du mobilier présent dans les cellules sont symptomatiques de l’incompréhension des retenus vis-à-vis de leur rétention et traduisent une manière de la contester. Mais aussi, la vétusté des locaux du CRA pourtant très récents est particulièrement inquiétante. Les problèmes récurrents d’étanchéité ont rendu une grande partie des murs et plafonds en état de décrépitude et posent de réelles questions sur la salubrité des zones de vie des retenus. Le responsable du CRA a confirmé le dépôt d’une plainte contre la société qui a réalisé ces locaux…une société qui depuis a fait faillite !
Autre chiffre intéressant, l’augmentation de la durée moyenne d’occupation au CRA n°3 qui est passée de 2012 à 2013 de 11,34 à 15,2 jours. L’allongement de la durée de 32 à 45 jours avec la transposition de la directive retour a, selon les différents intervenants rencontrés, contribué à la dégradation des conditions de rétention. Le rapport d’évaluation de la directive Retour que présentera la Commission européenne fin 2013 devra étudier cet aspect et le cas échéant, proposer des modifications législatives. Rappelons qu’à la fin des années 90, la durée de rétention autorisée ne dépassait pas 10 jours !
Rencontre avec les retenus
Réservé aux hommes, le CRA n°3 compte une majorité de retenus originaires d’Afrique du Nord, principalement de nationalité tunisienne et marocaine (respectivement 17,34% et 10,58%). Avec un taux d’occupation de 8,78% et 6,31% pour 2013, les nationalités indienne et pakistanaise sont également fortement représentées.
Lors de la visite, un retenu de nationalité malienne sait son vol programmé pour Bamako le lendemain. Si au commencement de l’intervention de la France au Mali les retenus de nationalité malienne étaient presque systématiquement libérés, cela n’est plus le cas aujourd’hui. Ce changement est pour le moins extrêmement inquiétant : il est totalement indécent qu’un pays renvoie des personnes vers un pays dans lequel il mène une guerre !
Parmi les retenus, beaucoup résident depuis des années en France, avec famille, travail et feuille d’impôt. L’interpellation et la mise en rétention est d’une grande violence pour ces personnes. Le cas rencontré d’une personne originaire d’Afrique subsaharienne, résidant en France depuis 2006 et père d’enfant français, est à cet égard saisissant. Des doutes sur l’authenticité du passeport alors qu’il allait régulariser sa situation en préfecture ont conduit à son interpellation et après une garde à vue, à sa mise en rétention. Mentionnons au passage que l’affaire pour faux a été classée sans suite, mais qu’aucun recours n’a permis de le libérer du centre. Et pourtant, l’attestation de sa compagne et les différentes preuves d’argent reversé pour l’éducation de l’enfant n’ont pas permis de convaincre les juges. Un exemple supplémentaire des limites de la rétention tant elle entrave des vies, rompt la confiance dans l’État et détériore le parcours d’intégration.
Rétention et santé, deux objectifs inconciliables
La santé est une des préoccupations majeures dans les centres de rétention. La rencontre avec le service médical du centre, qui travaille en lien avec le Centre hospitalier de Meaux et l’Agence régionale de la Santé, est là pour nous le rappeler. Toxicomanie pour 40% des retenus, cas de gale, grève de la faim, mutilations et ingestion de produits dangereux (lames de rasoir, piles, etc..) sont autant d’exemples de la situation sanitaire causée par la rétention. Le service médical est à cet égard très soucieux de la confidentialité vis-à-vis des retenus et de son indépendance vis-à-vis de l’administration : pas question d’informer l’administration du dossier médical d’un retenu ni de lui administrer un sédatif avant son expulsion à la demande du personnel.
Autre préoccupation, l’expulsion des étrangers malades. Les mots du service médical sont forts : « ici, on renvoie vers la mort ». Rappel législatif de la Cimade, association présente dans le CRA : la loi du 16 juin 2011 a entrainé un changement majeur en la matière puisqu’il ne s’agit plus de tenir compte de l’accessibilité d’un traitement approprié dans le pays d’origine du retenu malade avant son renvoi, mais désormais de son « absence ». Ainsi, pas de problème pour renvoyer un diabétique dans son pays d’origine si les coûts exorbitants ou les soins géographiquement inaccessibles ne lui permettent pas de se soigner effectivement. Même si la loi impose une exception à savoir une « circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé », force est de constater que l’autorité des médecins est de plus en plus remise en cause, leur avis étant de moins en moins suivi. Une remise en cause critiquée par le service médical qui malgré son souci d’indépendance et de confidentialité dénonce les conséquences dramatiques d’une telle approche.
Aucune autorité administrative n’a les compétences et la légitimité pour prendre une décision contraire à celle d’un médecin. Il est urgent que le gouvernement se saisisse de cette situation et rompe avec la brèche ouverte par le précédent gouvernement.
De l’univers carcéral à celui de la rétention
Près de 20% des retenus à Mesnil-Amelot étaient en prison avant d’entrer au CRA. Ce taux élevé, dû à la concentration d’établissements pénitentiaires dans la région, n’est pas sans poser problème. L’enchainement entre les deux privations de liberté est d’une extrême violence, et cela d’autant plus qu’il n’est pas annoncé aux détenus.
Alors qu’ils voient la fin de leur peine arriver et entendent ainsi retrouver la liberté, ces retenus sont amenés à la sortie de prison par les forces policières en centre de rétention. Leur carte de séjour ayant expiré pendant l’exécution de leur peine.
Ensuite, le délai de 48 heures pour contester la rétention est très difficile à mettre en place. D’autant plus que de nombreuses décisions de remises en liberté interviennent le vendredi ce qui rend en pratique impossible le dépôt d’un recours contre la décision de placement en rétention durant la fin de semaine…une situation qui viole pleinement le droit à un recours effectif !
Citoyens européens en rétention…quid de la libre circulation ?
Un nombre important de citoyens européens se trouvent en rétention, en particulier ceux de nationalité roumaine qui en 2012, étaient la cinquième nationalité la plus présente au CRA n°3 avec 6,52% d’occupation. Au CRA n°2, les ressortissants roumains pour 2013 représentent 45% des personnes retenues.
Que deviennent la citoyenneté européenne et son droit substantiel à la libre circulation quand un centre enferme presque pour moitié nos concitoyens? Le droit à la libre circulation est un droit non négociable et qui doit être pleinement respecté et promu !
Beaucoup de ces personnes sont retenues alors qu’elles sont sur le territoire français depuis moins de trois mois. Or il est contraire à la directive sur la libre circulation de 2004 d’expulser un citoyen européen en dessous de 3 mois, à moins qu’il représente un « danger à l’ordre public ». Il semblerait que l’administration française ait une interprétation extensive de cette notion pour permettre un enfermement massif de ces personnes. La Commission européenne sera à cet égard saisie afin qu’elle vérifie la bonne application de l’acquis communautaire.
La politique de rétention doit donc être profondément repensée. Et urgemment. D’une part pour rompre avec l’opacité de ces dispositifs: les citoyens ont le droit de savoir ce qui se passe dans ces lieux, et les journalistes doivent donc pouvoir y accéder. Mais c’est également son fondement même qui doit être revu. Couteuse, inefficace et délétère pour les personnes retenues, la privation de liberté n’est pas une réponse raisonnable à une personne qui doit simplement résoudre une situation administrative. Rappelons ici que la directive Retour exige que le placement en rétention constitue par principe une mesure de dernier recours, à défaut de possibilité alternative de mener à bien les procédures d’éloignement ! Malgré tout le processus de normalisation à l’œuvre depuis plusieurs années, il est important de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le séjour irrégulier n’était pas pénalisé.
Le gouvernement doit se saisir des multiples inquiétudes soulevées lors de cette visite : santé des retenus, libre circulation des citoyens européens, durée de rétention, parcours des migrants avant la rétention, situation dans les pays d’origine, contrôle effectif du juge …Voici autant de changements législatifs que porteront les élus écologistes dans les hémicycle parlementaires, à Bruxelles et à Paris, afin de réaffirmer les exigences des valeurs européennes.
[1] www.openaccessnow.eu
[2] https://europeecologie.eu/Retention-les-President-e-s-de